Produite par L’éprouvette, le Laboratoire Sciences et Société de l’Université de Lausanne, l’exposition Techno-mondes vise à donner la parole à la jeune génération, directement concernée par les impératifs de renouveau d’imaginaires technologiques.
A l’invitation de la commissaire de l’exposition, la Prof. Nathalie Dietschy (Section d’histoire de l’art, Faculté des lettres), les artistes proposent leur propre regard sur des facettes diverses des technologies. Intelligence artificielle, technologie de pointe, photographie de jeux vidéo (in-game photography), ou récompenses virtuelles, l’exposition explore le potentiel renouvellement de nos représentations du monde par les nouvelles technologies et propose des rapports alternatifs aux univers simulés et virtuels.
Des étudiantes et étudiants du cours de Master « Les machines au service des artistes ? » de la Prof. Nathalie Dietschy contribuent à l’exposition, en rédigeant tous les textes qui l’accompagnent. Techno-mondes vise ainsi à donner la parole à la jeune génération, directement concernée par les impératifs de renouveau d’imaginaires technologiques.
L’expo dans la presse
« Techno-Mondes » dans L’auditoire (n°273, mars 2023, p.23)
« L’exposition « Techno-mondes » imagine nos futurs » dans L’uniscope (21 mars 2023)
« Actu Culturelle » dans Vertigo RTS (27 avril 2023).
« Interview Pascal Greco » dans Superflux – Couleur 3 (12 mai 2023)
« Comment composera-t-on demain? » dans L’écho des pavanes RTS (27 mai 2023).
« A Lausanne, l’art technologique est dans le pré » dans Le Temps (8 juillet 2023)
Mariana Alves
Master en humanités numériques et en sciences politiques, UNIL
Après avoir obtenu un Bachelor en science politique et en français en Grande-Bretagne, je suis venue en Suisse pour suivre un Master en humanités numériques à l’Université de Lausanne. Je suis particulièrement intéressée par les problèmes socio-politiques et l’impact des technologies. Mon intérêt pour le numérique m’a portée à choisir le master en humanités numériques de l’UNIL, car il me permet de développer des compétences en programmation qui, selon moi, deviennent de plus en plus importantes.
Valentine Cuenot
Master en histoire de l’art et en humanités numériques, UNIL
Étudiante depuis 2018 à Lausanne, j’aime apprendre de nouveaux savoir-faire et me confronter aux aspects pratiques du monde de l’art. En 2021, j’ai eu le privilège d’être la commissaire d’une exposition en ligne, Fascinating Fears, lors de mon échange en Grande-Bretagne. Cette expérience m’a inspirée pour continuer à combiner art et numérique dans mes études. Pendant mon temps libre, j’aime lire, faire du théâtre, de la grimpe et je suis active dans diverses associations citoyennes.
Sandra Camelia Duma
Master en humanités numériques et en anglais, UNIL
Diplômée de la Faculté des lettres de l’Université de Genève, mon parcours académique et personnel m’a offert la possibilité de cultiver plusieurs expériences au sein des disciplines créatives, qu’elles soient littéraires ou visuelles. Codeuse graphique amatrice et intriguée par la programmation, j’ai choisi le Master en humanités numériques de l’UNIL pour approfondir ces intérêts et me construire un bagage technique solide pour la suite de mon parcours en arts et humanités, aspirant à une carrière professionnelle dans le domaine créatif.
Marylou Gasser
Master en français, avec spécialisation en édition, UNIL
Étudiante en Master en littérature française à l’UNIL avec spécialisation en édition, je m’intéresse particulièrement à la création littéraire et à l’interdisciplinarité dans les arts. Mes études me permettent d’explorer d’autres domaines et de rejoindre des projets stimulants, comme la participation à cette exposition.
Marcela Havrilova
Master en humanités numériques et en informatique pour les sciences humaines, UNIL
Je suis étudiante en Master à l’UNIL où je poursuis mes études en humanités numériques et en informatique pour les sciences humaines. Mon intérêt est tourné vers l’utilisation des technologies numériques pour analyser la musique et comprendre les émotions qui y sont associées. Je suis également passionnée par la céramique et j’expérimente la combinaison de la technique de l’impression 3D avec l’argile afin de produire des créations uniques et innovantes.
Chloé Luthier
Master en humanités numériques et français moderne, UNIL
Étudiante en master à l’UNIL, en humanités numériques et français moderne, et assistante-étudiante dans le cadre d’un projet sur les fictions interactives en informatique pour les sciences humaines, je m’investis parallèlement à mes études dans le domaine associatif, dans le cadre d’une revue féministe Mets tes Palmes (Vevey) et d’un collectif, La Talweg, qui organise des événements musicaux dans la région.
Furaha Mujynya
Master en histoire de l’art et anglais, UNIL
Je suis étudiante en Master en histoire de l’art et anglais. J’aime découvrir de nouvelles cultures et technologies à travers l’art, la musique et la littérature. La culture en général me passionne, ce qui m’a poussé vers la rédaction d’articles dans ce domaine pour le journal des étudiantes et étudiants de l’UNIL, L’auditoire. Passionnée de littérature japonaise, je prépare mon mémoire de Master en littérature comparée sur les nouvelles japonaises et américaines.
Rebecca Onesti
Master en histoire de l’art et en sciences historiques de la culture, UNIL
Après avoir terminé mon Bachelor en lettres (en histoire de l’art et italien), je suis actuellement en première année de Master en histoire de l’art et en sciences historiques de la culture (SHC). Passionnée par l’art de la deuxième moitié du XXe siècle à nos jours, j’ai pu, au cours de mes études, me pencher sur plusieurs thématiques telles que les pratiques d’exposition ou les méthodes queer dans l’art ou la photographie. Récemment, mon intérêt se tourne vers les arts sonores et numériques.
Alexia Paratte
Master en mathématiques, EPFL
Je suis actuellement un Master en mathématiques à l’EPFL, mais j’ai toujours été intéressée par le graphisme et le dessin. Je pense que les sciences et l’art se combinent parfaitement, et je suis ravie d’avoir accès à ces deux mondes.
Veritsa Vuchkova
Master en anglais et en histoire de l’art, UNIL
Étudiante de Master en anglais et en histoire de l’art, je suis passionnée par l’art du langage et le monde des images. J’aime explorer tout ce qui touche aux domaines de la poésie, des mythes et de l’écolittérature.
La commissaire de l’exposition
Nathalie Dietschy est professeure assistante (tenure-track) à la Section d’histoire de l’art (Faculté des lettres) de l’Université de Lausanne. Historienne de l’art spécialiste de la période contemporaine, elle s’intéresse en particulier à la photographie dans ses rapports à l’art contemporain. Ses recherches portent notamment sur les représentations du Christ, le livre de photographie, la photographie à l’ère numérique (ou post-photographie), ainsi que les images générées par les machines (GAN, etc.).
Elle est l’auteure de l’ouvrage Le Christ au miroir de la photographie contemporaine (Alphil, 2016) et de The Figure of Christ in Contemporary Photography (Reaktion Books, 2020), et a coédité Le Christ réenvisagé (Infolio, 2016) et Jésus en représentations (Infolio, 2011). Elle a publié plusieurs articles dans des revues scientifiques ainsi que dans des catalogues d’exposition, notamment pour Andres Serrano et David LaChapelle.
Elle a assuré le commissariat ou participé au commissariat de plusieurs expositions (« Le livre de photographie et ses auteurs », à la Bibliothèque nationale suisse, 2015-2016 ; « L’art se livre », au Musée des beaux-arts du Locle, 2014-2015). Elle a travaillé plusieurs années en tant que commissaire d’exposition associée à la Foundation for the Exhibition of Photography (FEP).
Le mot de la commissaire
Techno-mondes : Comment penser demain ?
Lors d’une conférence donnée en 2018, Frieder Nake, parmi les pionniers de ce qu’on appelle l’art informatique, pose la question suivante : « Les machines de calculs aiment-elles dessiner ? Et si oui, pourquoi ? » (Nake, 2018). Frieder Nake, professeur en informatique, figure parmi les premiers à produire des dessins à l’aide d’un ordinateur et d’un traceur (plotter) au début des années 1960. Tout comme Michael Noll ou George Nees, à la même période, il expérimente la génération de dessins algorithmiques à partir d’instructions fournies à un ordinateur.
Les conditions techniques des années 1960 ont largement évolué depuis. Les premiers essais graphiques se font sur des ordinateurs prêtés par des universités, des institutions météorologiques ou des industries, rares lieux à posséder de telles machines. À l’époque, l’ordinateur est conçu comme un instrument, un outil au service de l’humain, réservé aux spécialistes. Frieder Nake, le confirme : « vous n’auriez jamais pensé, ne serait-ce qu’une seconde, que la machine fasse quelque chose pour vous à l’exception d’actions insignifiantes. Vous faites tout. Vous êtes aux commandes de cette machine. » (Ma traduction, Nake, 2018).
Qu’en est-il aujourd’hui à l’ère des smartphones et leur caméra élaborée, des jeux vidéo à l’hyperréalisme impressionnant, des deepfakes aux résultats confondants et des logiciels de génération d’images telles Stable Diffusion, Midjourney ou Dall-e, qui produisent des images à tel point sophistiqué qu’il devient impossible de distinguer qui de l’homme ou de la machine se trouve derrière ces images ? On se souvient du test imaginé par le mathématicien Alan Turing en 1950, devant mesurer la capacité de l’ordinateur à imiter un discours humain (Turing, 1950). Cette expérience, qui donnera lieu à la discipline de l’IA (l’intelligence artificielle), vise déjà à déterminer si l’ordinateur peut réussir à feindre l’humain à tel point qu’il n’est plus possible de différencier l’homme de la machine.
De nos jours, les outils technologiques sont partout, autour de nous, sans que nous nous rendions toujours compte de leur présence, ou que nous maîtrisions leur fonctionnement. L’arrivée de ChatGPT, robot conversationnel qui produit du discours, a récemment déclenché un vif débat sur les rapides développements des IA, leurs promesses de progrès, mais aussi les risques posés par ces nouveaux outils, notamment en ce qui concerne l’information, les emplois, et plus largement la place de l’humain et la perte de contrôle que pourrait provoquer de prochaines évolutions. Dans nos sociétés de la disruption, que Bernard Stiegler a analysées (Stiegler, 2016), lieux d’accélération de l’innovation s’appuyant sur les technologies numériques, comment penser notre monde ? Comment penser demain ?
La pétition signée en mars dernier par des centaines de spécialistes, dont Elon Musk, Steve Wozniak et Evan Sharp, réclamant un moratoire sur les développements en IA, sonnent comme un constat cynique : les puissants de notre monde, dont les industries fonctionnent grâce aux progrès technologiques, demandent à freiner les recherches en IA. Trop tard… Demain, c’est déjà aujourd’hui, voire hier.
Il est ainsi capital de prendre le temps, de regarder, d’imaginer, de réfléchir à des imaginaires technologiques et numériques. C’est ce que l’exposition Techno-mondes souhaite susciter : une réflexion sur nos futurs possibles au travers de quatre projets inédits, réalisés spécifiquement pour l’exposition, pour penser notre monde (fig. 1).
Quatre projets inédits
Quatre artistes proposent leur propre vision de techno-mondes possibles : Catherine Leutenegger, Camille Scherrer, Matthieu Gafsou et Pascal Greco. Ils étaient libres d’interpréter la thématique selon leur pratique et centres d’intérêt, en respectant toutefois les contraintes liées au lieu d’exposition, à l’environnement extérieur.
L’exposition s’ouvre avec la série Centre d’imagerie Dubochet (2022, fig. 2) de l’artiste plasticienne et photographe vaudoise Catherine Leutenegger. Il me paraissait naturel de confier à Catherine Leutenegger ce projet consacré au Centre d’imagerie Dubochet (DCI UNIL-EPFL), situé sur le campus de l’UNIL, à quelques pas du lieu d’exposition.
Les prises de vue de Catherine Leutenegger, habituée des laboratoires et des systèmes d’imagerie de pointe, aux divers effets chromatiques et aux jeux d’échelle soulignent le pouvoir des nouveaux instruments technologiques (des microscopes électroniques parmi les plus puissants au monde) dans la compréhension de la vie. Ouvrant la porte de laboratoires réservés aux spécialistes, la photographe mêle imaginaire futuriste et recherche scientifique pour convier à de nouveaux possibles grâce aux progrès techniques.
L’exposition se poursuit avec le projet proposé par Camille Scherrer, artiste et designer romande. Avec Vestiges 3.0 (2023, fig. 3), elle explore la société de l’approbation dans laquelle les plateformes numériques ou les jeux vidéo nous convient par l’usage de « likes », de motifs de récompenses : des cœurs, des pièces d’or, des étoiles, etc. Les éléments issus des univers des jeux vidéo prennent une dimension monumentale et s’invitent dans le monde réel. Camille Scherrer a pensé son projet spécifiquement pour le lieu d’exposition, dans son rapport à la nature. Le cœur géant installé dans le pré (Get a life, fig. 4), comme tombé du ciel, va se voir envahir par les herbes du champ durant les mois de l’exposition, la nature reprenant ses droits. Mais cet univers pixelisé et joyeux cache-t-il notre désir d’être sans cesse validé, approuvé, aimé ? Et vous, obtiendrez-vous une récompense ? Il vous faudra scanner le QR code affiché sur l’étoile située dans le pré pour le savoir…
Techno-mondes se poursuit avec les paysages de Pascal Greco, cinéaste et photographe autodidacte basé à Genève, paysages qui sont des simulations, capturés dans différents jeux vidéo, une pratique photographique appelée « in-game photography », qui implique la déambulation dans des espaces virtuels. L’exposition présente une série inédite, intitulée Nouveaux territoires (2022-2023, fig. 5), pour laquelle Pascal Greco a navigué dans divers jeux (Stray, 2022 ; Cyberpunk 2077, 2020 ; Tom Clancy’s Ghost Recon Wildlands, 2017, Death Stranding, 2019 ou encore Assassin’s Creed Valhalla, 2020).
Les paysages hyperréalistes issus des jeux vidéo s’insèrent de manière saisissante dans l’espace d’exposition, en plein air. Il était important, dès le départ, de confronter la vue exceptionnelle du lieu, face aux montagnes et au lac, et les paysages virtuels troublants proposés par l’artiste. Des territoires qui paraissent avoir été photographiés « sur le motif », mais qui constituent en réalité des images fabriquées. Des mondes technologiques qui miment le réel peut-être jusqu’à s’y substituer…
Enfin, c’est dans les rapports entre machines et humains, entre intelligence artificielle et vivants que Matthieu Gafsou a pensé sa nouvelle série réalisée pour Techno-mondes. Avec les derniers programmes de génération d’images utilisant l’intelligence artificielle (notamment le logiciel Dall-e), le photographe romand fait le récit d’une planète en ruine, habitée d’êtres étranges et fantastiques, où règnent scènes de violence et objets en décomposition. C’est la première fois que Matthieu Gafsou travaille avec une intelligence artificielle telle que Dall-e, qui génère des images à partir d’instructions textuelles (qu’on appelle des prompts). Dans sa série intitulée Chimères (2023, fig. 6), Matthieu Gafsou brosse le portrait d’un monstre techno-mythologique, cosmos double, produit de l’imagination humaine et machinique. Le photographe nous plonge dans un monde sombre, mais où la poésie s’immisce, ainsi que le végétal, derniers refuges peut-être dans un monde pensé par les algorithmes.
Techno-mondes vous invite à découvrir quatre regards, de quatre artistes, pour penser le numérique aujourd’hui et imaginer demain. Comment l’innovation technologique réinvente-t-elle nos rapports au réel ? Quelles images du monde les outils technologiques offrent-ils ? Quels mondes peut-on envisager ?
La plaine de l’Unithèque, devant la Bibliothèque cantonale et universitaire, offre un décor champêtre et une vue exceptionnelle. C’est ici, dans ce cadre universitaire, lieu d’échanges des connaissances, d’enseignement et de recherche, mais aussi en pleine nature, que l’exposition a été conçue (fig. 7).
Un projet pédagogique
Il faut encore préciser que l’exposition Techno-mondes est aussi un projet pédagogique. Tous les textes accompagnant l’exposition ont été rédigés par des étudiantes en Master, issues de plan d’études divers (histoire de l’art, Master en humanités numériques de l’UNIL, et même une étudiante de l’EPFL qui suit Master en mathématiques). Ces différents regards d’étudiantes font aussi l’originalité de cette exposition. Il s’agissait de les faire travailler sur des corpus nouveaux, sur des œuvres récentes, leur permettre de discuter avec les artistes, de réaliser des interviews que vous retrouverez sur le site web de l’exposition. Une opportunité unique, mais aussi un défi pour ces étudiantes, confrontées à la difficulté d’étudier des œuvres inédites encore vierges de littérature secondaire, et de rédiger des textes d’exposition qui s’adressent à un public large et varié.
Techno-mondes est une invitation à la découverte de quatre projets qui offrent matière à réfléchir sur les divers usages des technologies et des cultures numériques et qui questionnent les représentations du monde qu’elles entraînent. Camille Scherrer, Matthieu Gafsou, Catherine Leutenegger et Pascal Greco imaginent des futurs technologiques possibles, des futurs peut-être déjà bien présents.
Bienvenue dans les « techno-mondes » !
Prof. Nathalie Dietschy
Commissaire de l’exposition
Section d’histoire de l’art (Faculté des lettres, UNIL)
Remerciements
De nombreux services de l’UNIL ont été associés à la mise en place de cette exposition. C’est à David Javet, médiateur à L’éprouvette, le Laboratoire Sciences et Société de l’UNIL, que revient l’idée de monter une exposition autour des futurs numériques, dans le cadre du programme de médiation scientifique « Cultures numériques ». Jennifer Genovese, médiatrice à L’éprouvette, a pris en charge la coordination et la production de l’exposition. Qu’ils soient ici chaleureusement remerciés !
Références
Nake Frieder, « Do Calculating Machines Like Drawing ? And if so, Why ? », Code Mesh LDN 18, Londres, 9 novembre 2018, mis en ligne sur Youtube le 24 décembre 2018, URL : https://www.youtube.com/watch?v=x-qAPvYdXgM
Stiegler Bernard, Dans la disruption. Comment ne pas devenir fou ?, Paris, Les liens qui libèrent, 2016.
Turing Alan, « Computing Machinery and Intelligence », Mind, LIX, n°236, octobre 1950, pp. 433-460, doi :10.1093/mind/LIX.236.433, ISSN 0026-4423