Valentine Sergo et Maria Mettral

Entretien radiophonique avec la metteuse en scène et la comédienne.

Le 19 mars 2022, la metteuse en scène Valentine Sergo et la comédienne Maria Mettral se sont entretenues dans l’émission À vous de jouer, animée par Daniel Rausis sur Espace 2 (RTS), avec Marc Escola, professeur à l’UNIL. Ils reviennent sur la mise en scène du Malade imaginaire par la compagnie Uranus, créée au Théâtre l’Alchimic en janvier 2010.

Avec l’aimable autorisation de la RTS, nous publierons ici l’entretien sans intermède musical (20 min.) :

Entretien chez Daniel Rausis (Espace 2 – RTS) entre Marc Escola, Valentine Sergo et Maria Mettral.

Pour écouter l’émission complète (1h), cliquer ici.

Pour aller plus loin

Du matériel supplémentaire est disponible sur le site de la compagnie Uranus. Un teaser est disponible en libre accès :


« Pour un·e dramaturge, Molière est très désinhibant. » Entretien avec Valentine Sergo

Cet entretien a été réalisé le 31 mars 2021 à Lausanne.

Josefa Terribilini : Que représente Molière pour vous ?

Valentine Sergo : J’ai découvert Molière durant mon enfance. J’ai été passionnée de théâtre depuis toujours, et Le Malade imaginaire a été la première pièce que j’ai jouée quand j’étais adolescente, dans le cadre de mon parcours à l’école Steiner. 
Et puis, de façon plus générale, ce qui m’a beaucoup touchée chez Molière par la suite, c’est qu’il était acteur. Je suis moi-même arrivée à la mise en scène et à l’écriture par le statut d’actrice : j’ai fait une première mise en scène dix ans avant Le Malade imaginaire, mais je n’assumais pas encore pleinement ma nouvelle casquette. Ma véritable entrée en mise en scène a donc été pour moi ce Molière que j’ai décidé de monter quand j’ai créé ma compagnie de théâtre. Je prenais un virage : je montais une troupe, je m’excluais de la distribution (je n’ai gardé que le rôle de Béline) pour conserver un regard vraiment extérieur. Je n’avais travaillé que sur des formes contemporaines et j’avais envie de me confronter aux classiques. En même temps, j’en avais très peur, et Molière s’est révélé être un bon moyen d’oser, parce qu’il était moins intimidant que Racine, Corneille ou Shakespeare : ses dialogues sont souvent en prose (je n’osais pas me frotter à l’alexandrin), et l’on sent surtout qu’il avait une vraie compréhension du plateau. En outre, j’avais envie de rire, de m’amuser, d’explorer le comique –  ce qui n’est pas simple du tout au théâtre, je trouve, car le rire est parfois beaucoup plus difficile à mettre en scène à cause du sens du rythme extrêmement précis qu’il nécessite. Molière était ainsi une belle occasion de découvrir comment parler d’aujourd’hui en prenant appui sur un auteur ancien. 

J.T. : Qu’est-ce qui fait selon vous que cet auteur du XVIIe siècle soit encore joué aujourd’hui ?

V.S. : La force de Molière est qu’il a sublimé la lignée de la commedia dell’arte, et la commedia a été l’un des premiers théâtres qui a mis en scène des gens du peuple. C’est en cela qu’il est actuel : on s’y retrouve encore aujourd’hui, parce que son théâtre parle de nous. Évidemment, les relations père-fille sont un peu différentes, quoique  : on se marie encore dans les mêmes « familles » au sens large, les médecins font des médecins, etc. On sort rarement de ces schémas. Dans ma mise en scène, j’ai quand même dû actualiser certaines choses, particulièrement en ce qui concerne le fiancé : le comédien était polonais. Pour moi, il était important de faire de ce personnage quelqu’un qui ait un accent étranger. Non seulement Cléante était un artiste (il fait de la musique, à l’opposé du fils Diafoirus), mais il dérangeait Argan en raison de son origine. L’apothicaire parlait quant à lui dans sa langue, en polonais (c’était le même acteur qui jouait Cléante), ce qui fait que les petites mains des médecins venaient ainsi de l’étranger.

J.T. : Molière, en tant qu’auteur français canonique, est souvent comparé à Shakespeare du côté anglo-saxon : qu’est-ce qui fait à vos yeux la spécificité de Molière et de sa dramaturgie, par rapport à d’autres auteurs « du répertoire » (y compris français, comme Racine ou encore Musset) ?

V.S. : Son langage est abordable. On n’a pas besoin de se sentir intelligent pour le comprendre, il est très désinhibant, et je trouve cela magnifique. Si je devais monter un nouveau Molière, deux autres pièces me plairaient beaucoup : Amphitryon, et Le Bourgeois gentilhommeLe Bourgeois parce que son obsession de la mode, de l’envie d’être dans la tendance du moment, est selon moi très actuelle –  et plus on avance dans l’histoire des selfies et des représentations de nous-mêmes, plus je trouve cela frappant. Et Amphitryon, parce que j’adore la pièce en tant que telle, et j’aime l’idée du sosie, même si Molière s’est inspiré d’une autre pièce pour l’écrire. Je trouve d’ailleurs que pour un-e dramaturge, Molière est très désinhibant de ce point de vue aussi : il ne se prive pas d’emprunter des scènes à d’autres pièces, dans sa propre production ou dans celle des autres, et c’est très soulageant. Il ne se prenait pas la tête : si le dialogue avait fonctionné, il le reprenait. 

J.T. : Pourquoi avoir choisi de monter Le Malade Imaginaire, en 2010 ? Qu’est-ce qui vous intéressait dans cette pièce en particulier ?

V.S. : J’ai monté la pièce en pleine grippe H1N1 : le propos répondait donc bien au contexte de l’époque. Elle a d’ailleurs été montée avec des médecins en blouse blanche, dans un visuel très 70’s. L’une des thématiques qui me semblait importante était alors la question du profit : la pièce parle d’une personne fortunée dont certaines personnes veulent profiter : les médecins, le notaire, etc. C’est quelque chose qui existe encore aujourd’hui : on ne s’enrichit plus forcément par le biais d’un mariage, mais cette obsession reste vivace à travers toutes ces fusions entre multinationales par exemple. Je trouvais donc intéressant d’observer comment une personne qui a de l’argent attire les vautours. 
La deuxième chose que je voulais explorer était le problème de la croyance : on impose beaucoup de choses aux malades, encore aujourd’hui : on se fait dicter nos comportements –  et pas seulement au niveau sanitaire. Désormais, ces manipulations ne passent plus à travers le discours religieux, mais à travers les réseaux sociaux, par exemple. De ce point de vue, la pièce pouvait d’ailleurs résonner avec les étudiant-e-s, et c’est dans cette optique que nous avons ouvert nos répétitions à des classes de secondaire. L’accord avec le collège était qu’il nous mettait à disposition une salle de répétition et, en échange, nous offrions des ateliers aux adolescents, qu’il s’agisse de répétitions ouvertes ou d’exercices en commun. Ils ont adoré cette expérience, parce qu’ils ont pu percevoir les échos entre des scènes d’insultes chez Molière et leurs propres disputes. Le but était aussi de leur faire comprendre que, bien que le texte ait quatre cents ans, les mécanismes du comique qu’ils trouvaient dans leurs séries TV restaient les mêmes. Nous avons également organisé un atelier costume et scénographie par lequel nous leur montrions que ces éléments pouvaient aussi raconter quelque chose, que tout ne se passait pas uniquement dans le texte. L’histoire d’Angélique, quant à elle, a beaucoup parlé à certaines classes de migrants qui connaissent malheureusement des histoires de mariage arrangé. Certains élèves se sont sentis très touchés par cette dimension du texte.
Le texte, évidemment, je l’ai raccourci : nous n’avons pas joué les intermèdes, mais nous avons repris l’une des chansons d’origine (qui conseille, en substance, de « profiter de la vie ») pour en créer une sorte de final. J’ai donc un peu changé la fin : au lieu de finir par l’intronisation d’Argan, le spectacle se terminait sur le héros qui chantait en chœur avec le reste de l’équipe. De plus, nous avons écrit, avec Daniel Vuillamoz qui jouait Béralde, le Notaire et Monsieur Diafoirus, un très court prologue où, avant même qu’Argan ne compte ses sous, trois médecins montaient sur scène pour décrire des médicaments délirants qui avaient été utilisés au XVIIe siècle.