À l’occasion du cinquantenaire de la mort d’Ernesto Guevara, le GRIAHAL-CHCSC (Groupe de Recherches Interdisciplinaires sur les Antilles Hispaniques et l’Amérique Latine), en partenariat avec LCE Lyon et ILCEA4 Grenoble-Alpes, organise un colloque à l’UVSQ les 19-21 octobre 2017, portant sur le processus complexe d’héroïsation, de mythification et d’iconisation du Che.
Le 9 octobre 1967, l’assassinat du guérillero Ernesto Che Guevara dans les montagnes boliviennes, puis l’exposition de sa dépouille par les forces armées locales et la réception de l’image offerte érigeaient le combattant athée en icône christique. Que ce processus soit analysé comme un paradoxe ou comme une ironie de l’Histoire, cette date fermait le chapitre de l’existence d’Ernesto Guevara en ouvrant celui de sa sacralisation, de sa transformation en icône. Le Che demeure de nos jours une allégorie qui ne concorde pas toujours avec ce qu’il fut.
De fait, il a été construit comme une incarnation du romantisme révolutionnaire, l’un des visages -pour ne pas dire l’une des effigies emblématiques- de la Révolution cubaine. Il est dès lors devenu un pilier de la mise en marche du socialisme dans l’Île, et, plus généralement, un modèle et un symbole de lutte pour les mouvements révolutionnaires de la région. Mais l’on constate que son image a aussi été déformée ou corrompue par son héroïsation, son instrumentalisation et sa mercantilisation. En outre, bien que la figure du Che se soit imposée comme un emblème mondial bien au-delà des frontières cubaines et latino-américaines, brandi au cours de multiples manifestations, notamment à des périodes-clés de la contestation tiers-mondiste et anti-impérialiste, mais aussi actuellement lors de conflits sociaux dans un monde à la fois déstabilisé par des politiques résolument néo-libérales et en quête d’une voie alternative, des zones d’ombre brouillent encore une claire connaissance de ce héros.
De l’affiche au tee-shirt, de la tasse au briquet, sa chosification semble être un processus se construisant en parallèle à un refus de s’intéresser à la réalité de sa personne dévoilée par une certaine révision de la figure héroïsée par l’historiographie et par la publication de témoignages de ses compagnons de lutte. Cette image fabriquée masque en partie l’histoire de l’homme, sa fragilité, sa maladresse, son caractère cassant, ses origines. L’effigie immortalisée par le photographe Alberto Korda est-elle visible par ceux qui arborent tee-shirts et casquettes à son image ? Ce colloque sera l’occasion d’analyser le processus ayant transformé le Che en un symbole et une figure héroïque -et en ce sens, le concept d’iconisation appliqué à un homme devra être interrogé, tout comme les notions d’image sociale et d’imaginaire collectif.
Nous nous interrogerons pour savoir dans quelle mesure le mythe a perpétué un héritage, et dans quelle mesure ce legs a pu être détérioré à Cuba et dans le monde, aboutissant à une (dé)construction du mythe et de la figure héroïsée. L’une des questions guidant les travaux sera d’ailleurs l’utilisation du modèle guévarien ou guévariste sur le territoire cubain et par les autorités cubaines, et sa répercussion sur les « jeunes » générations, n’ayant connu ni la dictature de Batista ni l’euphorie des débuts de la Révolution. Une autre interrogation au cœur des discussions pourrait être : le Che a-t-il été un trait d’union, un pont entre le Crocodile vert, la Caraïbe, l’Amérique Latine et d’autres territoires, lorsque l’insularité n’était plus la seule cause de l’isolement subi par Cuba ? Partant, les raisons du procédé de mythification de la figure d’Ernesto Guevara devront être questionnées, mais en parallèle, nous nous intéresserons également à ses conséquences, puisque, de façon a priori paradoxale, l’héroïsation a pu servir de base aux détracteurs ou opposants au Che – et encore une fois, à ce qu’il est censé représenter, ou ce qu’on a souhaité le voir symboliser. Son lien à la Révolution cubaine sera donc analysé au prisme de sa mythification, tout comme les débats autour d’une image toujours très présente, cinq décennies après sa mort.
Cette manifestation scientifique fait écho à la volonté du GRIAHAL de s’inscrire dans la transversalité, et les communications, en français et en espagnol, pourront aborder différents champs (sciences politiques, études culturelles, interculturalité, civilisation, littérature, BD et arts…). Des communications portant sur les canaux de diffusion de l’image du Che, sous toutes les formes, entre autres, presse, ouvrages scolaires… mais également sur l’universalité et l’appropriation (idéologique, identitaire, sociale ou commerciale) du mythe pourront être présentées. On s’interrogera sur l’icône Che objet propagateur d’idéaux devenu un objet mercantile propagateur d’objets sans idéaux autre que consommatoire. On abordera les raisons, les moyens et l’évolution des logiques de dominations qu’incarnent cette chosification ; notamment comment dans les années qui suivent 1967-1968, on passe d’une icône qui symbolise l’émergence de nouvelles luttes radicales et sans concessions, au triomphe d’un libéralisme qui, dès les années 90, s’approprie tous les signes-images de changement et de rupture drastique pour les mettre au service du tout-marchandise. Parallèlement, on tentera d’observer si l’icône a suivi le même processus de marchandisation dans le Tiers-monde pendant la Guerre froide puis dans les pays dit en développement dans notre système-monde actuel, ou si elle maintient encore son potentiel révolutionnaire.
Comité scientifique : Janice Argaillot Sylvie Bouffartigue Janette Habel Sandra Hernandez Alvar de la Llosa Renée Clémentine Lucien