Un homme, qui joue une femme déguisée en homme, embrasse une femme, jouée par un homme

Par Jonas Parson

Une critique du spectacle :
Le Triomphe de l’amour / de Marivaux / mise en scène Galin Stoev / Théâtre de Vidy à Lausanne / du 5 au 17 novembre 2013

© Mario del Curto

Entre faux-semblants et déguisements, Galin Stoev reprend dans sa mise en scène du Triomphe de l’amour de Marivaux à Vidy, avec une distribution entièrement masculine, un procédé qui n’a plus grand chose d’élisabéthain mais devient une célébration extravagante du travestissement. Un mélange audacieux et heureux entre burlesque et réflexion sur les troubles de l’identité.

L’intrigue de cette comédie est des plus simples : Léonide, princesse de Sparte, se déguise en Phocion, jeune homme du monde, pour entrer dans la demeure de son ennemi politique et philosophique, l’ermite Hermocrate, afin de séduire son disciple, Agis, dont elle est tombée amoureuse. Elle devra se faire aimer du philosophe et de son austère sœur pour arriver à ses fins, dans un parcours rempli de tromperies et de quiproquos, pour le plus grand plaisir du public.

Galin Stoev nous offre une réflexion sur les faux-semblants et les troubles de l’identité. Quand avons-nous affaire à des personnages qui sont sincères, et quand ne font-ils que dissimuler ? Le sur-jeu qui ôte volontairement tout réalisme aux personnages- on pense à l’excellente prestation de Nicolas Maury alias Léonide, dans un rôle de « folle » – jette un trouble sur la question de savoir qui trompe qui. Léonide joue un rôle dans l’intrigue, mais les faux-semblants et le travestissement se retrouvent aussi dans le travestissement des comédiens, ce qui ajoute un niveau de supplémentaire de tromperie dans la pièce.

Une farce extravagante

Le metteur en scène d’origine bulgare – qui a déjà mis en scène Marivaux à la Comédie Française et au théâtre du Jorat lors de la dernière saison – a décidé d’insister sur un certain caractère farcesque de la pièce, à grand renfort de claques, de poings brandis dans le dos, de chutes et d’une gestuelle exagérée. Les éléments les plus graves de la pièce – toute l’intrigue politique autour de la soif de justice de Léonide, l’insertion de la pièce dans un contexte presque tragique – sont dépouillés de leur sérieux et mis à distance par l’utilisation de micros pour les énoncer, les mettant en décalage total avec le reste de la pièce. Le recours au micro vient placer ces propos sur un autre plan d’énonciation, matériellement parlant, poussant ce fil de l’intrigue hors de la pièce. De même, les déclarations d’amour sont ridiculisées par une utilisation ironique de pathétiques morceaux au violon.

Une seule scène échappe à l’impitoyable ridiculisation : c’est celle de l’hébétude totale d’Agis lorsqu’il se rend compte de la tromperie de Léonide. La sobriété soudaine du jeu du comédien, qui se retrouve seul en scène, hagard, immobile, silencieux, est renforcée par le déroulement, auquel on assiste derrière le décor, d’une scène entre Léontine et Hermocrate. Plus enthousiastes l’un que l’autre, ils se réjouissent de leur décision de se marier- jusqu’à ce qu’ils se rendent compte qu’ils ont des vues sur la même personne. Agis, lui, a compris d’emblée la supercherie, et cet instant de lucidité nous offre une méditation sur les dégâts que peuvent causer le mensonge. Mais il n’est pas question de rester trop longtemps dans un registre sérieux, et la pièce retombe rapidement dans la farce.

Un « Marivaux pour tous » ?

Dans le contexte d’une banalisation de l’homophobie en France – marquée par la montée d’un mouvement contre le mariage pour tous -, le choix de Galin Stoev est délibérément provocateur. En faire une pièce « sur » l’homosexualité serait trop simpliste et réducteur, et il s’agit ici plutôt de saisir les troubles qui existent dans la construction de nos identités – identité des personnages, mais aussi des comédiens. Léontine par exemple, dans une maison interdite aux femmes, est devenue une « non-femme », qui ne se libèrera et s’assumera comme femme que par l’amour. Ceci évidemment de la manière la plus extravagante et fantasque qui soit, pour notre plus grand plaisir. Mais la question de l’homosexualité n’est jamais loin : la disparition des sentiments de Léontine pour Phocion après qu’il s’est révélé être une fille n’est pas aussi claire ici que dans le texte de Marivaux, et une certaine ambiguïté demeure.

Sans faire de grand discours, cette pièce vient simplement brouiller les identités des genres, et affirmer le triomphe de l’amour au-delà de tout genre ou orientation sexuelle.

 

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