Par Suzanne Balharry
Une critique du spectacle :
Les Femmes savantes / de Molière / mise en scène Denis Marleau / Théâtre de Vidy / du 29 octobre au 2 novembre / plus d’infos
Les échanges sont dynamiques et les comédiens, pour ponctuer leurs répliques, s’éclaboussent d’eau. Les Femmes savantes, dans une mise en scène de Denis Marleau, se joue autour d’un grand bassin qui se prête bien aux interventions fluides et jaillissantes des personnages. Si la transposition de la pièce aux années cinquante appelle quelques réserves, le jeu des comédiens rend la satire tout à fait vivante.
La transposition à l’époque moderne de la comédie de Molière jouée ce week-end au Théâtre de Vidy fonctionne. Elle garde les éléments originaux de la satire contre le pédantisme académique et, sur un autre plan, révèle que les conventions sont, malgré les siècles, toujours présentes dans les esprits. Bien qu’Henriette aime Clitandre d’un amour sincère, les femmes de sa famille veulent qu’elle épouse le poète Trissotin, qui déclame avec emphase ses œuvres littéraires autour du bassin. Philaminte, la mère, dont l’autorité inspire la crainte de son mari Chrysale, est persuadée que cet homme de lettres est talentueux et désintéressé. L’histoire révèle pourtant que ses véritables motivations concernent moins l’art que la fortune de la famille.
Le spectacle est avant tout rendu vivant par la qualité du jeu des acteurs. Carl Béchard, dans le rôle du pédant Trissotin, nous livre notamment une prestation cocasse où il ponctue ses déclamations poétiques par de grands gestes, et Christine Pasquier incarne le rôle détestable de Philaminte sans ciller. Les répliques de Molière s’enchaînent avec dynamisme, et Marie-Eve Beaulieu parvient à nous livrer malgré son petit rôle une version très séduisante de la servante Martine.
Cette transposition à l’époque moderne crée cependant une certaine confusion. Des passages tels que le monologue de Clitandre sur la Cour ne trouvent pas de sens cohérent dans ce contexte. La mise en scène pourrait insister un peu plus sur la critique de la pédanterie, qui est un peu troublée par la capacité à être ridicules des femmes cultivées de la pièce. Les comédiens Stefan Glazewski et Damien Heinrich, qui jouent les deux valets, savent jongler, ce que Denis Marleau décide d’exploiter à deux reprises dans le spectacle. Ces scènes donnent de la joie à la pièce et mettent en évidence qu’il y a des moments où les personnages sont joués comme des marionnettes. Elles ne sont malheureusement pas assez nombreuses pour transmettre ce message clairement. La première fois, les comédiens jonglent autour de Chrysale, soulignant le manque d’autorité du personnage joué par Henri Chassé. La seconde, le jonglage crée une pause dans le déroulement de l’action sans aucune raison, suscitant la surprise la plus totale des spectateurs. Denis Marleau, qui a remporté de nombreux prix, nous surprend donc cette fois-ci avec une pièce certes amusante sans vulgarité mais dont la cohérence dramaturgique n’est pas évidente.