Germaine & Benjamin, les enfants terribles des Lumières

Benjamin Constant. Portrait par Lina Vallier, d’après Eugène Dévéria.
© RMN – Grand Palais, Coll. Château de Versailles

Le couple formé par Germaine de Staël et Benjamin Constant fait l’objet d’une exposition et d’un livre. Intellectuels engagés, les deux amants nous emmènent au travers de l’Europe troublée du tournant du XIXe siècle. Aujourd’hui, leurs combats pour la liberté restent d’une grande actualité.

Dès le 20 mai, et pour toute la belle saison, la Fondation Martin Bodmer (à Cologny) accueille l’exposition Germaine de Staël et Benjamin Constant, l’esprit de liberté. Sous le même titre, un ouvrage-catalogue collectif est publié en parallèle. Estivaux, ces évènements promettent par conséquent quelques orages.

Depuis leur rencontre en 1794 jusqu’à leur prise de distance en 1811, «le couple a traversé une époque charnière, le tournant des Lumières, explique Léonard Burnand, directeur de l’Institut Benjamin Constant (Faculté des lettres) et maître d’œuvre des deux projets. Dans la tourmente révolutionnaire et napoléonienne, c’est une Europe nouvelle qui s’est dessinée.» Ainsi, la châtelaine de Coppet et le natif de Lausanne écrivent et se battent au cœur du cyclone.

L’année 2017 constitue un double anniversaire, c’est-à-dire les 200 ans de la mort de l’auteure de Corinne, ainsi que les 250 ans de la naissance de celui d’Adolphe. Dans une approche novatrice, ce duo à la dynamique explosive joue le fil rouge de l’exposition et du livre.

«Née en 1766, Germaine de Staël a grandi dans le salon de sa mère Suzanne Necker, épouse de Jacques, le ministre des Finances de Louis XVI. Soit presque sur les genoux de Diderot et D’Alembert. Elle est l’enfant prodige du Paris des intellectuels», raconte Léonard Burnand. De son côté, Benjamin Constant a connu des jeunes années plus aventureuses et a voyagé passablement, en Allemagne ou en Ecosse.

Leur rencontre survient le 18 septembre 1794, à Montchoisi (Lausanne). «J’ai trouvé ici ce soir un homme de beaucoup d’esprit qui s’appelle Benjamin Constant. Pas trop bien de figure, mais singulièrement spirituel», écrit-elle le jour même. De son côté, l’écrivain est ébloui et, à sa manière inimitable, tombe aussitôt «passionnément amoureux», comme il l’écrit bien plus tard dans Cécile.

Sous le signe de la liberté
Arrivés à Paris en 1795, pendant la Révolution, ils «désirent agir et peser sur le cours des évènements», note Léonard Burnand. Leur complicité intellectuelle s’inscrit sous le signe de la liberté. Alors bien moins célèbre que sa compagne, le Lausannois se lance en politique. Mais en 1803, Germaine de Staël est chassée de la capitale française par Napoléon. Accompagnée dans son exil par Benjamin Constant, elle convertit son château de Coppet en un lieu de résistance à l’Empereur, ainsi qu’à tous les despotismes. Son salon devient un creuset du libéralisme. Les amants, qui maîtrisent plusieurs langues, jouent également un rôle de passeurs culturels et font, par exemple, connaître le romantisme allemand au public francophone.

Quels sont leurs combats? L’abolition de la traite des Noirs, la défense de la diversité culturelle, la tolérance religieuse ou encore la liberté de la presse. De plus, Germaine de Staël a eu l’audace d’exister politiquement, de diffuser ses idées dans un contexte où les femmes étaient reléguées dans la sphère privée. Ainsi, Napoléon n’a jamais toléré que cette étrangère, protestante de surcroît, juge des affaires de son temps. De son côté, Benjamin Constant, notamment dans Adolphe, se demande comment un individu peut rester libre sous le poids du regard d’autrui. Enfin, leur vision de l’Europe, unie mais diverse, garde son acuité. Ces engagements trouvent bien sûr un écho de nos jours. «L’un de nos buts consiste à montrer l’actualité de leur pensée», souligne Léonard Burnand.

Orages intimes
La dernière partie de l’exposition et du livre traite des aspects intimes d’un couple souvent en crise. «Leurs esprits se sont trouvés, mais pas toujours leurs cœurs», image le directeur de l’Institut Benjamin Constant. Elle, possessive, jalouse et très exigeante, capte toute la lumière. Lui, hésitant et tourmenté, a de la peine à répondre à ses attentes. Si leur correspondance a été presqu’entièrement détruite par leur fille – supposée – Albertine, un contrat amoureux passé entre les deux amants, et daté d’avril 1796, est présenté à la Fondation Martin Bodmer. Ce document exceptionnel commence par: «Nous promettons de nous consacrer réciproquement notre vie […]». Aux visiteurs de découvrir la suite! Benjamin Constant, qui a survécu 13 ans à son amie, lui reste attaché et en garde un souvenir ému, ainsi qu’en témoigne un autre texte montré à Cologny.

Afin d’ancrer cette aventure intellectuelle et amoureuse dans sa réalité matérielle, l’exposition donne à voir de nombreux manuscrits-phares du Lausannois, comme celui d’Adolphe, ainsi que des journaux intimes. Un fonds important de l’écrivain et homme politique est en effet conservé à la Bibliothèque cantonale et universitaire, à Dorigny. Certains écrits sont codés, afin de déjouer la curiosité des domestiques. Plus surprenant encore, les visiteurs découvrent des «produits dérivés», comme un éventail ou un tabatière à l’effigie de Benjamin Constant. Les premières éditions des grandes œuvres de Germaine de Staël, des traductions, des versions pirates ainsi que des volumes illustrés et très rares sont également visibles.

A la sortie du musée, tout en admirant la vue sur Genève et le Léman, les visiteurs peuvent s’amuser d’une coïncidence. Le terrain qui accueille la Fondation Martin Bodmer a appartenu à… l’oncle paternel de Germaine de Staël. Autour de la châtelaine de Coppet, bien des destins sont liés.

Cologny. Fondation Martin Bodmer. Du 20 mai au 1er octobre. Ma-di 14h-18h. fondationbodmer.ch. 022 707 44 36

Germaine de Staël et Benjamin Constant, l’esprit de liberté. Sous la dir. de Léonard Burnand, Stéphanie Genand et Catriona Seth. Perrin. Fondation Martin Bodmer (2017), 208 p.

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