La musicienne Michèle Bernard évoque pour nous sa «Cantate pour Louise Michel»
La Commune de Paris, ses martyrs et ses héros ont inspirés les poètes et de nombreuses chansons populaires leurs sont dédiées, du Temps des cerises de Jean-Baptiste Clément à l’antienne de Jean Ferrat (Il y a cent ans commun commune…).
En 2001 c’est à l’emblématique Louise Michel que Michèle (coïncidence ?) Bernard a consacré toute une cantate, une suite chorale de 20 morceaux sous-titrée L’oiseau noir du chant fauve. Un spectacle, puis un disque, où elle est accompagnée d’un chœur de femmes et d’un groupe de percussionnistes.
Michèle Bernard, autrice, compositrice, interprète, c’est une voix de soprano puissante mais légère, qui vous emporte dans la poésie du quotidien, la tendresse des sentiments, ou qui rend hommage à la noblesse des humbles. Elle nous entraine ici sur les pas de Louise, des jeux d’enfance Avec mon cousin Jules au Cimetière de Levallois, au rythme de la Danse des bombes à Paris ou Sous les niaoulis de la Nouvelle Calédonie.
J’ai donc eu envie de lui en demander de nous en dire un peu plus sur cette cantate et sur ce qui résonne encore, à son sens, de Louise Michel dans le monde contemporain[1] :
Il est vrai que seule l’écriture de chansons et l’expression chantée me confèrent une voix au chapitre, et je suis peu idéologue et encore moins théoricienne, mais je veux bien vous raconter succinctement la genèse de cette Cantate pour Louise Michel.
Elle est née d’une commande de la part de l’Association Résonance Contemporaine, pour un chœur de chanteuses aux voix plutôt lyriques, et un groupe de percussionnistes handicapés mentaux, les Percussions de Treffort, deux groupes dirigés par Alain Goudard. J’ai donc cherché un thème pour ce travail, et le personnage de Louise Michel, par la richesse d’approches qu’elle pouvait offrir, s’est très vite imposé à moi. J’ai donc « plongé » dans l’immense œuvre écrite de la dame, dans les ouvrages historiques la concernant également, et j’ai réalisé que son parcours de vie était en lui-même un roman extraordinaire, alors j’ai choisi de raconter cette destinée unique en partant à la recherche de LM à travers les divers lieux où elle a pu vivre: son village de naissance, les lieux où elle fut institutrice, le maelstrom du Paris de la Commune, la Nouvelle Calédonie son lieu d’exil, les différentes prisons où elle passa tant d’années. La Cantate, destinée à être produite sur scène, avec scénographie et mise en espace, j’ai choisi comme fil rouge (ou noir !) de raconter ma propre quête de ce personnage, du village de Vroncourt au cimetière de Levallois où elle repose, cherchant des traces concrètes de cette femme qui sans cesse échappe à toute « classification » ou récupération.
Le chœur de chanteuses dans cette histoire a un peu fonction de chœur antique, et le groupe de percussionnistes a travaillé à évoquer de manière sonore les différents décors de l’action: Le bruit des sabots des ouvriers sur les pavés parisiens, les tambours de la semaine sanglante, la présence de la nature en nouvelle Calédonie. La force des écrits tant biographiques que poétiques de Louise Michel est tellement liée à la chair de sa propre vie que j’ai d’une part choisi un certain nombre de poèmes emblématiques que j’ai mis en musique, et j’ai d’autre part donné une forme de chanson à certains de ses textes en prose. J’ai enfin écrit quelques chansons personnelles donnant mon propre regard sur elle, vue avec des yeux d’aujourd’hui. La période de la Commune ayant été très riche en expressions chantées, je me suis fait aussi un plaisir de puiser dedans.
Louise Michel me fascine à divers titres, d’abord comment da curiosité et son intelligence l’ont amenée à s’impliquer, bien en avance sur son époque, dans le domaine de la pédagogie où elle fut innovante, dans le domaine de la condition féminine qu’elle a décrite avec acuité, défendant l’égalité hommes/femmes avec fougue, dans les luttes contre le système colonial, en particulier pendant son séjour en Nouvelle Calédonie. Son regard sur la condition animale est également très décalé avec la mentalité de son époque. Évidemment sa description des injustices sociales est tout à fait frappante, et cela déterminera le cours entier de sa vie.
Mais ce qui fait d’elle un personnage terriblement touchant, c’est qu’avant tout, elle se voyait (croyait ?) poète, poétesse dirions-nous aujourd’hui, musicienne également, et toute sa vie de travail et de militance, elle l’a vécue à travers sa sensibilité poétique du monde, sans séparation entre l’action politique et l’action poétique, l’une se nourrissant sans cesse de l’autre. On peut en cela la comparer à Victor Hugo, qu’elle admirait (même si Louise n’a jamais eu la « plume » de Victor). C’est surtout dans ses Mémoires que cela est très sensible : sensibles, justement toutes ses notations, visuelles, sonores, et sa manière toute personnelle de relier les choses concrètes à toute une cosmogonie, mélange « savant » entre son imaginaire et ses connaissances scientifiques.
Voilà pourquoi cette Cantate pour Louise Michel, et je terminerai sur l’admiration que je porte à la sincérité de ses engagements, une forme de compassion à la douleur des autres bien au-delà du raisonnable… Ça fait du bien dans notre époque si morne et normative, un peu de passion !
Écoutez la piste 8 du disque, La danse des bombes :
Hélène Joly est documentaliste à l’Université de Lausanne (Institut d’études politiques), où elle est responsable du Pôle documentaire sur la vie politique, sociale et économique en Suisse (Viedoc). Elle est diplômée en Etudes genre de l’Université de Genève (1998).
Michèle Bernard est une autrice, compositrice, et interprète française.
Notes de bas de page
- Courriel de Michèle Bernard, le 20 avril 2021. ↩
Pour citer ce billet de blog : Hélène Joly, « La musicienne Michèle Bernard évoque pour nous sa «Cantate pour Louise Michel» », Blog du Centre Walras-Pareto, 30 septembre 2021, https://wp.unil.ch/cwp-blog/2021/09/la-musicienne-michele-bernard/.