Les drones défient le droit

Illustration Eric Pitteloud
David Spring, rédacteur, UNICOM

Placé sous le sapin de Noël à l’intention du petit neveu, le drone n’a pas mis longtemps avant de survoler le jardin du voisin. Outre le plaisir du pilotage, c’est la possibilité d’embarquer une caméra qui fait tout le sel de cet ingénieux robot. Ensuite, comme le vante un fabricant, rien de plus simple que d’utiliser «l’interface conviviale pour transférer votre vidéo en un clic vers YouTube». Et voilà: un générique ajouté, un peu de musique pour l’ambiance et le meeting aérien du quartier est en ligne.

Bien entendu, Junior ignore qu’il vient peut-être de commettre quatre infractions différentes à la Loi sur la protection des données, pour autant que des personnes identifiables se trouvent sur son court métrage. Comme avec d’autres nouveautés technologiques rendues accessibles à tous, les drones traversent une phase d’apprentissage et de jeu avec les limites: ce qui est faisable se réalise.

Dans un rapport publié fin 2006, le Préposé fédéral à la protection des données estimait déjà que «les prises de vues aériennes, notamment par les drones, constituent un plus grand risque d’atteinte aux droits de la personnalité». Car contrairement aux caméras de surveillance, qui sont immobiles et dont le champ de vision est limité dans l’espace, les engins volants sont libres comme l’air…

Ces appareils possèdent d’évidentes applications dans le domaine de l’espionnage. En Suisse, le projet de Loi fédérale sur le renseignement prévoit en son état actuel que le Service de renseignement de la Confédération pourrait «observer des événements et des installations dans des lieux publics ou dans des lieux librement accessibles et y effectuer des enregistrements visuels et sonores. Il peut utiliser à cet effet des aéronefs ou des satellites.» Ce qui comprend donc les drones.

Notre armée cherche à acquérir des modèles modernes auprès de sociétés israéliennes, l’un des pays leader de cette industrie. Et c’est évidemment l’utilisation de ces robots dans l’élimination des cadres de haut rang d’Al-Qaïda et de ses affiliés qui soulève le plus de questions. Emblématiques de la présidence Obama, les drones observent et tuent dans des pays avec lesquels les Etats-Unis ne sont pas en guerre, comme le Pakistan, le Yémen ou la Somalie. Leurs cibles, choisies selon des critères secrets, ne portent pas l’uniforme d’une armée régulière. Les frappes, parfois réalisées au mauvais endroit et au mauvais moment, font des victimes civiles. Le droit international humanitaire s’en trouve bousculé, mais n’est pas totalement démuni (lire l’article).

Plus de 50 pays possèdent déjà ces appareils, ou en développent. Une mode rationnelle, puisqu’ils présentent le double avantage de coûter moins cher que les avions de chasse, et de réduire à zéro les pertes humaines – du côté des pilotes. L’idée que de nombreuses nations, s’inspirant du précédent américain, les utilisent pour frapper leurs ennemis n’importe où déboucherait sur un véritable cauchemar, évoqué par le président du CICR Peter Maurer: le monde entier transformé en potentiel champ de bataille.

Emblématiques de la présidence Obama, les drones observent et tuent dans des pays avec lesquels les états-Unis ne sont pas en guerre.

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