Portrait de Hugo Mauerhofer

Hugo Mauerhofer

Hugo Mauerhofer, °1904 – †1962

Fils d’un cadre des PTT, Hugo Mauerhofer étudie la philosophie et la psychologie dans sa ville natale de Berne, ainsi qu’à Hambourg et Düsseldorf. Il obtient le titre de docteur ès lettres (Dr. Phil.) avec un mémoire sur « “l’introversion” chez Hermann Hesse » (1929), et est bientôt engagé aux PTT comme psychologue et « psycho-technicien » (1931)1. Il embrasse ensuite le domaine de la culture et du cinéma, où il mènera dès lors toute sa carrière. En juillet 1942, en remplacement de Max Frikart, il est nommé au Département fédéral de l’intérieur (DFI) à la tête du secrétariat de la Chambre suisse du cinéma, ce qui inspire au journaliste allemand Hans H. Wollenberg, auteur d’un reportage sur la situation du cinéma en Suisse pour la revue Sight and Sound en 1947, cette note : « Vous serez surpris d’apprendre (ou peut-être pas) que ce poste est occupé par un éminent psychologue, le Dr. Hugo Mauerhofer, qui a grandement contribué à explorer d’un point de vue psychologique le fait d’aller au cinéma »2. Les bibliographies ne répertorient cependant qu’un seul article de Mauerhofer sur ces questions, datant de 1944 : « Zur Psychologie des Filmerlebnisses » (Schweizer Annalen), que la prestigieuse Penguin Film Review reprendra cinq ans plus tard sous le titre « Psychology of Film Experience »3.

Etat et cinéma

A la Chambre suisse du cinéma, Mauerhofer rejoint Antoine Borel, qu’il seconde pendant toute la durée de sa présidence. Pendant près de quinze ans, au sein de cet organe consultatif, les deux hommes représentent l’Etat dans ses rapports avec les milieux du cinéma et œuvrent dans le sens d’une intervention qui est alors encore très débattue. Placée sous la responsabilité du DFI, la Chambre du cinéma dépend du Conseiller fédéral Philipp Etter, en charge dudit département de 1934 à 19594. Dès sa nomination, Mauerhofer apparaît comme le principal spécialiste du cinéma au sein de l’administration fédérale, rédigeant dès 1943 un rapport sur la production helvétique, qui appuie l’idée d’un soutien public afin de compenser l’étroitesse d’un marché offrant peu de possibilités d’amortissement. En 1945, il intervient au Congrès du film de Bâle sur le thème « Etat et cinéma » (« Staat und Film ») et, en 1948, dans un ouvrage commémorant le centenaire de la Constitution fédérale, il propose un texte revenant sur l’histoire du cinéma en Suisse qui exprime les attentes placées dans le développement d’une production nationale : « Le cinéma suisse, écrit-il, se doit de démontrer qu’un Etat libre et démocratique garantit la dignité et le plein épanouissement de l’homme ».5

Cette même année, il se charge des démarches préliminaires à la mise en place d’un fonds suisse du cinéma (« schweizerischer Filmfonds »), un projet du Syndicat des travailleurs du film, appuyé par la Chambre, visant à soutenir la production nationale – mais aussi les Archives cinématographiques suisses – via le prélèvement d’une taxe sur les billets de cinéma. Ce projet, plus connu sous le nom de « sou du cinéma » (« Kinofünfer »), n’aboutira pas6. En 1950, dans le cadre de la réflexion en cours sur une future législation suisse du cinéma, il élabore un « Plan » fustigé par les directeurs de salles en raison de son caractère interventionniste7.

Lorsque le DFI crée, en son sein, la Section Cinéma (Filmsekretariat, 1955), la direction en est confiée à Mauerhofer, « grand défenseur des intérêts culturels du cinéma » (Moeschler).8 Dans ces nouvelles fonctions, il finalise la préparation de l’article constitutionnel sur le cinéma, soumis avec succès au vote populaire le 6 juillet 1958, qui donne enfin à l’Etat les bases pour légiférer en matière de cinéma. Et il suit le grand chantier qui en découle : la Loi sur le cinéma. Il décède en 1962, alors que celle-ci est examinée par les Chambres. C’est son successeur, le producteur Oscar Duby, qui aura à la mettre en œuvre. Le chef du DFI, Hans-Peter Tschudi salue alors « son engagement continu et résolu pour le soutien au cinéma suisse ».9

Archives et Cinémathèque

A partir de 1944, Mauerhofer représente la Chambre suisse du cinéma au sein de la Commission des Archives cinématographiques suisses de Bâle créées le 1er octobre 194310. Dès lors, avec Antoine Borel, il en suit de très près, le développement et les difficultés, puis le transfert à Lausanne en 1948/1949. Il est ensuite un interlocuteur régulier de la Cinémathèque suisse pendant toute la période de sa constitution et au-delà, se montrant particulièrement à l’affût des éventuelles dimensions politiques de son activité, mais intervenant aussi auprès des sociétés de distribution pour obtenir le dépôt de tel ou tel film parvenu en fin d’exploitation – une participation directe à la mission de sauvegarde de l’institution dont on trouve trace dans la correspondance et les rapports d’activité. Fin 1953, alors que la Cinémathèque propose au DFI de siéger à son Assemblée générale, il y est délégué comme observateur – titre qu’il conservera jusqu’à sa mort. A l’annonce de son décès, survenue le 17 mars 1962, l’institution écrit au DFI pour lui faire part de son « souvenir reconnaissant », saluant le « soutien précieux » du fonctionnaire et « son appui en maintes circonstances difficiles ».

Festivals et télévision

Entre autres missions pour le compte de la Chambre suisse du cinéma, Mauerhofer est désigné pour représenter la Suisse à la première édition du Festival de Cannes en 1946, puis à la Biennale de Venise en 1947. L’année suivante, il fait partie de la commission de sélection du Festival de Locarno – manifestation qu’il défendra par ailleurs dans la seconde moitié des années 1950, face à l’Association internationale des producteurs de films.11

En 1951, il figure parmi les membres de la Commission nationale de télévision.

Alessia Bottani et Pierre-Emmanuel Jaques

Notes

1. Selon la nécrologie parue dans Der Bund, 20.03.1962. Une brève publiée lors de sa nomination à la Chambre suisse du cinéma le définit avec moins de précision comme expert- psychologue auprès de l’Office fédéral du personnel (« psychologischer Experte beim eidgenossischen Personalamt », voir « Der neue Sekretär der schweiz. Filmkammer », Basler Nachrichten, n°178, 02.07.1942, StABS, PD-REG 4a 11.01.04).?

2. « No less interesting as the Swiss Film Chamber itself is the chief of its secretariat. You may be surprised (or perhaps not) to learn that this post is filled by a distinguished psychologist, Dr. Hugo Mauerhofer, who considerably contributed to the psychological exploration of cinema-going », H.H.Wollenberg, « The Scene in Switzerland », Sight and Sound, Winter 1947/48, CS, CH DP 700.?

3. Le comité de rédaction de cette revue publiée de 1946 à 1949 était composé du même Hans H. Wollenberg, ainsi que de R.K. Neilson Baxter et Roger Manvell. Voir la fiche sur le site des éditions Penguin : http://www.penguinfirsteditions.com/index.php?cat=mainFR [consultée le 23.11.2016]?

4. C’est précisément à l’initiative de ce dernier qu’est organisée à Berne, en 1935, une importante Conférence relative au développement du cinématographe en Suisse (Konferenz zur Aussprache über die gegenwärtige Lage im schweizerischen Filmwesen), débouchant, trois ans plus tard, en la création de la Chambre suisse du cinéma (1938). Voir Olivier Moeschler, Cinéma suisse. Une politique cultuelle en action : l’Etat, les professionnels, les publics, Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, Collection Le savoir suisse, 2011, pp.25-29 ; et R. Cosandey et C. Tourn, notice d’autorité du fonds Chambre suisse du cinéma sur le site de la Cinémathèque suisse, février 2017 : https://caspar.cinematheque.ch/index.php/chambre-suisse-du-cinema ?

5. Hugo Mauerhofer, « Le film suisse », in : Arnold Schwengler et Pierre Grellet, La Démocratie suisse 1848-1948, Morat, Editions patriotiques, 1948, pp. 344-354. Citation p. 354.?

6. Avorté en 1948, il sera remis à l’ordre du jour, avec aussi peu de succès, en 1953. Voir Olivier Moeschler, op.cit., p.44.?

7. Intervention de Theodor Kern, secrétaire du Schweizerisches Lichtspieltheater-Verband, devant une commission parlementaire : Gewerbegruppe der Schweizerischen Bundesversammlung, « Postulat Frei betreffend Verfassungsartikel über das Filmwesen », 03.10.1950, Archives fédérales, E3800#1976:87#18.?

8. Un « Arrêté du Conseil fédéral modifiant le règlement d’organisation de la chambre suisse du cinéma (Du 18 août 1955) » indique d’abord que « Les affaires de secrétariat et autres affaires courantes de la chambre du cinéma sont gérées par le secrétariat du département de l’intérieur » [Art.11]. Un mois plus tard, une circulaire du DFI aux professionnels du cinéma introduit la nouvelle appellation : « […] le secrétariat de la chambre du cinéma a été supprimé comme tel et transformé en une section du cinéma du secrétariat du département fédéral de l’intérieur. Cette section, dirigée par le Dr. Mauerhofer, s’occupera des affaires courantes de la chambre » (Philipp Etter/DFI, « Aux Organisations cinématographiques à caractère culturel ainsi qu’aux Associations de l’économie cinématographique », 30.09.1955, CS, CSL 1, N3.2 DFI, Chemise CSL 1 19:2 D3.1).?

9. « Herr Dr. Mauerhofer hat sich durch seinen unentwegten und konsequenten Einsatz um die Förderung des schweizerischen Filmwesens grosse, bleibende Verdienste erworben », Hans-Peter Tschudi, Faire part de décès de Hugo Mauerhofer, 19.03.1962, CS, CSL 1, N3.2 DFI, Chemise CSL 1 19:3 D3.1.?

10. La Chambre suisse du cinéma le nomme comme son représentant au sein des Archives cinématographiques suisses en mars 1944 ; son entrée à la Commission des Archives est actée en juillet de la même année et sa première participation date du mois de novembre 1944. Voir Pv de la séance de la Chambre suisse du cinéma du 28.03.1944, CS, CSL 010_04-05-01 (Fonds Chambre suisse du cinéma), boîte 5, chemise 5/5 ; note du 11.07.1944 en dernière page des statuts (« Organisationsstatut für das Schweizerische Filmarchiv in Basel ») annexés au rapport du DIP du Canton de Bâle-Ville au Conseil d’Etat (« An dem Regierungsrat »), sans titre, daté 12.03.1945, StABS, PD-REG 4a 11.01.04 ; « Protokoll der Sitzung der Schweiz. Filmarchivkommission vom 17. November 1944 », StABS, ED REG 1 359-9-1, Chemise 8 « Protokolle und deren Begleitschreiben ».?

11. Jean Nicollier, « La Suisse et le Festival de Locarno. Entretien avec M. Mauerhofer, du Département fédéral de l’intérieur », Gazette de Lausanne, 20 juillet 1957, p.9.?

Sources

AVL = Archives de la Ville de Lausanne

CS = Cinémathèque suisse

StABS = Staatsarchiv Basel-Stadt

-Hugo Mauerhofer, Die Introversion mit spezieller Berücksichtigung des Dichters Hermann Hesse, Diss. Phil., Bern-Leipzig : P.Haupt, 1929.

-« Der neue Sekretär der schweiz. Filmkammer », Basler Nachrichten, n°178, 02.07.1942, StABS, PD-REG 4a 11.01.04.

-Hugo Mauerhofer, « Bericht über die Schweizerischen Filmproduktion », Bern, 05.04.1943, CS, dossier documentaire CH DP 700.

-« Organisationsstatut für das schweizerische Filmarchiv in Basel », 25.08.1943, annexe au rapport du DIP du Canton de Bâle-Ville au Conseil d’Etat, sans titre, 12.03.1945, StABS, PD-REG 4a 11.01.04.

-Pv de la séance de la Chambre suisse du cinéma du 28.03.1944, CS, CSL 010_04-05-01 (Fonds Chambre suisse du cinéma), Boîte 5, Chemise 5/5.

-« Protokoll der Sitzung der Schweiz. Filmarchivkommission vom 17. November 1944 », StABS, ED REG 1 359-9-1, Chemise 8 « Protokolle und deren Begleitschreiben ».

-Hugo Mauerhofer, « Zur Psychologie des Filmerlebnisses », Schweizer Annalen n° 4/5, 1944 (Sondernummer Film-Fragen), pp. 264-270 ; paru en anglais sous le titre « Psychology of Film Experience », Penguin Film Review 8 (1949).

-« Internationale Filmwoche – Internationaler Filmkongress – Basel 1945 – 30 August – 8. September – Generalprogramm », CS, dossier documentaire CH FESTI BS BALE DIVERS.

-Hugo Mauerhofer, « Le film suisse », in : Arnold Schwengler et Pierre Grellet, La Démocratie suisse 1848-1948, Morat, Editions patriotiques, 1948, pp. 344-354. Citation p. 354.

-H. H. Wollenberg, « The Scene in Switzerland », Sight and Sound, Winter 1947/48, CS, CH DP 700.

-StABS, ED-REG 1 359-9 2, Chemise 13 Liquidation und Übergabe an Lausanne [correspondance sur le fonds suisse du film / sou du cinéma].

-Gewerbegruppe der Schweizerischen Bundesversammlung, « Postulat Frei betreffend Verfassungsartikel über das Filmwesen », 03.10.1950, Archives fédérales, E3800#1976:87#18.

-« Liste des membres de la Commission nationale de télévision », 07.06.1951, AVL, B3, 250.5.3.5.

-Lettre du Département fédéral de l’intérieur [Philip Etter] à la Cinémathèque suisse, 16.12.1953, CS, CSL 1, N3.2 DFI, Chemise CSL 1 19:2 D3.1.

-Liste des membres de la Cinémathèque suisse, sans titre, 19.12.1953, CS, CSL 1.1, Chemise 1/7 B1.2.

-« Arrêté du Conseil fédéral modifiant le règlement d’organisation de la chambre suisse du cinéma (Du 18 août 1955) ».

-Philipp Etter/DFI, « Aux Organisations cinématographiques à caractère culturel ainsi qu’aux Associations de l’économie cinématographique », 30.09.1955, CS, CSL 1, N3.2 DFI, Chemise CSL 1 19:2 D3.1.

Feuille fédérale, 1955, Vol. 2, Cahier 40, p.650 [nomination comme 1er chef de section au DFI, au 30.09.1955].

-Cinémathèque suisse, Rapports de gestion des 9ème et 10ème exercices (respectivement 1956/1957 et 1957/1958), CS, CSL 1.1, Chemise CSL 1 1:8 B1.2 [mention du soutien de Mauerhofer pour le dépôt de films à la Cinémathèque]

-Hugo Mauerhofer, « Probleme einer schweizerischen Filmgesetzgebung », Wirtschaft und Recht, nr. 9 (1957), p. 255, Zürich : Orell Füssli AG, 1957.

-Hugo Mauerhofer, « Probleme des schweizerischen Spielfilm-Produktion », in: Hans Fischli, Willy Rotzler (éd.), Der Film. Geschichte, Technik, Gestaltungsmittel, Bedeutung. Ausstellung, 9. Januar bis 30. April 1960, pp. 167-170 (Wegleitungen des Kunstgewerbemuseums der Stadt Zürich, 231), Zürich : Kunstgewerbemuseum Zürich, 1960.

-Faire part de décès signé par le Chef du DFI Hans-Peter Tschudi, 19.03.1962, CS, CSL 1 – N3.2 DFI – Chemise CSL 1 19:3 D3.1.

-Lettre de Marcel Lavanchy et Freddy Buache au DFI, 19.03.1962, ibid.

-Jean Nicollier, « La Suisse et le Festival de Locarno. Entretien avec M. Mauerhofer, du Département fédéral de l’intérieur », Gazette de Lausanne, 20 juillet 1957, p.9.

-[in.], Nécrologie, Der Bund (Bern), 20.03.1962.

-[in.], Nécrologie, Schweizer Film Suisse nr. 4, 20.04.1962, p.17.

-Roland Cosandey (dir.), Festival internazionale del film Locarno. 40 ans. Chronique et filmographie, Locarno, Festival International du Film Locarno, 1988.

-Olivier Moeschler, Cinéma suisse. Une politique cultuelle en action : l’Etat, les professionnels, les publics, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, Collection Le savoir suisse, 2011.

-R. Cosandey et C. Tourn, notice d’autorité du fonds Chambre suisse du cinéma sur le site de la Cinémathèque suisse, février 2017 : https://caspar.cinematheque.ch/index.php/chambre-suisse-du-cinema.

Illustration

Portrait illustrant la nécrologie parue dans Der Bund, 20.03.1962, sans mention du photographe.
© Tous droits réservés.

Référence

Alessia Bottani et Pierre-Emmanuel Jaques, « Portrait de Hugo Mauerhofer », in Frédéric Maire et Maria Tortajada (dir.), site Web La Collaboration UNIL + Cinémathèque suisse, www.unil-cinematheque.ch, mars 2017.

Droits d’auteur

© Alessia Bottani et Pierre-Emmanuel Jaques/Collaboration UNIL + Cinémathèque suisse.