Du 18 au 26 juin dernier, j’ai eu l’occasion de participer à la troisième étape du projet Grand Nord. L’équipe, constituée de trois journalistes hyper sympas et moi, sommes arrivés à Saint-Pétersbourg pour commencer un périple russe en 3 étapes sur 9 jours :
- Saint-Pétersbourg
- Arkhangelsk
- Naryan-Mar
Dès l’arrivée à l’aéroport, nous rencontrons Leonid, notre guide pour le voyage. Il nous accueille avec un grand sourire et un très sympathique « Hi guys, I’m Leo ». Nous regardons le programme du voyage avec lui, mais rien n’est coulé dans le béton car les permis et les visas russes sont difficiles à obtenir pour certains lieux comme la presqu’île de Vaïgatch, endroit sacré pour les Nénetses. Non seulement il faut beaucoup de paperasse, mais même lorsque les procédures sont presque complétées, il peut quand même être refusé ou révoqué pour des raisons obscures qui ne sont pas divulguées et qui ne regardent personne d’autre que Mother Russia.
Les premiers jours à Saint-Pétersbourg ont été remplis d’interviews et de visites de musées, allant de l’exploration du Grand Nord à la visite d’un musée zoologique impressionnant, en passant par des discussions laborieuses sur les changements climatiques avec certains scientifiques russes. L’interview la plus notable était pour moi celle de M. Vladimir Pitulko, un vieux paléontologue reconnaissable à la veste beige à multiples poches que tous les amateurs de terrain possèdent.
Vladimir Pitulko est rattaché à l’Institut de l’histoire de la culture matérielle à l’Académie russe des sciences, à Saint-Pétersbourg. Son dada, c’est l’étude des fossiles de mammouths à l’extrême nord-est de la Sibérie. Dans un article tout récent (janvier 2016), des collègues et lui ont établi la présence humaine en Arctique il y a 45’000 ans grâce à des traces de blessures infligées aux mammouths à l’aide d’armes élaborées par l’homme (1).
Durant l’interview, nous parlons de son travail, du fait qu’il retourne sur le terrain en Sibérie très bientôt et nous discutons aussi des changements climatiques.
Pitulko n’est pas très alarmé par les dits « changements climatiques » bien que, travaillant dans le Grand Nord, il soit bien placé pour observer leurs impacts. Pour lui, ils existent, mais s’inscrivent plutôt dans les fluctuations climatiques normales de la Terre. Bref, une réponse de géologue qui pense en millions d’années. Il a tout à fait raison à l’échelle géologique. Il y a trois grands niveaux d’échelles concernant les mécanismes qui contrôlent le climat.
Echelles de temps et variations climatiques
A l’échelle des milliards d’années, ce sont plutôt les mécanismes liés à l’atmosphère de la planète et l’activité solaire. A l’échelle des dizaines ou centaines de millions d’années, ce sont plutôt les processus géodynamiques qui entrent en jeu, par exemple la dislocation ou la création d’un méga-continent. Finalement, à l’échelle des centaines de milliers d’années, ce sont les cycles de Milankovich qui gèrent les fluctuations climatiques. Les cycles de Milankovich font entrer en ligne de compte les cycles de précession, de la variation d’obliquité de l’axe de la Terre et de l’excentricité de l’orbite terrestre. Ce sont surtout ces cycles qui ont influencé les glaciations des deux derniers millions d’années qui forment la période Quaternaire, durant laquelle 4 glaciations majeures ont eu lieu, intercalées par des périodes interglaciaires. Nous sommes actuellement dans une période interglaciaire qui dure depuis 11’000 ans.
Tout ceci est bien intéressant, mais les changements climatiques actuels ne s’étendent pas sur des milliers d’années, mais sur peut-être 100 à 150 ans. Je lui en fais la remarque en espérant ébranler son esprit de climato-sceptique. Et bien non, c’est loupé ! A la place, il ne répond pas vraiment, laissant transparaître son envie de mettre fin à la conversation. Avant de prendre congé, il envoie une petite blague sur le fait que le réchauffement lui convient plutôt bien car il peut ainsi avoir un accès plus facile aux mammouths et à ses terrains d’étude en Sibérie.
Cet entretien est troublant dans la mesure où il n’est pas le seul scientifique rencontré à minimiser l’existence des changements climatiques actuels. Il n’est pas le seul Russe non plus. Mais en général, la population russe ne semble pas trop alarmée ou touchée par cette problématique mondiale. La remarque humoristique qui revient le plus souvent à ce sujet, c’est que ça ne ferait pas de mal à la Russie d’avoir un climat plus chaud parce qu’effectivement, il y fait un froid de canard avec des températures moyennes sous les -10 °C pour la Sibérie…
Référence bibliographique
- Pitulko, V.V et al. (2016), Early human presence in the Arctic : Evidence of 45 000 year-old mammoths remains, Science, Volume 351, pp. 260-263