Laverie Paradis
de Claude-Inga Barbey / mise en scène Séverine Bujard / Théâtre des Osses à Fribourg / du 8 novembre au 1er décembre / Critiques par Marie-Laurence Asselin et Jonas Guyot.
8 novembre 2013
Femme de cinquante ans cherche Sauveur de trente-trois ans

Saint suaire, eau de Jouvence, laisse d’un petit chien prénommé Jésus sont les accessoires qui permettent à Claude-Inga Barbey d’aborder sur le mode comique un sujet important et grave, celui de la foi dans notre société. C’est comme auteur et comme comédienne qu’elle présente son nouveau spectacle Laverie Paradis, qui réussit à faire naître de francs sourires sur le visage des spectateurs.
Tailleur rose bonbon, taille 44 trop serrée, souliers à talons fluorescents : voilà que Bernadette, femme de 50 ans qui vit dans l’attente que son Gilbert soit entièrement à elle, se retrouve dans une laverie. L’endroit parfait pour rencontrer d’autres femmes, qui attendent, comme elle, que leur cycle de lavage se termine. C’est là que Dieu enverra un de ses employés, un ange, pour convertir la pauvre femme durant sa peine d’amour. Un chiffon traîne, Bernadette s’en empare. Et voilà que l’ange doit le récupérer, consigne de son patron qui lui fait remarquer que c’était le « voile de Véronique ». Et, tâche complémentaire, l’ange a aussi pour mission de … convertir Bernadette.
Claude-Inga Barbey, humoriste, comédienne et écrivaine genevoise, n’hésite pas à jouer avec les questionnements intimes que peuvent avoir les spectateurs. Diffusée sur les ondes de la radio Suisse puis adaptée au théâtre en 2006, la pièce Betty présentait une psychiatre névrosée écoutant une patiente de cinquante ans parler d’internet et de superstitions, tandis qu’une équivoque s’installait au terme de laquelle on ne savait plus qui finissait par soigner qui. Pour Laverie Paradis, c’est de la foi dont il est question. Lorsque l’ange discute avec Dieu, ce dernier répond à ses propos par de violents coups de tonnerre. Et l’ange de plier. Barbey joue avec les métaphores et les paraboles pour expliquer qu’on peut toujours se relever de nos misères, et qu’il en existe d’autres, de pires, ailleurs que chez soi. Dans la salle d’attente d’un hôpital, après la laverie, les arguments sur la croyance religieuse dessinent un amusant débat. L’espoir y est incarné par une plante banale, qui a souffert de trahison, de rejet et d’abandon, mais qui conserve ses superbes pétales roses. À l’émission de radio « La ligne de coeur », une femme se décrit comme heureuse, malgré sa ventripotente physionomie, son manque d’homme à la maison et le laboratoire dans lequel elle vit, avec ses animaux de compagnie : tout permet de comprendre les messages que l’ange cherche à transmettre.
Le « Job » d’un ange
Le point est fait ici sur ce que la génération actuelle pense de la croyance religieuse : les gens d’aujourd’hui parlent plutôt de spiritualité, concept qui ne ramène pas directement à Dieu. Sans vouloir nous obliger à y croire, Barbey nous interroge sur notre foi elle-même. Croire en quelque chose n’est-il pas mieux que de ne croire en rien ? Lorsque le ciel se couvre et que nous devons sortir, n’est-il pas mieux de prendre un parapluie pour se couvrir lorsque l’averse aura éclaté ? Se protéger ne coûte rien. Dans la pièce, l’ange met en place le plan « Job » : il s’agit d’amener quelqu’un tout en bas pour lui faire comprendre que Dieu est là pour l’aider et le soutenir. Et c’est à ce moment précis qu’il pourra ouvrir les yeux et véritablement voir l’espoir.
Une période de plaisant purgatoire propre à l’examen de conscience, dans un lieu où « les machines tournent comme des gros animaux fatigués », c’est ce que nous offrent les deux comédiennes de Laverie Paradis. Des réflexions sont lancées, des réponses sont proposées, mais aucune n’est imposée. La pièce sera jouée jusqu’au 1er décembre : soyez curieux, allez vous interroger sur votre croyance intérieure.
8 novembre 2013
8 novembre 2013
Par Jonas Guyot
En quoi avez-vous foi ?

Dans un décor sans cesse en mouvement, Laverie Paradis, joué par Doris Ittig et Claude-Inga Barbey, interroge les différentes facettes de la foi dans le parcours mouvementé de la vie d’un être humain.
Un carré blanc marqué au sol forme l’aire de jeu qui semble trop petite par rapport à la scène du Théâtre des Osses. Des coulisses improvisées sont aménagées grâce à trois draps blancs qui constituent le fond du décor. Le tout semble précaire et pourtant, la magie opère. Le spectateur accepte d’être conduit de l’appartement d’une voyante à une laverie, en passant par une église, un terrain d’entraînement pour l’éducation des chiens, ou encore une salle d’attente d’un cabinet médical. Ces changements de lieu rapides sont astucieusement figurés par l’usage qui est fait des quelques éléments de mobilier. Un petit escalier de trois marches qui permet d’entrer en communication directe avec Dieu peut en effet se transformer en banc d’église et concrétiser la transition entre les différents espaces.
Dans ce décor sans arrêt en mouvement, les personnages eux-mêmes ne cessent de changer d’apparence. La comédienne Claude-Inga Barbey, qui est aussi l’auteure du texte, joue le rôle d’un ange gardien qui tente de convertir Bernadette, une pauvre femme dont les amours ont été déçues. Cet envoyé de Dieu cherche également à récupérer le Saint-Suaire enlevé négligemment dans une église par Bernadette. Dès lors, l’ange prend une multitude de visages afin de récupérer cette relique. Le recours à ces nombreux personnages tous incarnés par Claude-Inga Barbey s’avère être un procédé intéressant, mais ces figures n’échappent malheureusement pas toujours à la caricature, dans leurs propos comme dans le jeu. Ainsi, la comédienne endosse le rôle d’une espagnole à l’accent trop marqué, employée dans un pressing et se présentant comme une fervente catholique, adoratrice de la Vierge. On retrouve également le personnage d’une Suisse allemande qui par sa rigidité excessive n’échappe pas au cliché. Le spectateur admirera cependant la fluidité avec laquelle les métamorphoses de Claude-Inga Barbey s’enchaînent et appréciera l’humour qui en émane.
Quant à Doris Ittig, nous ne pouvons que relever l’incroyable charme qui se dégage de son personnage. Elle revêt le rôle de Bernadette, cette femme insignifiante et totalement banale qui suivra un véritable chemin de croix tout au long de la pièce. Trop bonne et généreuse, cette femme est l’archétype de celle qui a un cœur trop grand pour se rendre compte qu’on abuse d’elle. A l’étroit dans son tailleur rose bonbon, elle attend désespérément le jour où son Gilbert quittera sa femme. Cette figure pathétique sombre peu à peu dans le désespoir. Si Doris Ittig ne joue qu’un seul rôle dans la pièce, elle fait de son personnage un être assez complexe. Au premier abord un peu simple et naïve, Bernadette se révèle être un individu doté d’un autre type d’intelligence, qui émane d’une très belle sensibilité.
Le texte de Claude-Inga Barbey questionne de manière pertinente la place de la religion et surtout de la foi dans notre société. Il se moque gentiment des « bigots », des intellectuels un peu mondains qui condamnent la religion mais se jettent dans la spiritualité ou encore des charlatans, profitant de la naïveté de certaines personnes. Sans tomber dans le plaidoyer religieux, ou à l’inverse, dans le pamphlet anticlérical, l’auteure visite les multiples facettes de la foi en s’interrogeant sur la nécessité de croire en quelque chose. C’est le fameux plan « Job » qu’évoque tout au long de la pièce le personnage de l’ange gardien : il consiste à faire “toucher le fond” à une personne pour que la foi l’aide à remonter la pente. A la fin de la pièce, il reste à chacun de trouver en quoi il a foi.
8 novembre 2013
Par Jonas Guyot