Par Aitor Gosende
Une critique du spectacle :
Valse aux cyprès / de Julien Mages / collectif Division / Théâtre de L’Arsenic / du 26 novembre au 5 décembre 2013
« – Êtes-vous épileptique ? – Non, pourquoi ? – Parce qu’il y aura une scène avec un stroboscope, on est obligés de demander, au cas où ». Nous voilà prévenus et, en effet, une demi-heure plus tard, nous assistons à une scène de folie frénétique soulignée par l’usage prolongé d’un stroboscope.
L’idée est intéressante, l’effet produit déroutant. L’utilisation d’une caméra de surveillance qui retransmet en direct, projetée au fond de la scène, la silhouette des comédiens qui parlent au premier plan sert également le propos en rappelant ces images effrayantes des tueries de Columbine ou, plus récemment, celles de Westgate.
Pourtant, noyé au milieu d’une infinité d’autres mécanismes scéniques (le plan d’une maison projeté au fond de la salle, des interrupteurs au sol activant tantôt des projecteurs, tantôt de la musique, un vestiaire suspendu, un tas de briques sur une palette, des poubelles servant de cachettes, etc.), ce procédé participe à un immense déploiement de moyens auxquels le spectateur n’arrive plus vraiment à donner sens.
Julien Mages avait déjà exploré avec brio des thèmes proches, notamment dans sa trilogie Cadre Division, Division Familiale et Divisions III qui abordaient l’univers de la psychiatrie, de la folie ou de l’enfermement. Dans l’anamnèse d’un prochain massacre, il traite pêle-mêle de la solitude, la désindividualisation, la banalisation du mal, le porno, la haine, l’ennui, l’orgueil, l’influence, le fanatisme, la pression sociale, le physique ingrat, la stupidité, la drogue, le fantasme, la sensibilité, la Suisse, la réalité rêvée, la littérature, la philosophie, la guerre, etc. L’anamnèse, récit des antécédents, se veut donc une exploration des motivations qui auront poussé des individus normaux à devenir des tueurs. Ainsi, Frank Arnaudon, Roman Palacio, Athéna Poullos et Diane Müller incarnent, tour à tour, certains « types » de meurtriers : le sensible enfermé dans un corps de roublard, l’introverti laid et amoureux, l’idiote laissée-pour-compte, etc. Frank Arnaudon sert la prestation de la soirée en donnant vie à une sorte de monstre fasciste, froid et intelligent, qui n’est pas sans rappeler Anders Breivik, l’auteur des attentats de juillet 2011 en Norvège.
Le texte, parfois trop didactique, donne lieu à de longues tirades explicatives. S’agissait-il pour l’auteur d’exemplifier ce qu’il dénonce dans les premiers instants de la pièce : l’artificialité du langage et la prison qu’il représente pour certains individus? En choisissant un sujet aussi médiatique et hyper-commenté, Julien Mages risquait de tomber dans le piège du cliché. De fait, la manière de présenter certains meurtriers en devenir tient parfois trop du stéréotype. Mais le metteur en scène vaudois aura aussi plusieurs fois visé juste avec des idées brillantes et des formulations frappantes. Ainsi, quand Athéna Poullos lâche au milieu d’une harangue sur la Suisse que « nous vivons dans un pays si riche qu’on peut se payer le luxe de mourir pour rien », la phrase tombe comme une lame et fait mouche. Un peu plus tard, encore une fois, une nouvelle fulgurance: le sang du Christ a-t-il été versé pour pardonner nos péchés ou s’agissait-il de « sang versé pour exciter l’ardeur du sang » ? Sujets à réflexion qui, même la pièce finie, continueront à nous faire cogiter.
La pièce se clôt en à peine plus d’une heure. Malgré le léger sentiment de confusion produit par cette mise en scène surinvestie, nous quittons la salle en retenant ces instants de grâce disséminés ici et là. Le collectif Division, composé de Julien Mages, Frank Arnaudon, Roman Palacio et Athéna Poullos, présentera à partir du 9 janviers, au théâtre de Vidy, son nouveau spectacle : Ballade en orage. La Valse aux cyprès, quant à elle, est à voir au théâtre de l’Arsenic jusqu’au 5 janvier prochain.