L’Arche part à huit heures

L’Arche part à huit heures

d’Ulrich Hub / mise en scène de Christian Denisart / Petit Théâtre de Lausanne / du 4 au 31 décembre 2013 / Critiques par Joanna Pötz et Sabrina Roh.


4 décembre 2013

Petits ou grands, les pingouins nous interpellent

© Pénélope Henriod

Trois pingouins naïfs, bagarreurs, puants et attachants embarquent sur l’Arche de Noé pour un voyage  burlesque qui les sauve du déluge. Dans la mise en scène musicale par Christian Denisart de L’Arche part à 8 heures, entre décor miniature et grandeur nature, ces drôles d’oiseaux soulèvent des questions existentielles que tous, à tout âge, peuvent se poser.

Sur scène, la lumière s’éteint, la musique commence, et trois petits pingouins robots apparaissent, se baladant sur une banquise qui fond à vue d’œil. Ces petits robots sont très rapidement remplacés par trois grands pingouins – de vrais acteurs à tête d’homme, cette fois – qui commencent à discuter et à se chamailler pour notre plus grand bonheur. Avec une bonne dose de ruse (car comment faire ? Ils sont trois et non pas deux comme le voulait Noé !), ils vont devoir embarquer dans une grande arche à l’architecture complexe, qui nous donne envie de l’explorer de fond en comble. L’arche, remplacée par un mini robot, s’en ira ensuite voguant sur la scène. C’est ainsi que la mise en scène de Christian Denisart joue savamment des décors, en faisant varier leur taille, le tout orchestré par trois violonistes également présentes sur scène.

Ce spectacle est tiré de l’œuvre de l’Allemand Ulrich Hub, notamment connu pour son écriture de théâtre destinée aux enfants – écriture bien souvent en lien avec cet extraordinaire animal qu’est le pingouin. Dans cette histoire-ci, après que le déluge leur est annoncé, deux des pingouins se réconcilient in extremis avec le troisième, qu’ils embarquent clandestinement à bord. À travers les dialogues et les réflexions de ces animaux et d’une colombe – un peu trop survoltée pour eux – au long de leur voyage vers l’inconnu, le public est confronté aux petites et grandes questions qui tarabustent tout un chacun. On passe ainsi de « Qui a fini les derniers biscuits ? » à « Dieu existe-t-il ? », questions posées sans préjugés, et qui intéresseront enfants et adultes confondus.

La mise en scène de Christian Denisart, fidèle à son habitude et à son parcours professionnel (il a travaillé comme ingénieur du son, musicien, chroniqueur…), mêle étroitement musique et art visuel pour nous parler d’exploration et de voyage. Ce que son travail révèle particulièrement bien, c’est le regard anthropocentrique que nous appliquons sur nombre d’animaux, et particulièrement sur les pingouins, auxquels le public s’identifie sans aucun problème. « Lorsque nous voyons dans un reportage une foule de pingouins, perdus dans un milieu glacé et hostile […], nous ressentons une tendre empathie et les humanisons […]. Donner les premiers rôles à des pingouins est donc un bel exercice à défendre. Il faudra […] leur trouver une démarche, une attitude métissée de gestuelle animale et d’expression humaine. » Le pari est réussi ; et les pingouins nous font là réfléchir sur l’être humain avec une bonne dose d’humour fondé sur leurs attitudes naïves et simples et leur apparence comique.

L’Arche part à 8 heures, pièce drôle et touchante, est à voir en famille (dès 7 ans) jusqu’au 31 décembre au Petit Théâtre de Lausanne, les mercredi, samedi et dimanche à 17h, le vendredi à 19h, et le samedi à 14h.

4 décembre 2013


4 décembre 2013

Cherchez le pingouin qui est en vous

L’ARCHE PART A 8 HEURES, mise en scne Christian Denisart, Le Petit ThŽ‰tre, dŽcembre 2013

Au Petit Théâtre à Lausanne, les pingouins fêtent l’arrivée de l’hiver. Christian Denisart, dans sa mise en scène de L’Arche part à 8 heures, confronte le public à ces drôles d’oiseaux, pas si différents de l’être humain.

Urgence ! L’arche part à huit heures. Dieu est furieux et a prévu un déluge destructeur. Seuls deux spécimens de la même espèce pourront être sauvés. Quelle aubaine pour ces deux grands pingouins qui s’affairent au bord de l’eau ! Sur la banquise immaculée, ils voient apparaître une blanche colombe, porteuse d’une bonne nouvelle : ils ont été choisis pour monter à bord de l’arche de Noé. Malgré leurs différends avec leur ami, le petit pingouin, les deux compères ne peuvent se résoudre à l’abandonner : une grande valise et le tour est joué ! Voilà nos trois pingouins qui nous entraînent dans une traversée drôle et poétique.

L’Arche part à 8 heures est un conte écrit par Ulrich Hub, comédien, metteur en scène, scénariste et auteur dramatique allemand. Christian Denisart est tombé sous le charme de ce récit alors qu’il flânait dans les rayons d’une bibliothèque. C’est l’humour, la poésie ainsi que la touche philosophique qui ont charmé le metteur en scène, co-fondateur de la troupe Les voyages extraordinaires. Homme aux multiples facettes – d’abord ingénieur du son, il a ensuite développé des talents de chanteur, chroniqueur, scénariste, comédien et metteur en scène – Christian Denisart s’exprime avant tout par la musique. Elle est omniprésente dans nombre de ses spectacles et L’Arche part à 8 heures n’y échappe pas. L’épopée « pingouinesque » est rythmée par trois musiciennes issues du quatuor à cordes Barbouze de chez Fior. Vraies mécaniciennes célestes, elles font chanter leur violon tout en prenant part à la mise en scène.

Une immense fantaisie

La touche onirique passe donc par la musique mais pas seulement : les décors ont eux aussi quelque chose de magique et illustrent le goût de Christian Denisart pour la fantaisie et la démesure. Les enfants ne sont pas les seuls à pousser des cris d’exclamation, et pour cause : le travail scénographique est à couper le souffle. La pièce débute sur la banquise, vaste étendue blanche baignée d’une lumière bleue. L’immensité de ce terrain vague de glace est supposée grâce à l’utilisation de petits automates conçus par François Junod. Ils représentent les trois pingouins qui prendront bientôt vie et seront incarnés par les comédiens Adrien Rupp, Florian Sapey et Pascal Schöpfer. Tout comme la banquise, l’arche de Noé est colossale. On y aperçoit même le cou de deux girafes, la trompe d’un éléphant et les dents acérées d’un crocodile. En revanche, la cabine dans laquelle sont confinés les pingouins est exiguë pour ces animaux des grands espaces. Heureusement qu’ils sont habitués à se serrer les uns contre les autres pour se tenir chaud.

Un parfait métissage

C’est d’ailleurs ces trois pingouins qui apportent une touche douillette à l’atmosphère a priori glaciale. En effet, le spectateur s’attache à ces drôles d’oiseaux, vraies bizarreries de la nature. Si Dieu a créé les pingouins, « il a sacrément dû se mélanger les pinceaux ! » comme s’exclame le plus petit d’entre eux. Prisonniers de leur propre corps, ils sont vulnérables et malhabiles, à l’image de l’homme. Pas étonnant alors que le public ressente une certaine empathie pour ces animaux du pôle Nord. Les costumes des personnages, créés par Séverine Besson, illustrent parfaitement le lien, qu’on aurait cru inexistant, entre l’être humain et le pingouin. Avons-nous affaire à des hommes­–pingouins ou à des pingouins–hommes ? Le bas du corps est celui d’un animal dodu alors que le visage des comédiens est complètement libre. L’effet est déroutant : une gestuelle animale et une expression humaine. Et si ces créatures font rire par leur attitude maladroite, leurs questionnements sont aussi très touchants. Comme l’homme, ils s’interrogent sur les mystères de la vie : Dieu, le bien, le mal, la culpabilité, la résilience et la raison même de l’existence, alors qu’autour d’eux tout disparaît.

Un conte drôle, poétique et délicieusement philosophique mis en scène avec subtilité et délicatesse. Les trois pingouins vivent un drame : la fin du monde. Mais la simplicité avec laquelle ils abordent cet événement est d’une grande beauté, qui se retrouve dans tous les éléments de la mise en scène.

4 décembre 2013