Texte original publié sur https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/00076503241271255
À l’ère des réseaux sociaux, les fausses informations constituent une menace croissante pour la réputation des entreprises. Cet article analyse leur influence sur les jugements de réputation et les intentions de comportement. À travers trois études expérimentales, les auteurs montrent que les individus pensent surtout que les autres sont influencés par les fake news, ce qui finit par affecter leurs propres décisions.
À l’ère numérique, l’information circule plus vite que jamais… mais sa fiabilité est de plus en plus incertaine. Les fake news, longtemps associées au champ politique, constituent aujourd’hui une menace majeure pour les entreprises. Dans leur article Fooling Them, Not Me?, Simone Mariconda, Marta Pizzetti, Michael Etter et Patrick Haack analysent en profondeur la manière dont les fausses informations influencent la réputation organisationnelle et, surtout, les comportements des individus.
Les auteurs s’appuient sur une distinction essentielle mais encore peu exploitée : celle entre les jugements de réputation de premier ordre (ce que je pense d’une entreprise) et les jugements de second ordre (ce que je pense que les autres pensent de cette entreprise). En croisant cette approche avec les théories issues de la psychologie sociale et de la communication notamment l’« effet de troisième personne » ils démontrent un phénomène clé : face aux fake news, les individus estiment systématiquement que les autres sont plus influencés qu’eux-mêmes.
À travers trois études expérimentales menées auprès de centaines de participants, les chercheurs montrent que les fake news détériorent davantage les jugements de second ordre que les jugements personnels. Autrement dit, même si une personne pense résister à une information mensongère, elle est convaincue qu’autrui y croit et cette croyance finit par influencer ses propres décisions. Ce mécanisme est particulièrement puissant lorsque l’entreprise visée bénéficie d’une bonne réputation préalable : loin de toujours protéger, cette réputation peut devenir un point de fragilité, car les individus imaginent que les autres seront d’autant plus choqués par la fausse information.

L’un des apports majeurs de l’article réside dans l’analyse des conséquences comportementales. Les résultats révèlent que les jugements de réputation, qu’ils soient personnels ou attribués aux autres, affectent directement l’intention d’acheter, de recommander ou d’investir dans une entreprise. Plus encore, les auteurs montrent que les jugements personnels tendent progressivement à s’aligner sur ce que l’on croit être l’opinion collective. Ainsi, une fake news peut enclencher une dynamique sociale dans laquelle la perception de l’opinion des autres devient plus déterminante que les faits.
L’étude soulève également un point contre-intuitif : les avertissements de fact-checking n’annulent pas l’effet des fake news. Ils renforcent parfois même l’idée que « les autres » sont manipulés, ce qui accentue l’impact sur les jugements de second ordre.
En révélant ces mécanismes invisibles, l’article apporte une contribution majeure à la compréhension de la réputation à l’ère des réseaux sociaux. Il montre que le danger des fake news ne réside pas seulement dans la croyance individuelle, mais dans la peur de ce que les autres pourraient croire. Une lecture essentielle pour comprendre pourquoi la désinformation continue de produire des dégâts, même lorsque nous pensons y être immunisés.
Patrick Haack est professeur de stratégie et de management responsable à HEC Lausanne. Il est également directeur du Département de stratégie, globalisation et société ainsi que du Research Center for Grand Challenges.
Faculté des hautes études commerciales
Légitimité, réputation, gestion de crise, scandales organisationnels

