Interprétation des résultats

Arrivés au terme des explications concernant notre méthodologie numérique, nous sommes maintenant prêts à analyser les résultats obtenus. Nous nous concentrerons sur deux événements majeurs de cette période : le printemps de Prague et la guerre d’Afghanistan. Le but recherché est d’exposer l’opinion des deux journaux dont est constitué notre base de données.

 

Prague 1968

Nous commençons par travailler sur un corpus filtré par le mot clé « Brejnev ». En appliquant une CHD à différentes périodes du corpus, il est possible d’extraire différents thèmes et de les comparer. En tout, environ 15 à 20 classes sont produites pour chaque période correspondant à des thème tels que « coopération », « souveraineté des états », « désarmement/armement nucléaire », « Etats-Unis » et « socialisme ». Pour donner une idée de leur contenu, les figures suivantes montrent leur dendrogramme.

Fig. 9: Dendogrammes de la CHD pendant(a) et après(b) le printemps de Prague.

Sur la figure 10, des graphes de la classe « coopération » ont été réalisés pour les périodes 1968-1969 et 1972-1978.

Fig. 10: Graphes de la classe « coopération » pendant(a) et après(b) le printemps de Prague.

A première vue, la classe évoquant une détente entre les deux blocs est beaucoup plus consistante lors de « l’après-Prague ». Ceci concorde bien avec l’historique de mots de la figure 8, dans lequel les occurrences assimilées aux mots « coopération », « paix » et « traité » sont bien plus fréquentes lors de cette période. De plus, on observe une différence importante dans l’utilisation du mot « problème &aquo. Dans le graphe a), ce mot n’est que très peu relié et montre un manque de solution. Au contraire, en b), il se connecte à des expressions telles que « solutions », « désarmement » et « résoudre ». La période de 1972 à 1978, vu par les journaux libéraux suisses, correspond donc bien à un instant de détente dans les relations internationales, et en particulier avec l’URSS.

De son côté, la classe « conflit », propre au corpus des années 1968 et 1969, rend compte de la menace d’invasion par l’URSS et de l’inquiétude de la presse suisse. Mais comment ce thème se présente-t-il ? Pour extraire des articles liés à certains mots, nous utilisons la fonction « concordancier » d’Iramuteq. Premièrement, « manifestation » mena au segment :

« … les condamnations de l’intervention armée en tchécoslovaquie se multiplient à part les manifestations qui dans de nombreuses villes suisses affirment la solidarité du peuple suisse avec le peuple tchécoslovaque. »

Il apparaît clairement en premier lieu que le peuple suisse désapprouvait l’intervention de Brejnev dans le pays des « héros de la liberté » (cité par [2]) qui s’opposèrent à Moscou avec le plus d’ « indépendance téméraire » (cité par [7]), l’analyse confirme ici les propos de ces sources. Claude Altermatt [2] affirme également que la population a su se montrer exceptionnellement chaleureuse avec les réfugiés tchèques et slovaques, nous essayons de confirmer ce fait en fouillant le concordancier de « réfugié » :

« La Suisse prête à accueillir les réfugiés tchécoslovaques La Chancellerie fédérale communique […] Les personnes qui se résoudront à demander asile peuvent compter sur un accueil favorable. »

« Le peuple suisse est généreux mais, comme tous les peuples favorisés, il a la mémoire courte […] Les Genevois offrant des chambres à louer se rebiffent souvent quand on leur demande de les mettre à la disposition des Tchécoslovaques. »

Nous voyons donc que les propos d’Altermatt doivent tout de même être nuancés. Ces quelques citations montrent l’opinion du peuple, clairement du côté de la Tchécoslovaquie, mais nous pouvons également observer la position du pays. Le concordancier de « opinion » mène à ce segment de texte :

« Le conseil fédéral a condamné sans ambages la politique agressive et impérialiste de l’URSS et il ne fait aucun doute qu’il a exprimé ainsi l’opinion unanime du peuple suisse »

Fig. 11: Graphes de la classe « communisme/socialisme » pendant(a) et après(b) le printemps de Prague.

La figure 11 montre les thèmes en relations avec les mots principaux « communisme » et « socialiste ». En b), après la révolte de Prague, une expression en particulier ressort : « droits de l’homme ». Notons qu’elle n’apparait aucunement dans la figure 10a. Ainsi, les jounaux suisses tendent à montrer que l’URSS semble plus préoccupée par les droits de l’homme pendant la période de transition que pendant le printemp de Prague. Pour affirmer ce contraste entre avant et après Prague, nous effectuons un historique des mots en présence du mot « URSS ».

Fig. 12 : Historique de certains mots du champs lexical de « danger » en présence du segment « URSS ».

Comme on peut bien le voir, les pics d’occurrences pour ces mots sont concordant durant l’année 1968. Leur courbe, particulièrement celle de Prague, correspond bien à un événement éclair, celui du printemps de Prague. Ainsi, les mots appartenant au champ lexical de la menace sont bien plus présents lors de cette période et tendent à montrer que les journalistes se soucient de la menace que représente, selon ces deux journaux, l’Union Soviétique.

Afghanistan 1979-1984

Il est à remarquer que, étant donnée la taille de notre corpus, la période d’analyse de cet événement sera tronquée à 1979-1984 au lieu de 1979-1989. De manière similaire au printemps de Prague, nous pouvons effectuer un historique d’occurrences sur un champ lexical identique comme sur la figure 12.

Fig. 13 : Historique de certains mots du champs lexical de danger en présence du segment « URSS ».

À nouveau, une augmentation notable des occurrences apparait et concorde avec l’opération Chtrom-333 et l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS. Celle-ci rejoint l’analyse effectuée sur le printemps de Prague et montre bien que les multiples invasions de l’URSS sont prises comme une menace pour l’intégrité de la Suisse. Ce sentiment est certainement dû à la proximité de l’agresseur par rapport à la Suisse, qui ne se trouve point à l’autre bout du monde mais bien en Europe de l’Est, à moins d’un millier de kilomètres.

Afin d’étoffer notre analyse, un graphique de similitudes(fig. 5) est appliqué à un corpus filtré ne concernant que la relation « Afghanistan &raquo-« URSS ».

Fig. 14 : Analyse de similitudes sur le corpus liant « Afghanistan » et « URSS ».

Comme nous pouvons le voir, le champ lexical dominant est celui de la guerre, fait qui est confirmé par une méthode Reinert et la présence claire d’un classe « guerre ». Elle apparait principalement liée à ‘soviétique’, qui dans ce cas représente l’agresseur. En opposition, il existe une forte présence du thème des Etats-Unis, qui lui est plutôt relié à des éléments comme « sécurité », « conseil » et « droits de l’homme ». Il y a donc une vision diamétralement opposée des USA et de l’URSS sur ces thèmes : le premier est considéré comme défenseur des libertés et des droits de l’homme alors que l’URSS correspond à un danger.?Ainsi, en nous limitant à l’analyse de deux événements majeurs de la période 1962-1984, correspondant au règne de Brejnev, un sentiment de menace et d’insécurité ressort des articles de notre corpus, exception faite de la période de transistion de 1972 à 1977, où une multitude de traités furent signés et la tension entre les blocs redescendit. Cette menace est clairement liée aux interventions et actions de l’URSS(fig. 13-14) et montre que, malgré le principe de neutralité de la Suisse, la presse libérale est plutôt négative face à l’Union Soviétique et à ses interventions.