Stefanie Brander et Carine Carvalho : interview croisée de deux cheffes du Bureau de l’égalité

  1. Quels étaient les principaux défis à relever pour l’égalité à l’université lorsque vous êtes entrée en fonction ?

Stefanie Brander (SB) : Une situation difficile pour les femmes de la relève, dont les conditions de travail étaient souvent précaires et poussaient des chercheuses brillantes à abandonner leur carrière, surtout quand elles devenaient mères. Mais aussi une sous-représentation flagrante des femmes aux postes professoraux et des chercheuses confrontées à des cultures et des réseaux masculins marqués par un patriarcalisme plus ou moins bienveillant, des stéréotypes de genre et, parfois, des comportements ouvertement sexistes

On était en 2009, une époque qui avait vu reculer les mouvements féministes. Dénoncer les inégalités et le sexisme n’était pas sexy mais ringard. Le Bureau de l’égalité avait fait un excellent travail de terrain, mais était souvent considéré comme un OVNI qui aurait mieux fait de s’engager en priorité pour des places de crèches, après quoi le « problème des femmes » serait réglé.

Mais il y avait aussi de belles opportunités à saisir, qui m’enthousiasmaient : un terrain intellectuel foisonnant, critique et éclairé, beaucoup de chercheur·e·s fortement engagé·e·s pour l’égalité et des recherches pointues sur les questions de genre. Pour le Bureau de l’égalité, le défi était de rassembler toutes ces forces progressistes, mais aussi d’ancrer l’égalité à tous les niveaux de l’UNIL, notamment dans les instances de décision, la Direction et les facultés. Bref, de faire comprendre les inégalités entre femmes et hommes non pas comme enjeu individuel seulement, mais surtout institutionnel. J’avais un double rôle à endosser : celui de la charretière, pour faire avancer une charrue souvent bien embourbée, et celui du chien de berger, pour contenir sa troupe, quitte à mordre de temps en temps à gauche et à droite.

J’ai eu la chance d’entrer en fonction sous une direction pilotée par un recteur sensible à la question de l’égalité et dont les membres étaient des partenaires, ouvert·e·s à développer de nouvelles stratégies. Ce fut notamment le cas à partir de 2012, avec notre cheffe, la vice-rectrice Franciska Krings. Nous avons mis en route des plans d’action qui sont aujourd’hui bien ancrés et portés par de nombreux acteurs et actrices à l’UNIL.

Carine Carvalho (CC) : Le travail pour l’égalité est souvent lent : nous n’en avons pas fini avec certains défis, et d’autres s’annoncent ! Les objectifs restent les mêmes qu’il y a 20 ans : augmenter le nombre de femmes professeures, promouvoir des conditions de travail propices à la conciliation entre les sphères de vie, soutenir la relève académique féminine. Se sont ajoutés progressivement à ces défis l’analyse de l’égalité salariale, la promotion du langage inclusif, la prévention et la gestion des cas de sexisme et de harcèlement, le soutien aux carrières des femmes du personnel administratif et technique et une meilleure formation des cadres, entre autres.

Lors de mon entrée en fonction, le Bureau s’est vu attribuer d’autres missions, comme le combat contre les discriminations envers les personnes LGBTIQ+ et les discriminations raciales. C’est une évolution bénéfique, qui nous invite à travailler dans une perspective intersectionnelle et à multiplier le travail en réseau avec les chercheuses et chercheurs, les facultés, les services et les associations du campus. Ceci dit, la forte dimension collaborative – qui est l’ADN de notre travail – et le réseau de promotion de l’égalité n’ont jamais été aussi forts, incluant des collaborations avec le Bureau de l’égalité cantonal, celui de la Ville de Lausanne et des autres hautes écoles.

La grève des femmes et le 50e anniversaire du droit de vote et d’éligibilité des Suissesses ont donné une grande visibilité à la question de l’égalité, et le défi a été d’être à la hauteur des attentes, malgré une situation pandémique venue ralentir nos efforts. Le coronavirus et la fermeture (partielle) du campus a imposé d’autres façons de travailler, des évènements et des formations ont dû être annulés et d’autres formats ont été mis sur pied.

2. Un moment particulièrement marquant au cours de votre carrière de déléguée à l’égalité de l’UNIL ?

SB : Un moment « metoo » ou plutôt « shetoo » : quand la première femme doyenne de la Faculté de biologie et de médecine (FBM) n’a pas été réélue, suite à une fronde masculine réunissant deux sections normalement occupées à se battre entre elles : la clinique et la recherche fondamentale. Ironie du sort, la doyenne destituée – la professeure Béatrice Desvergne – était l’une des architectes importantes·e·s de la politique égalité de l’UNIL, en tant que présidente de la commission égalité.

CC : La grève des femmes du 14 juin 2019, évidemment ! Comme en 1991, il y aura eu un avant et un après. A l’Université, un collectif de la grève a été créé et s’est montré très actif. Pour le Bureau de l’égalité, cela a été l’occasion d’entrer en dialogue avec de nouvelles actrices et acteurs et de faire un bilan de notre action.

Moins visible mais également très importante : la création, en 2020, de la Fondation Accueil Petite Enfance EPFL-UNIL (FAPE), présidée au départ par la vice-rectrice Déborah Philippe et fortement soutenue par la Direction. Le dossier de l’accueil de l’enfance reste très présent parmi nos activités. En 2021, nous inaugurerons la quatrième garderie du campus, La Primavera, au Vortex. 

3. Quelles évolutions avez-vous constatées, au regard de l’égalité dans le milieu académique, depuis l’époque de votre entrée en fonction ? Et aujourd’hui, êtes-vous optimiste pour la suite ?

CC : Avec moins de trois ans à mon actif, il est difficile de faire une analyse. Mais des signes très positifs se dégagent. En cette nouvelle année académique, la Direction de l’UNIL compte un dicastère Egalité, diversité et carrières, et la plupart des facultés ont nommé un·e membre du décanat responsable de la question. Cet ancrage, couplé avec le travail en réseau, est essentiel pour garantir une certaine stabilité aux efforts de promotion de l’égalité. Ce sont des relais importants.

D’un autre côté, nous assistons dans le débat public à un renforcement des prises de position contraires à la promotion de l’égalité, de la diversité et de l’inclusion. Le débat devient plus violent et de moins en moins basé sur les faits. Un risque pour l’évolution plutôt fragile de ces dernières années.

SB : Les évolutions que j’ai constatées : une sensibilité accrue aux inégalités entre femmes et hommes, l’implication grandissante de nombreuses personnes – chercheur·e·s, personnel administratif et étudiant·e·s – et l’augmentation du nombre de femmes professeures, en particulier dans les facultés qui ont développé des mesures contraignantes, comme la Faculté des géosciences et de l’environnement. Mais aussi une plus grande visibilité et valorisation publique des chercheuses, notamment en FBM, comme nous avons pu le voir dans le contexte de la pandémie.

Le Bureau de l’égalité a réussi à rassembler beaucoup d’expertise au cours de ces dernières années, avec une excellente équipe qui a fait de ce bureau une instance de référence, un instrument de soutien aux femmes et de promotion de l’égalité. Non seulement au sein de l’UNIL, mais aussi dans le paysage académique suisse et au niveau international, comme en témoigne l’intérêt d’universités françaises et belges pour la politique égalité de l’UNIL. Je suis très reconnaissante d’avoir pu travailler avec cette équipe.

Cependant, les bases légales et les ressources pour l’égalité à l’UNIL mériteraient d’être améliorées et renforcées, aussi au niveau du canton. Celui-ci devrait s’occuper un peu plus activement de l’égalité, après l’arrêt des coups de pouces financiers de la Confédération. Et j’espère que la lutte pour l’égalité ne soit pas noyée dans l’enthousiasme actuel pour la diversité ou dans des approches individualistes ou identitaires.

C’est banal, mais la pluie et le beau temps en matière de promotion de l’égalité restent tributaires de la volonté politique et du courage des personnes qui sont aux commandes, à l’Université, aux niveaux du canton ou de la Confédération. J’en ai fait l’expérience pendant les 9 ans de mon mandat. Avec la gouvernance qui vient d’entrer en fonction à l’UNIL, j’ai de l’espoir, oui ! Il y a un nombre de doyennes et de vice-rectrices jamais vu jusqu’ici et beaucoup des nouvelles personnes se sont déjà fortement engagées pour l’égalité ces dernières années. C’est prometteur… et je souhaite bon vent à toutes et à tous !