Anticiper l’avenir climatique grâce à l’AI : 13 scientifiques suisses et américains parviennent à rendre les algorithmes plus « robustes »

Cette publication est également disponible en : English

Les algorithmes d’apprentissage automatique, employés de manière croissante dans les applications climatiques, rencontrent aujourd’hui un problème majeur :  leur difficulté à prédire correctement des conditions climatiques pour lesquels ils ne sont pas entraînés, générant ainsi des incertitudes dans les projections.

Une équipe de chercheur·euse·s de l’Université de Lausanne et de plusieurs universités américaines, dévoilent à travers une étude publiée dans la revue Science Advances, qu’en transformant les données soumises aux algorithmes à l’aide de principes de physique bien établis, ils parviennent à les rendre plus « robustes » pour résoudre des problématiques climatiques. Cette méthode a été testée avec succès sur trois modèles atmosphériques distincts. Les implications de cette découverte vont au-delà de la science du climat.

La prédiction des changements climatiques est possible grâce à l’utilisation de modèles physiques correspondant aux climats passés, présents et futurs, et permettant l’extrapolation à partir de données récentes. Cependant, les modèles climatiques actuels rencontrent des défis lorsqu’il est nécessaire de représenter des processus à des échelles plus petites que la taille du modèle, générant ainsi des incertitudes dans les projections. Bien que les récents algorithmes d’apprentissage automatique présentent des avantages pour améliorer la représentation de ces processus, ils n’arrivent toujours pas à extrapoler vers des régimes climatiques pour lesquels ils n’ont pas été entraînés.

Pour dépasser ces limitations, l’équipe de chercheur·euse·s a proposé une approche innovante appelée « Machine Learning climat-invariant ». Cette approche cherche à fusionner la compréhension physique des modèles climatiques avec les capacités des algorithmes d’apprentissage automatique pour améliorer leur cohérence, la pertinence des données générées ainsi qu’une généralisation de leur utilité pour appréhender une plus grande diversité des régimes climatiques. Les résultats obtenus suggèrent que cette nouvelle intégration des connaissances physiques renforcera la fiabilité des modèles climatiques.

Sept points pour mieux comprendre les enjeux de cette étude

1. Comment sont utilisés les algorithmes d’apprentissage automatique dans le domaine du climat ?

Les algorithmes d’apprentissage automatique jouent un rôle clé dans l’amélioration des modèles climatiques en simulant des processus complexes tels que la dynamique des tempêtes, les tourbillons océaniques et la formation des nuages, qui sont coûteux avec des méthodes traditionnelles. Ils sont essentiels pour la détection à distance et la classification des nuages, et pour la réduction d’échelle des modèles climatiques globaux afin de produire des projections locales détaillées qui s’alignent mieux sur le registre d’observation.

2. Pourquoi les algorithmes d’apprentissage automatique ont jusqu’alors eu du mal à prédire les effets du changement climatique ?

Les modèles d’apprentissage automatique, en particulier les réseaux neuronaux, excellent dans le cadre de leurs données d’apprentissage, mais peuvent se révéler très inefficaces lorsque les données diffèrent sensiblement de ce qu’ils ont observé auparavant. Cet écart s’explique par le fait que ces modèles reposent sur des hypothèses implicites qui peuvent ne pas se vérifier dans des conditions climatiques nouvelles, ce qui entraîne des inexactitudes potentielles dans les projections en dehors de leurs schémas d’apprentissage.

3. Sur quels types de modèles atmosphériques ont porté cette étude et quelle est leur importance ?  

Les chercheur·euse·s se sont d’abord concentrés sur un modèle de « monde océanique », une représentation simplifiée du système climatique de la Terre sans les continents, qui leur a permis d’identifier et de comprendre les erreurs d’extrapolation. Ils ont ensuite progressé vers des modèles atmosphériques plus sophistiqués et plus réalistes qui simulent la dynamique du climat de la Terre. L’intégration de l’apprentissage automatique dans ces modèles est un projet prometteur pour améliorer leur réalisme, en particulier pour les projections climatiques à long terme, contribuant ainsi de manière significative aux stratégies d’adaptation au changement climatique et d’atténuation de ses effets.

4. Qu’est-ce que cela signifie au-delà de la science du climat ?

Au-delà de la science du climat, la méthodologie de cette étude offre un modèle pour l’incorporation de principes physiques dans l’apprentissage automatique dans plusieurs disciplines. En transformant les données à l’aide d’invariances physiques connues, les chercheur·euse·s peuvent former des modèles d’apprentissage automatique qui fonctionnent dans divers schémas physiques, même s’ils n’ont été entraînés que pour quelques-uns d’entre eux. Cela pourrait fonctionner dans n’importe quel domaine scientifique avec des invariances connues, par exemple, en science planétaire pour créer des modèles généralisables à toutes les planètes ou en dynamique des fluides pour créer des modèles généralisables à tous les régimes de flux.

5. Comment cela pourrait-il changer la recherche en sciences du climat ?

La nouvelle approche de cette étude pourrait faire progresser la science du climat en permettant une modélisation plus précise et généralisable des processus. Par exemple, les modèles d’apprentissage automatique qui ont été formés sur les données climatiques actuelles pourraient, moyennant des ajustements physiques appropriés, offrir des projections fiables pour les climats futurs. Cette avancée en matière de généralisation pourrait faire progresser les prévisions météorologiques et les projections climatiques à long terme.

6. Quelles sont les prochaines phases de cette recherche ?

Les équipes qui ont participé à cette collaboration explorent diverses voies, notamment l’amélioration de la généralisation des modèles de prévisions météorologiques de pointe basés sur des données pour les climats futurs et l’intégration de ces modules robustes et invariants du climat dans les modèles climatiques existants. L’objectif des chercheur·euse·s est de continuer à développer ces modèles basés sur des données au-delà de leurs limites actuelles, en encourageant une culture de tests rigoureux qui pourrait mettre au point de nouveaux principes physiques dépassant les capacités d’observation actuelles.

7. Quel est l’impact à long terme de ces résultats et le potentiel de l’IA dans la science du climat ?

Les auteur·ice·s de cette étude estiment que ces résultats vont favoriser des collaborations plus soutenues entre les communautés de la science du climat et de l’intelligence artificielle. En encourageant la communauté des sciences du climat à considérer les modèles basés sur les données non pas comme un remplacement mais comme un renforcement des méthodologies traditionnelles, et en promouvant le développement de techniques d’intelligence artificielle qui ne sont pas seulement basées sur les données mais aussi sensibles au domaines de recherche, ils prévoient un avenir où l’intelligence artificielle contribuera de manière significative à faire progresser la compréhension des processus climatiques, améliorant ainsi la capacité collective à répondre aux défis posés par le changement climatique.

Référence bibliographique

Tom Beucler, Pierre Gentine, Janni Yuval, Ankitesh Gupta, Liran Peng, Jerry Lin, Sungduk Yu, Stephan Rasp, Fiaz Ahmed, Paul A. O’Gorman, J. David Neelin, Nicholas J. Lutsko, Michael Pritchard, « Climate-Invariant Machine Learning », Science Advances, 2024. [full text PDF]

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *