Parmi l’œuvre immense du peintre lucernois Hans Erni, décédé le 21 mars 2015 à l’âge de 106 ans, célèbre entre autres pour ses compositions monumentales, il est pour nous une affiche de grande portée symbolique : celle de l’inauguration de la Cinémathèque suisse à Lausanne, en 1950. Fondée en novembre 1948, la Cinémathèque est officiellement inaugurée deux ans plus tard jour pour jour, après avoir obtenu le transfert des collections du Schweizerisches Filmarchiv de Bâle, ainsi que des locaux et une subvention de la Municipalité de Lausanne. Pour fêter l’événement, une Semaine du cinéma est organisée du 30 octobre au 4 novembre 1950, couronnée par un grand Bal au Lausanne Palace, avec force vedettes venues de Paris.
A l’été 1950, le Conseil de Direction de la Cinémathèque examine deux maquettes d’affiches en vue de la manifestation, commandées respectivement à Lévy et à Geiser. Mais les esquisses ne convainquent pas. On reproche au premier de « fragmenter le mot Cinémathèque, ce substantif étant déjà rébarbatif pour la majorité des gens », et au second de recourir au motif de l’œil, qui « n’est pas forcément un signe représentatif du cinéma ». C’est alors qu’Albert Mermoud, Président de la Guilde du livre et membre fondateur de la Cinémathèque, se propose de demander « à Hans Erni s’il a dans ses esquisses un projet “cinéma” ». Erni avait déjà signé, en 1948, une affiche promotionnelle pour la Guilde du Livre, avec pour slogan « Le livre pour tous ».
Proche avant la guerre des courants cubistes et abstraits (il est membre du groupe « Abstraction/Création »), Erni est alors un artiste à la fois affirmé et controversé. Auteur d’une fresque remarquée lors de l’Exposition nationale de 1939 à Zurich, il fait l’objet d’une importante exposition monographique au Kunsthaus de Lucerne en 1944. Peintre engagé, proche du Parti du Travail, il remporte pendant la guerre un concours pour la réalisation de nouveaux billets… que la Banque Nationale Suisse renonce finalement à mettre en circulation face aux protestations des milieux politiques anticommunistes, en 1949. L’affaire, marquée par le contexte de la « guerre froide », fait grand bruit et écarte durablement le peintre de toute commande fédérale (ce boycott sera toutefois levé par la suite).
Lettres de Hans Erni à Albert Mermoud, 05-07.09.1950.
Cinémathèque suisse, Fonds Freddy Buache [CSL 38], Classeur 3.
En septembre 1950, Hans Erni s’attelle donc à la réalisation de la première affiche officielle de la Cinémathèque suisse et s’emploie à fournir une création originale. « Je m’arrache les cheveux pour l’affiche Cinémathèque », écrit-il à Mermoud le 5 septembre. Et deux jours plus tard : « Depuis ma visite chez vous, je n’ai fait que travailler à cette affiche. Mon idée pour cela est de réunir simultanément la fabrication du film, la caméra, la prise de vue et le spectateur ». Il soumet alors deux variantes d’un même dessin, l’un en pleine page, l’autre encadré par des bords blancs imitant un écran de cinéma. C’est le premier qui sera retenu, lithographie couleurs d’un dessin en noir et blanc, qui fera également la couverture du programme accompagnant l’inauguration.
Ironie du sort, alors même que le nom d’Erni est jugé inapproprié par les fonctionnaires de la Banque Nationale, l’affiche qu’il réalise pour la toute nouvelle Cinémathèque sera primée par le Département fédéral de l’intérieur, procurant un regain de respectabilité à la jeune institution.
Par ailleurs, Albert Mermoud et Hans Erni poursuivront une longue et fructueuse collaboration, dont on retiendra la création, par Erni, de l’emblème de La Petite Ourse, la collection « de poche » de la Guilde du livre (1953), la publication d’une monographie sur l’artiste signée Claude Roy (1964) et plusieurs albums de dessins et de peintures édités par la Guilde.
Alessia Bottani
Référence
Alessia Bottani, « Hans Erni et l’inauguration de la Cinémathèque suisse », in Frédéric Maire et Maria Tortajada (dir.), site Web La Collaboration UNIL + Cinémathèque suisse, www.unil-cinematheque.ch, mars 2015.
Droits d’auteur
© Alessia Bottani/Collaboration UNIL + Cinémathèque suisse.