L’origine de l’or: ce précieux métal dispose désormais de son passeport géoforensique

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Barbara Beck, Institut des sciences de la Terre

Dans le cadre d’un projet Innosuisse, la Dr Barbara Beck, chercheuse à l’Institut des sciences de la Terre et spécialiste en archéométrie, a mis au point une méthode innovante, rapide et peu onéreuse permettant de valider l’origine des échantillons d’or traités par les affineurs en Suisse (projet mené en collaboration avec l’entreprise Metalor).

Du commerce de l’argent valaisan à l’affinage de l’or

Spécialiste en archéométrie, B. Beck avait développé durant sa thèse une méthode permettant de déterminer la signature chimique de minerais de plomb et d’argent issus des mines valaisannes. Grâce à cette signature, elle a pu retracer les circuits commerciaux établis dans cette région de l’Âge du Fer jusqu’au Moyen Âge.

Après avoir adapté sa méthode à d’autres métaux comme le cuivre, B. Beck s’est intéressée au cas de l’or, la rapprochant ainsi d’enjeux plus actuels. En effet entre 50 et 60% de la production mondiale d’or est affinée en Suisse. Les diverses parties prenantes (Etat, affineurs, organes de contrôles) se préoccupent de pouvoir valider son origine, afin de pouvoir garantir qu’il provient d’une production éthique et contrôlée du point de vue environnemental (voir liens en fin d’article).

Une collaboration entre recherche scientifique et entreprise privée

Initié en 2016, puis concrétisé en 2019, un projet Innosuisse a été mené conjointement par Dr. Barbara Beck et l’entreprise Metalor (l’un des plus importants affineurs d’or mondial). L’objectif était de développer une méthode rapide et fiable permettant de confirmer l’origine de l’or traité dans les chaînes d’affinage. B. Beck a pu accéder à des échantillons d’or de diverses provenances ainsi qu’à une base de données d’analyses chimiques de dorés (lingots d’or non affinés) de l’entreprise. De son côté, Metalor a bénéficié de la mise au point de la méthode de confirmation de l’origine de ses dorés.

Une méthode rapide et peu coûteuse

La méthode utilisée se devait d’être rapide et peu coûteuse (=intégrée dans le processus d’affinage). Les dorés sont analysés par fluoresence rayons X (ED-XRF), ce qui permet de mesurer la proportion d’une vingtaine d’éléments composant l’échantillon. En comparant cette “signature“ chimique avec celles des échantillons enregistrés dans la base de données, l’origine du doré peut être confirmée et son passeport géoforensique est établi.

Dans environ 10% des cas un doute subsiste quant à l’origine de l’échantillon. Il peut en effet y avoir des variations de composition de minerais d’or de même origine, selon les filons exploités ou le traitement des échantillons au sortir de la mine. Dans ces cas-là, une analyse isotopique est réalisée pour une évaluation plus précise.

Passeport géoforensique d’un fournisseur : projection tridimensionnelle d’une analyse en composante principale (ACP) des échantillons analysés. L’analyse statistique totale comprend une quinzaine d’axes. Chaque point correspond à un doré de ce fournisseur. Les différentes couleurs renvoient à des dorés issus de différents filons. 

La méthode repose sur des analyses statistiques complexes prenant en compte la vingtaine de facteurs décrivant la composition chimique des échantillons. B. Beck a conçu le modèle statistique et développé un programme informatique permettant l’interprétation quasi instantanée de la composition chimique des dorés qui confirme – ou non – l’origine de l’échantillon.

Un intérêt multiple et international

Les résultats obtenus confirment que cette méthode est efficace pour déterminer l’origine de l’or provenant de mines industrielles. Elle est rapide et peu coûteuse et permet aux affineurs d’avoir un certain contrôle sur leurs fournisseurs. Ces résultats ont fait l’objet de plusieurs publications dans des revues internationales. Plusieurs entreprises d’affinage, joailliers et autorités commerciales ont montré de l’intérêt pour cette méthode, dont la London Bullion Market Association (LBMA – association commerciale qui gère les règles du marché mondial de l’or) qui salue sa contribution à la confiance et la transparence du commerce des métaux précieux.

Deux femmes sur des déblais de mine à La Rinconada au Pérou (photo B. Beck)

Au-delà de la science et de la méthodologie cette expérience relève des enjeux sociologiques et éthiques liés à l’exploitation de ressources de valeur telles que l’or dans des régions souvent très pauvres : dans quelle mesure la population locale profite-t-elle de l’exploitation minière industrielle, souvent aux mains d’entreprises étrangères ? Quel est le bilan entre l’apport de revenus indispensables des mines artisanales et le bilan écologique de ces exploitations ?  

L’expérience de terrain – une « ruée vers l’or » moderne

B. Beck s’est rendue au Pérou pour récolter des échantillons. Elle a été soutenue par la Swiss Better Gold Association et l’ambassade de Suisse qui ont facilité le contact avec les mineurs artisanaux, souvent très méfiants envers les journalistes et chercheurs étrangers. Et pour cause, des conditions de vie parfois extrêmement difficiles (altitude élevée, pas d’eau courante, habitations de tôle), des structures étatiques aléatoires, une criminalité florissante, les rendant cible facile à toutes critiques extérieures. Pourtant, ces petites mines apportent un revenu modeste mais important à l’économie locale, qui évolue en contraste total avec les sociétés très peu développées des vallées proches. Malgré la réputation parfois très mauvaise de ces mines, elles apportent des perspectives aussi bien financières à une population souvent oubliée par l’Etat. Cette situation devient un réel casse-tête : une société grandissante mais délaissée, se débrouillant plus ou moins dans une chaîne d’approvisionnement illégale, ignorante parfois des défis environnementaux et sociaux.

Pour la suite, B. Beck aimerait davantage travailler sur l’or provenant de mines artisanales, et suivre l’évolution de sa composition chimique sur les différentes étapes depuis l’extraction jusqu’à l’affinage.  Ceci permettrait d’intégrer les filières artisanales dans une chaîne d’approvisionnement légal, et donner ainsi les bases pour des exploitations respectueuses de l’environnement et des standards sociaux. Elle souhaiterait également développer sa méthode sur d’autres ressources “critiques“ comme les terres rares.

Pour mieux connaître Barbara Beck et ses projets de recherches

Innosuisse est l’Agence suisse pour l’encouragement de l’innovation. Ses objectifs stratégiques sont définis par le Conseil fédéral et visent notamment à accélérer le transfert des connaissances de la recherche vers l’économie. Divers fonds d’encouragement sont proposés, afin de favoriser la mise en relation entre les entreprises et la recherche scientifique, ainsi que la mise en application de résultats de recherche. Ils sont présentés sur le site Georeka.

Depuis 2021 Innosuisse et le FNS coopèrent étroitement en termes d’instruments d’encouragement.

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