« Quand l’écologie s’urbanise », que devient l’écologie ? Et que devient la ville ? À l’occasion de la parution de leur ouvrage aux multiples voix, Joëlle Salomon Cavin (IGD) et Céline Granjou (INRAE) nous parlent de l’émergence de l’écologie urbaine. Longtemps cantonnée à un cadre extra-urbain, l’écologie s’intéresse désormais aussi à la ville.
Ce n’est pas sans conséquence sur la science écologique elle-même, interpellée par la ville dans sa définition, ses objets, ses méthodes. Et sur l’idée que la ville se fait d’elle-même. Le point sur ces influences réciproques.
Qu’est-ce que l’écologie urbaine ? D’où vient-elle ?
JSC : Depuis longtemps, on étudie la faune et la flore en ville. Mais, avec le développement de l’écologie, en tant que discipline scientifique, les scientifiques se sont éloignés de la ville, considérant que la vraie nature était ailleurs. Ils ont privilégié l’étude des espaces les plus naturels possibles, les moins impactés par l’homme. Quand l’écologie s’urbanise traite du regain d’intérêt, depuis les années 90, des questions d’écologie en ville.
Qu’est-ce que la ville fait à l’écologie ?
JSC : C’est une des questions centrales du livre. L’ouvrage recueille des témoignages d’écologues, à Marseille, Lausanne, Strasbourg… La ville a-t-elle fait évoluer les pratiques de terrain ? A-t-elle fait bouger la théorie ? Nous essayons de comprendre ce que l’entrée en ville des écologues provoque comme changements dans la science écologique elle-même… Par exemple, quand on travaille au milieu de beaucoup de monde, il y a plus d’interaction avec les habitants !
CG : En général, les écologues travaillent sur des terrains éloignés, c’est même une de leur motivation pour faire de l’écologie… Voyager, aller dans des endroits reculés et non touchés par l’action de l’homme. En éditant cet ouvrage, on s’est intéressé à ce paradoxe qui consiste à déplacer leur regard et leur travail sur des espaces extrêmement anthropisés, parfois très proches de là où ils habitent.
Qu’est-ce que ça fait à la pratique des écologues, à leur identité, de venir travailler en ville ?
Céline Granjou
Qu’est-ce que l’écologie fait à la ville ?
CG : Dans cet ouvrage, on s’intéresse à la manière dont l’expertise naturaliste est intégrée dans l’aménagement urbain. Je garde en tête un très bel exemple sur l’évolution des attentes qu’on peut avoir vis-à-vis de la nature en ville. Julie Scapino y raconte la mise en place d’une promenade dans la 15e à Paris. Elle montre très bien le passage d’objectifs très esthétiques, à un registre de biodiversité, où on essaye d’utiliser les espèces locales et de les laisser évoluer de manière spontanée.
Quelle est la genèse de « Quand l’écologie s’urbanise » ?
JSC : Ce livre est issu d’un projet de recherche FNS « Quand l’écologie entre en ville » qui étudie l’histoire de l’écologie urbaine en Suisse, 5 membres de l’IGD y sont associés. L’ouvrage est tiré du colloque international qui a inauguré le projet. Les auteur.e.s des chapitres y ont tous participé.
CG : Ce livre est aussi une rencontre de problématiques et d’intérêts disciplinaires entre Joëlle et moi. Joëlle a ce regard sur les imaginaires de la ville, ancré en géographie humaine et culturelle. Je suis arrivée avec un regard de sociologue des sciences, m’intéressant à ce que cela veut dire pour l’écologie, pour les écologues eux-mêmes, d’étudier la ville – plutôt que des espaces plus naturels ou moins anthropisés. Nous avons construit un dialogue entre ces deux piliers disciplinaires, qui a permis au livre de se construire.
La ville peut se révéler pleine de surprises pour les sciences de la nature. Il faut aussi que les écologues se tournent vers la ville, pour comprendre ce qui s’y passe.
Joëlle Salomon Cavin
Qu’est-ce que le « sauvage » (ou la wilderness) dans le contexte urbain ?
JSC : Traditionnellement, la question du sauvage exclut la ville. Plusieurs chapitres reviennent sur le fait qu’on trouve de la nature sauvage en ville, si on la définit comme ce qui advient, ce qui se développe en dehors de la volonté humaine. Matthew Gandy aborde les friches urbaines, où toutes sortes d’espèces, en particulier végétales, se développent de façon spontanée. On peut aussi évoquer le retour de certains animaux sauvages, comme les sangliers ou les chevreuils dont on a beaucoup parlé pendant la COVID.
CG : L’objectif de l’écologie urbaine est justement de dépasser cette catégorie de wilderness et peut-être d’expérimenter d’autres catégories. Un socio-écosystème ? Un anthropo-écosytème ? L’idée est de ne plus de se référer à cette wilderness d’espaces purement naturels, mais de s’intéresser à des lieux hybrides, à des assemblages socio-écologiques.
Quelle est la perspective de ce travail ?
JSC : L’expertise naturaliste va être de plus en plus mobilisée dans la fabrique urbaine. Pas seulement dans la gestion des espaces verts, les questions de conservation, mais aussi dans la planification urbaine, la construction des quartiers. C’est une perspective passionnante, d’autant que je suis impliquée dans un Master en urbanisme.
En parallèle, je travaille à une exposition sur les animaux en ville, plus précisément les espèces dites indésirables, comme les cafards, les punaises, les pigeons, les rats. Les pratiques de gestion, les désinfestations sont de plus en plus liées aux connaissances écologiques.
CG : Ce qui m’a intéressé et que je voudrais poursuivre, c’est comprendre le développement de nouveaux agendas de recherche en écologie. Autrement dit, à quoi sert l’écologie ? L’idée n’est plus de cantonner l’écologie à des milieux naturels (au sens, protégés de l’action humaine), mais aussi de produire de la connaissance sur la façon dont les humains transforment leur environnement et peuvent créer des opportunités pour que des espèces se développent et s’adaptent à leur environnement.
Les développements de l’écologie urbaine, c’est une transformation dans la manière dont les écologues et la société se représentent les objectifs de produire de la connaissance écologique.
Céline Granjou
Pour en savoir plus sur cet ouvrage
Quand l’écologie s’urbanise. Joëlle Salomon Cavin et Céline Granjou (Ed.). 2021. UGA Éditions. 386 p.
Dépôt institutionnel SERVAL
Ont contribué à l’ouvrage : Isabelle Arpin, Sabine Barles, Valérie Bertaudière-Montès, Nathalie Berthier, Nathalie Blanc, Valérie Boisvert, Marine Canavese, Maud Chalmandrier, Denis Couvet, Magali Deschamps-Cottin, Marine Gabillet, Matthew Gandy, Jean-Yves Georges, Clément Gitton, Sandrine Glatron, Adeline Hector, Isabelle Laffont-Schwob, Marine Levé, Audrey Marco, Yves Meinard, Yves Petit-Berghem, Véronique Philippot, Anne-Caroline Prévot, Elisabeth Rémy, Christine Robles, Julie Scapino, Bruno Vila.
On distingue souvent trois branches de l’écologie urbaine dans les sciences de la nature.
L’écologie dans la ville s’intéresse aux espèces inventoriées dans la ville, et leur interaction avec l’environnement urbain.
L’écologie de la ville se penche plutôt sur le fonctionnement de l’écosystème urbain, du « métabolisme urbain ». Sabine Barles décrit plus spécifiquement cette écologie de la ville dans un des chapitres.
L’écologie pour la ville est plus interdisciplinaire, et propose des solutions pour améliorer la ville et sa durabilité.
Article très intéressant, merci !