« Muscler » son cerveau protège la mémoire du déclin

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Dès l’âge de 40 ans, c’est une bonne idée de se préoccuper de son cerveau.
© Illustration originale de Louiza

À partir de l’âge de 50 ans, le vieillissement du cerveau s’accélère et la mémoire commence à flancher. Il est toutefois possible de lutter contre les méfaits du temps en veillant à son hygiène de vie.

Impossible de retrouver le nom de cet acteur pourtant célèbre. De se souvenir de la liste des produits à acheter au supermarché. De remettre un nom sur ce visage. Les plus de 50 ans rencontrent fréquemment ce type de difficulté, qui est tout à fait normale, même en l’absence de toute pathologie. Comme tous nos organes et tissus, notre cerveau vieillit, perdant de sa matière grise et de sa flexibilité. Son déclin, qui commence à l’âge de 25 ans, s’accélère une fois passé la cinquantaine, entraînant un affaiblissement de la mémoire.

Toutes les mémoires ne sont pas affectées de la même manière. Certaines résistent aux assauts du temps. C’est le cas de la mémoire procédurale (qui préserve nos automatismes, comme ceux qui nous permettent de marcher ou de conduire) ou de celle dite «perspective» (qui fait que, à notre insu, nous retenons des bruits et des images et que, ainsi nous reconnaissons des visages ou des lieux). Il en va de même de la mémoire sémantique (celle du langage et des connaissances) qui a même tendance à s’améliorer au fil des ans. En revanche, les mémoires «de travail» (à court terme) et «épisodique» (celle des moments que l’on a soi-même vécus) ont la fâcheuse tendance à flancher.

Toutefois, la baisse n’est pas inéluctable. Il est possible de la contrecarrer en «entraînant son cerveau», comme le conseille Mélanie Bieler-Aeschlimann. La neuropsychologue au Centre Leenaards de la mémoire du CHUV a d’ailleurs intitulé les conférences qu’elle donne dans le cadre de Pro Senectute: «Nourrissez votre cerveau, il vous le rendra.» Idéalement, dit-elle, «il faut s’en préoccuper à partir de 40 ans».

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Mélanie Bieler-Aeschlimann. Neuropsychologue au Centre Leenaards de la mémoire du CHUV. Nicole Chuard © UNIL

Marcher et danser

Toutefois, il n’y a pas d’âge pour bien faire. En particulier pour pratiquer des activités physiques, dont les effets protecteurs sur le cerveau ont été largement documentés. De nombreuses études ont en effet observé que les personnes qui sont physiquement actives sont moins affectées, quand elles vieillissent, par une baisse de leurs fonctions cognitives et qu’elles ont un plus faible risque de développer des démences. «Bouger, explique Mélanie Bieler-Aeschlimann, stimule la production de BDNF (Brain-Derived Neurotrophic Factor, ou facteurs neurotrophiques dérivés du cerveau).» Ces facteurs de croissance favorisent en effet la plasticité cérébrale, c’est-à-dire qu’ils accroissent la capacité du cerveau à créer de nouveaux réseaux de neurones ou à réorganiser les connexions entre ceux-ci. En particulier dans l’hippocampe et le cortex frontal, des centres dédiés à la mémoire et au contrôle des actions.

En outre, les BDNF «diminuent le nombre de molécules inflammatoires dans le cerveau», indique la neuropsychologue. Sans oublier que «l’activité physique améliore l’oxygénation du cerveau et apporte une détente, ce qui contribue à maintenir les neurones en bonne santé».

Concrètement, que faire? La spécialiste du CHUV renvoie aux recommandations de l’OMS (Organisation mondiale de la santé): «Pratiquer une activité modérée, par exemple marcher, entre 2h30 et 5h par semaine, et une activité intense, comme la course à pied ou le vélo, au moins 1h15 à 2h30.» Il faut y ajouter, «au moins deux fois par semaine, du renforcement musculaire (type pilates ou yoga) et au moins trois fois par semaine, des exercices renforçant l’équilibre (danse, taï-chi, etc.)».

Exercices cognitifs

«Muscler» son cerveau passe aussi, et cela dès l’enfance, par l’éducation qui permet d’accroître sa réserve cognitive. En d’autres termes, d’acquérir de nouvelles connexions entre les neurones. Plus ce capital est élevé, moins l’impact de la perte de neurones se fera sentir. Tout au long de la vie, associer la pratique d’une activité cognitive régulière à l’activité physique se révèle bénéfique.

En témoigne l’étude StayFitLonger à laquelle l’équipe du CHUV a participé, aux côtés de la HES Valais et de collègues belges et canadiens. À une partie des 120 personnes âgées qui y ont participé (le groupe témoin), il était proposé de faire des mots-croisés, des sudokus et autres jeux de ce type. Les autres avaient un programme beaucoup plus stimulant. Il était constitué «d’exercices physiques, cognitivo-moteurs (qui nécessitaient de réfléchir rapidement et de répondre avec les mains ou les pieds) et purement cognitifs (résolution de problèmes, exercice de mémoire, etc.) à faire sur des tablettes», résume Mélanie Bieler-Aeschlimann. Le programme «stimulait aussi la créativité des participants et participantes qui pouvaient proposer leurs propres contenus et les partager avec leurs pairs».

Au bout de six mois, ces exercices ont porté leurs fruits. Tout particulièrement pour «les individus pré-fragiles, c’est-à-dire qui présentaient les plus forts risques de déclin cognitif. Ce sont eux qui en ont tiré les plus grands bénéfices», observe la doctoresse du CHUV.

Une nourriture équilibrée

Faire fonctionner ses muscles et activer ses neurones est certes important, mais il ne faut pas pour autant négliger le contenu de son assiette. L’alimentation équilibrée compte également parmi les facteurs protecteurs du cerveau. De nombreuses études – et notamment l’étude MIND (menée en 2015 par la chercheuse Martha Clare Morris de l’Université Rush de Chicago) – ont conclu que «le régime méditerranéen, riche en fruits, légumes, légumineuses et huile d’olive et pauvre en sucre et en sel, assure un gain de vie en bonne santé de 7,5 ans et protège le cerveau», constate Mélanie Bieler-Aeschlimann. Les fruits et légumes renferment notamment des anti-inflammatoires. Pendant la nuit, «ces molécules attaquent les protéines toxiques accumulées pendant la journée et empêchent notamment la formation de peptides β amyloïdes» qui comptent parmi les responsables du développement de la maladie d’Alzheimer. En outre – comme le chocolat noir qui, lui aussi, est recommandé – les produits végétaux qui renferment des flavonoïdes sont censés préserver des maladies cardio-vasculaires. Or, «tout ce qui est bon pour le cœur, l’est aussi pour le cerveau», précise la neuropsychologue. D’autres régimes, «comme ceux à base de poissons riches en oméga-3» très courus au Japon, ont aussi les faveurs de la doctoresse. 

Partager ses souvenirs

Un repas est d’autant mieux apprécié qu’il est partagé. Il en va de même pour la mémoire qui se nourrit des interactions sociales. «Pour entretenir notre mémoire, il est important d’avoir des répondants et des répondantes», remarque Mélanie Bieler-Aeschlimann. À quoi sert en effet de retenir ce qu’on a lu ou vu, si l’on ne peut le raconter à personne?

Les relations sociales font donc partie de ce que la spécialiste nomme «les amis de la mémoire». À ce titre, elle compte aussi la musique – «en écouter est déjà suffisant pour améliorer les fonctions cognitives, mais en jouer apporte encore plus de bénéfices». Mais aussi «la gestion du stress, l’estime de soi, la quête de sens». S’y ajoutent de bonnes nuits: «Au cours du sommeil profond, on sélectionne – et mémorise – les évènements qui se sont produits pendant la journée. Quant aux rêves, ils activent la mémoire procédurale.» Sans oublier les facteurs psychologiques: «Des études ont montré que les personnes qui ont des attitudes positives face au vieillissement vieillissent mieux».

Quant aux «ennemis de la mémoire» que sont le tabac, les drogues, l’alcool, mais aussi les somnifères et les anxiolytiques, mieux vaut les bannir. Autant de conseils dont il faut se souvenir pour bien vieillir. Tout en restant d’humeur joyeuse puisque, selon Mélanie Bieler-Aeschlimann, «rire est bon pour la santé!»

Comment ne rien oublier quand on fait ses courses

Parmi les mémoires qui déclinent lors du vieillissement se trouve la mémoire prospective, celle qui nous permet de réaliser un acte dans le futur, comme prévoir de faire ses courses au supermarché.

Comment faire pour ne rien oublier? On peut bien sûr établir une liste des produits à acheter et penser à la consulter une fois sur place. Mais aussi avoir recours à la «méthode des lieux qui est fondée sur la mémoire visuelle et spatiale», souligne Mélanie Bieler-Aeschlimann.

«On crée un trajet à l’intérieur de son domicile et, dans chaque pièce, on définit un point de repère. Par exemple, on imagine que l’on met une plaque de beurre dans la penderie, des oranges sur la table de la cuisine, du pain dans la boîte aux lettres. Une fois dans le magasin, on chemine dans sa tête à l’intérieur de son logement et l’on se remémore ainsi ce que l’on avait placé à chaque endroit.»

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