Atteindre le manteau terrestre : une plongée dans les profondeurs des continents

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La croûte continentale représente 41% de la surface de la Terre. Du fait de son épaisseur, ses zones les plus profondes restent méconnues, alors qu’elles jouent un rôle fondamental dans les cycles globaux se produisant entre la surface terrestre et le manteau. Le projet  DIVE vise à dévoiler les secrets de ces processus de transition. Comment ? Grâce à deux forages d’environ 1 km de profondeur dans la région de la zone géologique dite d’Ivrea-Verbano (Piémont, Italie). Après cinq ans de préparation, des scientifiques de l’UNIL sont enfin sur le terrain.

György Hetényi et Othmar Müntener (professeurs à l’Institut des sciences de la Terre) nous font partager leur enthousiasme pour ce projet.

Atteindre le manteau : un projet vieux de plus de soixante ans

Le projet d’atteindre et traverser la transition de la croûte terrestre au manteau supérieur date d’il y a plus de 60 ans. A l’époque, seules des mesures indirectes laissaient entrevoir les propriétés physico-chimiques des roches qui la composent. Mais les tentatives d’accès à la croûte profonde elle-même, par des forages réalisés notamment au fond de l’océan ou en URSS, se sont avérées infructueuses. Les contraintes techniques et les coûts engendrés en regard des résultats espérés ont ensuite freiné les initiatives pour renouveler de telles tentatives. 

Qu’est-ce qui rend la planète Terre unique ? Avec l’eau et la vie, c’est la tectonique des plaques.

DIVE project

En 2008, Luigi Burlini, géologue à l’ETHZ, discute d’une idée originale avec Othmar Müntener. Il s’agit d’utiliser les Alpes comme « raccourci » vers le manteau. Dans la région d’Ivrea-Verbano, le manteau terrestre est à portée de main : elle se situe à environs 3 km de profondeur, suite aux plissements alpins. C’est l’observation de roches de haute densité et le déplacement rapide des ondes sismiques qui ont permis de révéler cette situation singulière couvrant une zone d’environ 70 km de long (connue sous le nom d’Ivrea Geophysical Body).

Coupe transversale à travers l’Ivrea Geophysical Body, selon les connaissances en 2017. Ce schéma montre les vitesses des ondes estimées de deux manières : en noir les vitesses dérivées de la réfraction sismique et des anomalies de densité du modèle de Berckhemer en 1968 ; en orange les iso-vitesses des ondes P interpolées à partir de la tomographie des séismes locaux de Diehl et coll. (2009). Cette analyse révèle que la zone en grisée est bien le manteau que le projet DIVE ambitionne d’atteindre.

Cette idée originale a été reprise pour être concrétisée en 2017 durant un workshop réunissant plus de 45 chercheuses et chercheurs à Baveno au bord du Lac Majeur en Italie, par la mise sur pied du projet DIVE (Drilling the Ivrea-Verbano zonE). Soutenu par l’International Continental Scientific Drilling Program (ICDP), DIVE entreprend plusieurs forages scientifiques dans la zone d’Ivrea-Verbano. Son objectif ? Identifier les propriétés physico-chimiques de la transition croûte-manteau, et mieux comprendre les processus qui régissent la formation et l’évolution de la croûte continentale inférieure. 

A quoi ressemble la croute continentale profonde ? Et jusqu’à quelle profondeur peut-on trouver de la vie dans la croûte ? 

DIVE project

DIVE est mené par un groupe de recherche international et multidisciplinaire, couvrant des domaines de la géophysique, de la géochimie, de la géodynamique, ainsi que de la pétrologie et la rhéologie. Des microbiologistes sont aussi de la partie : ils cherchent à savoir jusqu’à quelle profondeur on peut trouver la vie dans la croûte terrestre. 

D’autres membres de la FGSE (ISTE) se mobilisent également dans ce projet : Klaus Holliger (professeur), Alexia Secrétan, Kim Lemke, Zheng Luo (doctorantes et doctorants), Ludovic Baron (ingénieur de recherche en géophysique). Aurore Toussaint, Julien Reynes et Benjamin Klein, ainsi que des chercheuses et chercheurs des Universités de Berne, Mainz, Trieste, Pavia, Leoben, Grenoble, Georgia, et du GFZ Berlin font également partie de l’équipe scientifique se relayant sur le site.

Ce type de projet ne peut pas être réalisé seul ou en binôme, car pour disposer de toutes les compétences nécessaires, ainsi que de la technologie associée, il faut vraiment cette collaboration interdisciplinaire.

György Hetényi

György Hetényi s’intéressera plus particulièrement au gradient de transition entre le manteau et la croûte inférieure : quelle est son épaisseur et quelles sont ses propriétés physiques et chimiques ? 

Othmar Müntener sera impliqué dans les recherches pétrologiques et plus précisément dans l’identification de la nature des roches qui se forment à l’interface entre le manteau et la croûte terrestre. 

De 2017 à 2022, de nombreuses études préliminaires alliant différentes méthodes géophysiques ont été effectuées notamment afin de déterminer l’emplacement des forages. La proximité du manteau à une profondeur d’environ 1 km sous le niveau de la mer à la surface a pu ainsi être confirmée et modélisée en 3 dimensions par Matteo Scarponi durant son doctorat à l’ISTE, La forme en relief représente la surface de manteau qui « se dresse » vers la surface de la croûte terrestre selon les résultats de Matteo Scarponi, imprimée à l’échelle 1 : 1 million. Des chercheurs de GFZ Potsdam et du Montanuniversität Leoben affinent actuellement cette image via des études à plus haute résolution par sismique active.

Le grand jour : le premier forage et l’extraction des premières roches

Après plus de cinq ans de préparation, les forages ont enfin débuté le 6 octobre 2022 à Ornavasso au val d’Ossola. Dans un premier temps, le rythme est lent. L’équipe s’assure de la verticalité de la foreuse et de ne pas endommager les premières couches de terrain meuble. Par la suite, la vitesse devrait être augmentée jusqu’à environ 1 mètre par heure – soit 15 à 20 mètres par jour idéalement. Jusqu’ici, les premières étapes sont encourageantes. Les carottes extraites sont exploitables à plus de 95%, un rendement très élevé ! 

Les carottes sont directement photographiées et passées au scanner, afin d’identifier les roches qui les composent et évaluer l’avancement du forage. Elles seront ensuite sciées en deux dans le sens de la longueur. Une moitié servira aux analyses chimiques et physiques et l’autre sera archivée en Allemagne. Ci-dessus une partie des premières carottes prélevées, photographiées et répertoriées (crédit photo : Luca Ziberna, projet DIVE).

Le trou de forage aura un autre avantage. Des instruments de diagraphie fins pourront y être placés. Ils mesureront à une profondeur rarement atteinte les propriétés électriques, thermiques et sismiques du terrain, et effectueront un enregistrement vidéo le long du trou. Ce dispositif, associé au continuum de plusieurs centaines de mètre de carottes au travers de la croûte profonde, constituera un jeu de données unique à ce jour.

L’organisation de ce travail est complexe et les interactions sont continues avec le terrain. Une équipe de 6 à 7 personnes reste en permanence sur le site pour assurer le suivi du forage, analyser les carottes extraites, les répertorier sur une interface numérique ou prélever des fragments pour les microbiologistes. Des questions ou imprévus surgissent régulièrement, que ce soit au niveau technique (achat ou adaptation du matériel), ou scientifique (identification de minéraux et structures). Il faut être très réactif car le forage doit pouvoir se poursuivre rapidement.

Les activités de forage suscitent la curiosité des habitants et visiteurs du site. Voici une partie du dépliant qui décrit le projet et ses objectifs, à l’intention des habitants et visiteurs de la région d’Ivrea-Verbano. Des visites tout public seront également effectuées sur place.

Tout le monde sur le site du forage était super content…. Quand on voit les roches qui sortent, c’est le résultat direct de ces 5 ans d’investissement. C’est vraiment satisfaisant.

Othmar Müntener

Une première étape réjouissante … qui prépare la deuxième

Les résultats des recherches effectuées ces prochaines années sur le matériel obtenu détermineront l’organisation et le timing de la deuxième phase du projet, à savoir un forage de 3-4 km à la recherche du Moho (la transition entre la croûte et le manteau).

Du point de vue scientifique, nous sommes assez surs que nous aurons des surprises que ce soit durant le forage ou les analyses qui suivront.

György Hetényi et Othmar Müntener

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