On le rencontre tandis que s’écoule un flot de paroles féminines débridées sur les réseaux sociaux. Va-t-il condamner ce déballage public? Non. Il semble plutôt effaré par l’ampleur des harcèlements subis et salue cette façon de livrer de douloureux secrets trop longtemps tus. Le juge Grégory Bovey est de ces hommes qui écoutent. Lorsqu’il travaillait à Genève, comme avocat puis comme juge, il laissait les parties en conflit s’exprimer au-delà de la pertinence directe pour l’affaire car «les gens ont besoin de poser leur fardeau devant quelqu’un de neutre», dit-il.
Né à Lausanne en 1973, il a effectué ses études à l’UNIL et s’est vu très vite dans le rôle du juge pour «le point de vue objectif» plutôt que dans celui de l’avocat «qui doit épouser la thèse de son client même s’il ne la croit pas bonne». Grégory Bovey est un civiliste, un spécialiste du droit civil. En 2014, peu après la mort du juge fédéral Bernard Corboz, qu’il admirait beaucoup, le voici élu à son fauteuil. Il a alors 40 ans!
Droit de l’enfant à connaître son origine
Depuis, il fait partie des six juges de la 2e Cour de droit civil du Tribunal fédéral s’occupant de la famille, des successions, du droit de l’immobilier, de l’exécution forcée – manière pour le créancier de pouvoir récupérer ce qui lui est dû – et de la protection de l’adulte et de l’enfant. Parmi les affaires récentes de sa cour, il donne l’exemple (dans le domaine de l’état civil) d’un couple homosexuel soucieux de voir accorder, en Suisse, un statut de père à l’homme qui n’était pas le donneur dans une procédure de gestation pour autrui réalisée en Californie. Le TF en a décidé autrement, mais a fait mentionner le nom de la mère porteuse dans le dossier de l’enfant dans l’intérêt de ce dernier. Suivant cette logique, le Parlement suisse a récemment modifié le droit de l’adoption. Dès le 1er janvier 2018, une personne pourra adopter l’enfant de son partenaire.
Habituellement, le droit suisse de la filiation met en avant la relation sociale tissée entre les individus. Autre exemple: le cas d’un homme ayant reconnu l’enfant de celle avec qui il était lié par un mariage fictif; le TF a répondu positivement à la question de savoir si l’on pouvait faire subir à cet homme un test ADN de paternité. «Il n’entretenait aucune relation stable avec l’enfant, si bien que nous avons fait primer la vérité biologique sur un lien purement juridique», résume le juge.
Le Tribunal fédéral en surcharge
Parmi les questions dont est saisie la Cour suprême, certaines pourraient ne pas monter aussi haut. Les juges fédéraux doivent avant tout garantir l’application uniforme du droit fédéral sur tout le territoire suisse, rappelle Grégory Bovey. La révision en cours de la loi sur le TF devrait faire écho à une surcharge de travail que l’on peut résumer ainsi: «Nous traitons annuellement près de 8000 affaires et nous sommes 38». Le juge insiste sur une dimension qui doit rester celle des tribunaux cantonaux: l’appréciation des faits leur incombe, tandis que la Cour suprême n’a qu’un pouvoir très limité s’agissant de cet examen: «Le TF est juge du droit et non du fait».
Marié à une historienne de l’art, père d’un enfant de cinq ans, le spécialiste du droit de la famille s’insurge lorsqu’on évoque la préférence des juges pour la mère dans les affaires de divorce. Le TF, suite à l’entrée en vigueur du nouveau droit de l’autorité parentale a, notamment, posé des conditions à la garde partagée. «Seul l’intérêt supérieur de l’enfant motive le juge», insiste Grégory Bovey. «Sans changement sociétal, la mère reste, dans les faits, plus disponible la plupart du temps s’agissant de la garde des enfants.»