Analyse

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La représentation des violences contre les femmes en période de guerre

D’après les différentes analyses de Reinert sur les 3 périodes précédemment définies, le champ lexical de la guerre est présent seulement dans l’analyse de la première période. En nous centrant sur les articles abordant ce thème, nous avons discerné deux périodes bien distinctes. Bien qu’entre 1900 et 1945 la guerre est un sujet central, les violences faites contre les femmes ne constituent jamais le thème principal des articles. En revanche, à partir des années 1990, on note l’apparition d’articles traitant uniquement des violences subies par les femmes en temps de guerre (notamment lors de la guerre d’ex-Yougoslavie).

Durant la première moitié du XXe siècle, les violences contre les femmes en temps de guerre, plus précisément durant les deux guerres mondiales, sont abordées indirectement dans notre corpus. En effet, aucun article n’aborde de manière ciblée les violences faites aux femmes mais les cite de manière générale comme violences faites aux civils pendant la guerre.

C’est à partir de 1990 que l’on voit apparaître des articles traitant directement des violences faites aux femmes pendant la guerre, en particulier des femmes victimes de viol. Plusieurs articles en témoignent comme celui paru dans le Journal de Genève du 12 avril 1992 décrivant la protestation d’un groupe de femmes contre la banalisation des violences subies par les femmes dans le conflit yougoslave. L’article commence par citer les revendications de ces femmes : « Les viols et les violences sexuelles sont des crimes de guerre et doivent être reconnus comme tels ! ». Cette phrase montre bien que la prise en compte du viol comme une violence infligée sur les femmes en temps de guerre est nouvelle, de par son ton revendicatif. Un autre exemple révélateur de la reconnaissance du viol comme étant un crime de guerre peut être trouvé dans un article paru le 1er juin 1995 dans le Nouveau Quotidien, journal créé lors de la fusion du Journal de Genève et de la Gazette de Lausanne, informant sur la publication de l’ONU d’un rapport recensant les violences faites aux femmes et déclarant que « […] pour la première fois dans l’histoire des guerres, ces sévices ont donné lieu à des discussions publiques […] ».

Cela coïncide avec la mise en place de lois condamnant les violences faites aux femmes, comme exposé plus en détail dans la partie suivante.

 

L’apparition de la prise en charge sociale et les premières mesures législatives

L’analyse des sous-corpus montre que la classe « sociale » présente dans le corpus général n’apparaît que dans la troisième période, à partir de l’année 1970. Ceci coïncide avec l’émergence de mouvements sociaux de prise en charge des femmes victimes de violences.

On observe notamment l’ouverture de centres d’hébergement pour femmes battues ainsi que la création d’une ligne téléphonique d’urgence au début des années 1970. Ces centres proposent aux victimes un accueil et un soutien sous la forme, entre autres, d’une consultation avec un psychologue ou un médecin.

Plusieurs associations voient le jour en Suisse, on peut principalement citer Solidarité Femmes en 1977 (devenue AVVEC en 2017), ainsi que Viol-Secours en 1985.

Ces actions et la prise de conscience qu’elles impliquent ne seront appuyées politiquement que plus tard, à partir du début des années 1990, notamment avec la loi sur les infractions contre l’intégrité sexuelle qui reconnaît le viol entre époux en 1992, ainsi que la loi LAVI (Loi d’Aide aux Victimes d’Infractions)7 qui traite directement des agressions sexuelles en 1993. La même année, à l’international, l’ONU émet une déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes. En 1995, la loi sur l’égalité entre femmes et hommes est modifiée pour inclure la répression contre le harcèlement sexuel au travail.

Avec ce contexte, il devient intéressant de regarder à nouveau les figures 5 et 6 de représentation des classes. On observe un premier pic de la classe « sociale » (classe 2) au milieu des années 1970 après une sous-représentation sur l’ensemble du corpus jusqu’à cette période, ce qui démontre de manière claire l’émergence de ce phénomène social nouveau. Cet envol est de courte durée, seulement 3 ans, mais après un nouveau passage à vide de 10 ans, il reprend de manière exponentielle à partir de l’année 1990, ce qui coïncide avec la mise en place de ces idées au niveau législatif. On peut alors argumenter que les journaux étudiés ici relatent simplement les faits lors de l’émergence sociale de nouvelles idées à travers la création d’associations et autres décrits plus haut, mais ne considèrent et n’abordent les sujets concernés qu’une fois leur établissement légitimisé par la rédaction de lois au niveau gouvernemental.