Lors de la Journée de la recherche SSP de cette année, des intervenant·e·s d’horizons variés et plus de septante chercheur·e·s se sont réuni·e·s pour débattre de(s) “durabilité(s)”, une notion qui tout en étant largement répandue, recouvre des réalités multiples et complexes. Coup de projecteur sur une variété d’approches et de projets.
Face aux défis sociétaux et environnementaux actuels, les recherches en “durabilité” relèvent tout d’abord d’un axe stratégique institutionnel. C’est ce que le Vice-Recteur Durabilité & Campus B. Frund a illustré au niveau de l’Unil en ouvrant la Journée, après le mot d’introduction et d’accueil du Vice-Doyen à la recherche J. Rossier. En particulier, la création du Centre interdisciplinaire de durabilité de l’Unil a permis de constituer une communauté de chercheur-e-s qui étudient la “durabilité” de manière systémique et transdisciplinaire. Face à la vive controverse que suscite cette notion et afin de rassembler les chercheur-e-s de l’Unil de toutes disciplines, une définition de durabilité s’inspirant des travaux de K. Raworth[1] a été prise comme point de référence et dix chantiers thématiques ont été identifiés. Ce Centre compte actuellement 400 chercheur-e-s, dont 65 en SSP, et permet la collaboration avec des plateformes, observatoires et d’autres instituts de recherche à l’Unil et à l’EPFL. Il poursuit plusieurs buts, dont celui d’informer et fédérer les chercheur-e-s, d’être un centre de compétence pour les médias à la recherche d’expert-e-s, de soutenir et stimuler les projets autour de la durabilité sur le plan méthodologique et financier. Comme le souligne B. Frund, les recherches en durabilité promues par l’Unil relèvent finalement d’un “devoir citoyen” et d’une contribution à la société.
Au niveau de la Faculté des SSP, la durabilité est aussi au cœur des réflexions stratégiques du Décanat. Comme le souligne A. Marcellini, Vice-Doyenne Qualité & Durabilité et modératrice pour cette Journée, des objectifs et des actions sont en effet prévus dans le plan de développement 2021-2027 de la Faculté. Dans ce cadre, sont prises en compte la durabilité sociale et la durabilité environnementale, des questions qui concernent aussi la recherche et ses conditions et qui, pour être régulées, demandent la participation collective.
Si on passe du plan institutionnel à celui des chercheur-e-s, les réflexions proposées dans le cadre de la Journée montrent à la fois la multiplicité et la complémentarité des approches ainsi que la nécessité d’une articulation entre le local et le global.
S. Swaton, chercheuse à la FGSE, propose une entrée philosophique. Elle illustre d’abord le double échec du “développement durable” par rapport aux objectifs liés à la préservation des ressources de la planète et à la réduction des inégalités. Elle montre ensuite l’emploi problématique de la notion de “durabilité” ainsi que l’intérêt du concept de “transitions”, qui permet de penser la manière qu’on a de produire et de consommer ainsi que d’aborder des problèmes globaux. Elle termine sur une piste d’exploration possible qui est en lien avec une “transition intérieure”: cette piste ouvre sur un changement de regard par rapport à notre relation à la nature, sur une “spiritualité” au sens large en tant que ressort pour agir. R. Felli, bénéficiant à la fois d’une expérience de chercheur et de collaborateur personnel de la Conseillère d’Etat N. Gorrite, mène aussi une réflexion globale sur le passage de la notion de “développement durable” à celle de “durabilité”, mais en indique l’impact d’un point de vue des sciences politiques. L’évolution des notions a en effet impliqué le basculement d’un programme sociale-démocrate proposant une vision alternative du monde et définissant des fins, à une idéologie néo-libérale qui dépolitise les questions sociales et environnementales et qui limite les débats à une question de moyens pour faire face à la déficience des ressources. R. Felli souligne ainsi la nécessité de repolitiser les discussions au lieu de proposer des solutions technocratiques visant à optimiser les ressources.
F. Butera (IP) ainsi que D. Spini (ISS, LIVES), en coopération avec B. Kayser (ISSUL, LIVES), présentent, quant à eux, deux projets de recherche intervenant au niveau local. S’interrogeant comme S. Swaton sur les ressorts du changement de comportement mais adoptant l’angle de la psychologie sociale, F. Butera présente une recherche en cours portant sur 80 classes de 7P et 8P dans le canton de Vaud et Genève. Sur la base d’études déjà menées, F. Butera montre que chez les adultes les barrières psychologiques empêchant le changement vers des comportements durables sont nombreuses alors qu’il en va autrement chez les enfants. Ainsi, ce projet met en place un dispositif en milieu scolaire tout à fait original: afin de produire un changement de comportement pro-environnemental chez les écolier-e-s, on propose de leur faire comprendre les liens complexes et d’interdépendance entre économie, société, environnement, etc. propres aux questions de durabilité en leur faisant expérimenter les liens d’interdépendance lors de la coopération en classe. Deux types de coopération seront proposées et comparées sur la base des comportements effectivement observés et auto-rapportés. Ce projet ne porte donc pas sur le changement de comportements spécifiques mais a l’ambition de créer les conditions d’une pensée systémique chez les enfants, un type de pensée permettant le changement vers un comportement pro-environnemental d’ordre général.
Combinant des approches extrêmement variées, des sciences sociales à la psychologie, de la santé publique à l’urbanisme, des sciences du sport à l’architecture, le projet Métasanté, dirigé par une équipe interdisciplinaire dont font partie D. Spini et B. Kayser, intervient aussi au niveau local et est au service de la collectivité. En partenariat avec la Ville de Lausanne, cette recherche innovante suit, par une cohorte digitale, les personnes qui déménagent dans le nouveau éco-quartier des Plaines-du-loup afin d’étudier les effets – notamment au niveau de la santé, de la qualité sociale et de la préservation de l’environnement – d’aménagements urbains encourageant l’activité physique et l’inclusion sociale. Comme l’étude implique un suivi et un engagement avec les acteur-e-s de terrain sur le long terme, on est invité à réfléchir à la “durabilité” même de la recherche dont les financements sont sur le court terme, ainsi qu’à repenser le rôle et les pratiques des chercheur-e-s dans le cadre d’un partenariat de développement durable avec le terrain.
Au-delà de la diversité de perspectives et de projets et comme cela ressort du débat qui a suivi les présentations, la recherche en durabilité(s) conduit à une pensée systémique s’opposant à celle de la compétitivité, à une démarche citoyenne impliquant la collaboration entre différentes disciplines, ainsi qu’à un lien fort entre action locale et réflexion globale.
Dr Astrid Ruffa, chargée de missions-recherche, Dicastère Recherche SSP
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[1] Cette définition prend en compte à la fois le plafond écologique fixé par les limites planétaires et le plancher social constitué des besoins fondamentaux de toutes et tous, afin de circonscrire dans ces limites toutes les activités humaines.