1. Exercice d’analyse de film

Notes pour une séquence pédagogique

En ce qui concerne la numérotation des plans, le présent document s’appuie sur le découpage technique établi dans le cadre du projet « Discours du scénario ».

L’analyse proposée ici peut être complétée et approfondie par la lecture de l’article « L’adaptation du Rouge et le Noir par Claude Autant-Lara (1954) : procès, processus, procédés ».

1.1. Le générique du film

Introduction
Avant de montrer l’extrait aux élèves, leur demander d’imaginer un générique pour une adaptation du Rouge et le Noir. Evoquer à travers les exemples la diversité des cas possibles : absence de générique, séquence de pré-générique, mentions écrites sur fond neutre, mentions écrites sur des images emblématiques ou symboliques, mentions écrites en surimpression sur des images montrant des actions diégétiques, séquence en dessin animé mêlant mentions et dessins, mentions prononcées oralement – ce dernier est le cas le plus rare : Le Mystère de la chambre jaune de L’Herbier (1930), Le Roman d’un tricheur de Guitry (1937), Le Mépris de Godard (1963),…

En profiter pour différencier les composantes diégétiques (tout ce qui appartient au monde du film) des composantes extradiégétiques (voix over, musique, motifs iconiques renvoyant symboliquement au monde du film, mentions écrites,…).

Discuter les fonctions d’un générique de films : transmettre des informations sur les conditions effectives de la réalisation du film ; assurer le passage du monde réel au monde du film ; orienter la future lecture du film par le spectateur en dessinant un certain horizon d’attente (références à des catégories génériques notamment, ou simplement comme ici au statut d’adaptation d’une œuvre littéraire).

Discussion post-visionnage
Après avoir montré le générique ou des images fixes qui en sont issues, discuter les implications du type de générique choisi par Claude Autant-Lara et son équipe.

? Générique « classique » en ce qu’il est nettement séparé du reste du film ; les mentions écrites ont une présence physique particulière car elles sont associées au volume qui est filmé (il relève du profilmique en ce qu’il s’est trouvé devant la caméra au moment d’un tournage). Le livre de l’écran n’est toutefois pas diégétique (il n’est manipulé par aucun personnage) : il renvoie à la genèse du film, à son statut d’adaptation.

Réfléchir à l’intérêt d’exhiber ainsi le livre : volonté de légitimation d’un film qui capitalise sur un monument du patrimoine littéraire, assimilation de l’un à l’autre (titre commun, transfert des mentions écrites du film sur les pages du livre, homogénéité entre les caractères typographiques de « Stendhal » et ceux de l’équipe du film).

La musique du film qui retentit sur ces premières images est porteuse d’une emphase qui s’accorde à cette ambition du film.

? Pourquoi les plans 01 à 03 ne débutent-ils pas par l’exhibition du livre ? Qu’ont de particulier les mentions qu’ils comprennent ?

Les plans 01 et 02 se rapportent respectivement aux sociétés de distribution et de production du film, nous ne sommes donc pas encore au niveau de la mention d’instances plus directement liées à ce que le spectateur verra à l’écran.

Il s’agit toutefois de relever la dimension iconique du texte : « Gaumont présente » apparaît en rouge sur un fond noir, ce qui évidemment fait écho au titre de l’œuvre littéraire et du film.

Par ailleurs, le plan 02 confère un peu plus de matérialité à la mention écrite, le fond ayant la granularité d’une page de livre (tandis que le terme « une réalisation » est typographié) ; ce n’est toutefois qu’en 04 que le livre sera montré. « Franco London Film » est également écrit en lettres rouges.

? Pourquoi le plan 03 est-il composé comme les mentions ultérieures, mais apparaît avant la monstration de l’objet-livre ?

Il s’agit de souligner l’importance du couple de stars figurant ainsi côte à côte, chacune dans un encadré. Si les stars du film apparaissent en premier, c’est parce que ce sont elles qui en général garantissent la rentabilité d’un film. Il s’agit donc d’un argument de valorisation du film indépendant de l’œuvre adaptée, c’est pourquoi le carton qui leur est consacré apparaît en dehors du livre : ce n’est pas ici le rapport à Stendhal qui est souligné mais la présence des stars.

La genèse du Rouge et le Noir peut être évoquée sur ce point : lorsque Gérard Philippe refuse en mars 1947 d’interpréter Julien Sorel pour le projet d’Autant-Lara (notamment parce qu’il se trouvait trop âgé pour interpréter Julien, ce qui témoigne d’un souci de coller à l’image du personnage), le film ne se fera pas ; ce n’est que sept ans plus tard (et par conséquent avec sept ans de plus !) que Gérard Philipe acceptera cette participation, au moment où il aura avantage à le tourner parce qu’il doit honorer un contrat passé avec la maison de production Franco London Film intéressée au projet d’Autant-Lara. Ce n’est qu’à ce moment-là que le film sera mis en chantier au-delà de la phase d’écriture.

On peut souligner la présence de Gérard Philipe et de Danielle Darrieux dans de précédentes adaptations d’œuvres littéraires qui contribuent à ce que le public les associe à ce type de films : Philipe joue notamment dans L’Idiot (Georges Lampin), Le Diable au corps (Claude Autant-Lara, 1947) et La Chartreuse de Parme (Christian Jaques, 1948), tandis que Darrieux a préalablement joué dans Ruy Blas (Pierre Billon, 1948) ou dans l’un des sketches adaptés de Maupassant dans Le Plaisir (Max Ophüls, 1952) ; tous les deux jouent dans La Ronde du même Ophüls (1950), film adapté de la pièce d’Arthur Schnitzler.

La star ne doit pas seulement être envisagée d’un point de vue économique : elle participe en effet aussi à la définition du rapport affectif instauré entre le film et son spectateur en favorisant l’identification au personnage qu’elle incarne. Ce point est loin d’être sans incidences sur Le Rouge et le Noir d’Autant-Lara : alors que chez Stendhal le narrateur se distancie souvent de Julien pour commenter son comportement, l’identification au Julien du film fonctionne quant à elle à plein, d’autant que c’est la voix de Gérard Philipe que nous entendons over (monologue intérieur du personnage, inscrit dans la temporalité présente de l’action), et non narrateur extradiégétique. Le Julien du film apparaît comme plus sympathique et moins hypocrite au spectateur que celui du livre car il bénéficie de l’aura de la star.

Exemple d’une étude du phénomène de la star (en l’occurrence Edwige Feuillère) à partir du fonds Autant-Lara : article sur Le Blé en herbe et Un cas de malheur (1958).

Recherches en star studies parues en français :
-Richard Dyer, Le star-système hollywoodien, Paris, L’Harmattan, 2004 ;
-Vincent Amiel et alii, L’acteur de cinéma : approches plurielles, Rennes, PUR, 2007.

La manière dont la presse rend compte de la collaboration de Philipe et Darrieux au Rouge et le Noir témoigne de la manière dont l’acteur et l’actrice étaient perçus à l’époque.

Réception de l’époque : articles de presse consacrés à Gérard Philipe et Danielle Darrieux.

? Pourquoi, à partir du plan 04, le découpage propose-t-il une segmentation en pages ?

Il n’y a désormais plus de coupes : les mention se succèdent au sein d’un même plan, selon la logique des pages d’un livre tournées par une main invisible (suggérée par une ombre par moments portée sur le blanc de la page). Cette continuité renforce celle préalablement instaurée par les fondus enchaînés : il s’agit d’immerger le spectateur – le travelling avant sur l’ouvrage explicite cette visée – par l’assimilation du visionnage du film à un acte de lecture. La rosace imprimée sur la couverture du livre renvoie au motif du logo Gaumont de 01.

Séquence d’ouverture

? Etablissez dans le plan 1 ce qui relève du champ (ce qui est visible à l’image) et ce qui appartient au hors-champ (composantes diégétiques susceptibles d’être déduites des informations présentes dans le champ, mais non visibles sur l’écran).

Dans un premier temps : le président du tribunal encadré de deux juges se trouve dans le champ ; il s’adresse à des « messieurs » qu’il regarde en fixant alternativement la gauche et la droite, ce qui suggère qu’il est entouré d’autres hommes de loi ; ensuite, grâce à un travelling arrière, d’autres éléments sont dévoilés et entrent dans le champ ; en notera en particulier, à la fin du plan, un gendarme chapeauté situé en amorce dans le bord inférieur droit du cadre, qui suggère la présence de l’accusé à ses côtés (mais aussi qui « borne » le dévoilement de l’espace et fait ressentir le fait que l’accusé est en quelque sorte tenu à l’écart par le discours proféré à propos de lui).

Pour l’instant, accusé et public demeurent hors-champ, l’image se concentrant sur les représentants du pouvoir (le crucifix situé derrière l’homme de loi peut être vu comme une anticipation du pouvoir de l’église dont prendra conscience le jeune Sorel plus tard dans le film).

? Que notez-vous à propos de la prise de parole du président de la cour au début et à la fin de ce premier plan ?

Ouverture in medias res : une partie importante du procès a déjà eu lieu, nous en sommes dans l’après d’un bilan des débats. Effet de réel et immersion rapide du spectateur dans le récit du film.

A la fin du plan, un pont sonore permet à la voix in de se poursuivre en off sur le plan suivant : cette continuité sur des plans de personnages qui demeurent muets souligne l’impact du discours du président sur l’assistance.

? Comment l’apparition de Julien Sorel au plan 3 est-elle mise en scène ?

Voix off du président : Sorel subit le discours qui impose une certaine manière de le présenter ; il y a synchronisation exacte entre la profération de la phrase « vous connaissez maintenant ce meurtrier » et l’apparition de Julien dans le cadre (apparition qui a été différée).

Julien demeure impassible, stoïque, et cette rigidité est soulignée de manière contrastive par un mouvement de grue qui nous conduit à lui.

La continuité est ici soulignée : l’unique plan en mouvement entre le public et l’accusé suggère que celui-là est solidaire de celui-ci, comme en témoignent les visages inquiets. La verticalité du mouvement d’appareil descendant qui termine sa course sur Julien s’oppose à l’horizontalité du travelling arrière sur les jurés : deux sous-espaces sont circonscrits avant une confrontation qui, précisément, débute au plan 4 lorsqu’un travelling avant s’amorce au lever de Julien qui tient à prendre la parole (il se détourne d’abord pour fixer la foule qui s’agite et gronde, opérant le lien entre l’espace du public et ses juges ; le plan 6, filmé en plan poitrine, montre le Président qui demeure muet, suggérant que le lieu de la parole s’est désormais déplacé sur Julien).

? Décrivez les caractéristiques visuelles du plan 7 correspondant au début du discours de Julien (éclairage, rapport avant-plan/arrière-plan) en termes de mise en évidence de Philipe/Sorel ?

Ce plan 7 est identique au plan 5 : en fait, il est simplement interrompu par un insert de deux secondes qui en montre le contre-champ (visage du président). Cette prise de vue résultant d’une organisation particulièrement complexe au tournage (installation d’une grue), le plan est mis en évidence par rapport aux autres (on dira qu’il est marqué sur le plan de la monstration), acquérant ainsi un certain « relief » par rapport aux précédents. En outre, dans le plan 7, Julien est particulièrement mis en évidence en raison des éléments suivants :

– Echelle du plan (« plan poitrine », défini par rapport au corps de Julien) ;

– Position de l’acteur/du personnage dans le cadre (centre droit), dans une zone délimitée par la diagonale de l’ombre portée de la rampe des escaliers à l’arrière-plan et par la différence de luminosité entre la gauche et la droite de cet arrière-plan ;

– Faible profondeur de champ (l’arrière-plan –composé de figurants totalement immobiles – est visible mais rejeté dans le flou, la mise au point ayant été faite sur les yeux de l’acteur) ;

– La mise en évidence de Julien par un éclairage dit de « décrochage », c’est-à-dire d’une lumière qui, venant de derrière, découpe les contours de sa silhouette (voir en particulier la partie supérieure de sa chevelure et l’épaule gauche du veston) ;

– Une lumière principale puissante qui souligne la blancheur du visage et de la chemise, cette dernière contrastant avec la tenue foncée ;

– Il importe de souligner combien la prestance de l’acteur contribue à construire la noblesse du personnage (accentuée par la tenue, et par la distinction honorifique accrochée à son veston).

? En quoi peut-on dire que le discours filmique dans son entier se fait le support de la diatribe de Julien ?

Les plans 8, 10 et 11 sont accompagnés de la voix off de Julien, et illustrent exactement le propos de celui-ci à l’instant où il énonce certaines phrases ; ainsi, le « vous », les « riches » ou « ces jeunes gens » sont « pointés » à l’écran au moment même où Julien les évoque, le découpage du film étant guidé par la différence entre les classes sociales. On peut dire que le montage du film est soumis aux propos du personnage, ou inversement que ce personnage se fait le porte-parole du point de vue des auteurs du film (ce qui est d’autant plus important en début de film, au moment de l’orientation de la lecture) ; il ne s’agit pas tant du regard de l’assistance porté sur Julien que le regard de Julien lui-même sur le monde.

? Quels sont les principaux bruits entendus dans la séquence, et quel rôle jouent-ils ?

– Bruit de papier froissé et frottement de la plume pendant le discours du président : dimension officielle du discours ;

– Craquement du bois sous les pas du personnage qui quitte l’assemblée, et dont le déplacement s’inscrit dans la continuité d’un panoramique droite-gauche ; le déplacement sur une source sonore ponctuelle et secondaire est l’une des caractéristiques de la description au cinéma (juxtaposition d’éléments sur lesquels est successivement mis l’accent) ; cette manifestation sonore joue le rôle d’une ponctuation et fait exister sur la piste-son l’espace du public avec ce personnage qui traverse les rangs avec un petit panier, comme s’il s’agissait de vendre quelque chose au public d’un spectacle (dans le scénario, on lit : « C’est une grande salle, bourrée de spectateurs, à laquelle des balcons et une tribune donnent l’aspect d’un théâtre ») ;

– Le brouhaha de la foule (pas de voix synchrone, son planant, de fond)

– Le tintement strident de l’horloge, qui « sonne le glas » de l’intervention de Julien et permet de déduire, lorsque la source est visualisée, que le procès dure depuis plusieurs heures (il est minuit).

? Décrivez ce que l’on voit et ce que l’on entend dans les plans 18 et 19. Quelle est la fonction narrative de ce passage ?

Le travelling avant sur Julien, qui nous le montre cette fois de manière plus frontale (comme dialoguant indirectement avec nous, spectateurs), l’isole de la foule qui s’agite à l’arrière-plan. On observe la même chose au niveau sonore : la clameur de public soudain disparaît complètement pour faire place à la voix over de Julien. Elle n’est quant à elle pas accompagnée de l’écho des voix précédentes, ce qui contribue à l’extraire de l’environnement de la « scène » pour la rapprocher du spectateur qui accède à un autre espace, celui de l’intimité de Julien. L’accent est mis sur sa subjectivité (« je le sens »), et les temps verbaux (présent et futur) suggèrent que nous sommes non dans un discours rétrospectif, mais dans un monologue intérieur. Après la harangue à connotation politique et à portée collective, ce texte-ci introduit une composante individuelle et psychologique.

Le fondu enchaîné sur une image très différente (elle est tournée de jour en extérieur) indique que la voix over nous guide dans un flash-back, et que le film sera raconté « du point de vue » de Julien, même si le film ne jouera guère ensuite sur cette dimension subjective (si ce n’est via le procédé du monologue intérieur émis au niveau du récit enchâssé), ne revenant par ailleurs pas au monologue proféré dans la situation cadre du récit premier.