Edward Said

Edward Wadie Said est né le 1er novembre 1935 à Jérusalem et il est mort le 25 septembre 2003 à l’âge de 67 ans. Edward Said est essentiellement connu pour son livre de 1978, « L’orientalisme« . Ayant comme modèles intellectuels des philosophes tels que Michel Foucault ou Jacques Derrida, Said s’intéressera vite à la manière dont l’Occident a construit le mythe du Moyen-Orient. Il reste une sorte de superstar du monde des sciences sociales aux États-Unis.Il est avant tout critique littéraire et c’est principalement à travers des analyses littéraires qu’il fait passer ses idées.  Cette manière de remettre en question les restes des institutions coloniales et leurs parts de stéréotype a permis à un nouveau mouvement d’émerger au sein du milieu académique américain: les études postcoloniales.

Vie et pensée d’Edward Said (1935-2003)

Repères biographiques

Jeunesse en Palestine

Edward Said naît en Palestine en 1935. La Palestine est alors encore sous domination britannique. Le père d’Edward ayant servi dans l’armée américaine durant la première guerre mondiale, il acquiert la nationalité américaine. Ce dernier ouvre alors un petit business au Caire. Edward et ses quatre jeunes soeurs passent leur enfance ballottés entre Jérusalem et Le Caire. Il fait tout de même sa scolarité en Palestine jusqu’à l’âge de 15 ans.

Il existe toute une polémique autour de la biographie d’Edward Said. En effet, un avocat américain du nom de Justus Reid Weiner a denoncé Said en disant qu’il n’avait pas été honnête quant à sa vie en Palestine. Apparemment, selon ce dernier, Said aurait fait son enfance au Caire et n’aurait jamais été réfugié après le retrait des troupes britanniques de Palestine. C’est une anecdote mais Said a été attaqué en raison de son statut d’intellectuel palestinien, et il est également intéressant de voir comment il se positionne face au conflit.

Les États-Unis

Après une enfance mouvementée et avoir fui la Palestine, les parents de Said lui font faire des études aux États-Unis. Il reçoit son Bachelor ès Lettres de l’université de Princeton en 1957; son Master en 1960 et il devient Docteur en littérature anglaise en 1964 au sein de l’université de Harvard. En 1963, il commence à enseigner à l’Université de Columbia, après un brillant parcours universitaire. Théoricien et critique littéraire, Saïd influencera plusieurs champs disciplinaires.

Il enseigne à Columbia – où il est notamment un des professeurs de Barack Obama – à Stanford et à Harvard. En 1991, il devient professeur attitré de littérature comparée de l’université de Columbia et il gardera cette chaire jusqu’à sa mort en 2003. Il a fait partie de nombreuses association académique et scientifique prestigieuses telles que l’American Academy of Arts and Sciences, la Royal Society of Literature et l’American Philosophical Society.

La publication de « L’orientalisme » en 1978 le fait connaître . Dès la publication de « L’Orientalisme« , Edward Said participe également à la formation du nouveau champ de recherche que sont <les études postcoloniales>, dont il devient un théoricien incontournable et qu’il contribue largement à faire connaître. En effet, son livre donne à ce mouvement une raison d’être et un ouvrage de référence. Il participe donc aux différents colloques qui lancent la recherche dans ce domaine, avec notamment son collègue et ami Noam Chomsky, avec qui il partage une certaine notoriété.

La pensée de Said

Orientalisme et postcolonialisme

Comme cela a été souligné à plusieurs reprises, « L’Orientalisme » est le point central de la pensée et de la carrière d’Edward Said. Ce livre ouvre la voie à un nouveau champ de recherche et d’analyse pour les rapports entre l’orient et l’occident du point de vue des représentations littéraires. Said montre qu’il existe un véritable mythe autour de l’image de l’orient et des personnes orientales; il s’agit d’une représentation construite à travers les oeuvres littéraires romanesques mais également les articles scientifiques. Les chercheurs occidentaux ont tendance à présenter leurs analyses comme s’ils en savaient plus que quiconque sur le sujet; comme s’ils connaissaient mieux les orientaux que les orientaux eux-mêmes. Said fait état de ce problème en parlant de préjugés eurocentriques subtils, et c’est bel et bien cela qui est en jeu. Said remet en question une bonne partie de la production de littérature scientifique européenne et américaine, faisant émerger des biais méthodologiques. En effet, une grande partie de cette littérature a été produite dans le but de justifier la domination occidentale plutôt que de réellement chercher la rigueur de l’analyse scientifique.

Le second mouvement que Said met en évidence et celui de l’appropriation de ces préjugés par les populations orientales elles-mêmes. Un siècle de colonisation et de formatage à la pensée occidentale ont suffit, dans certains cas, pour voir les populations orientales accepter et nourrir cette domination intellectuelle. Ce second mouvement permet à Said de montrer que cette dynamique qui s’est mise en place pendant la colonisation a survécu à celle-ci. À travers l’orientalisme, les anciens pays colonisateurs justifient leurs actions et leurs attitudes impérialistes et néocolonialistes. Said conclut en disant que cela a créé une relation binaire entre l’Orient et l’Occident. L’Orient est représenté comme le protégé, et l’Occident comme le protecteur. Cette mythologie persiste certainement aujourd’hui à certains niveaux.

Cet ouvrage est considéré comme un des textes fondateurs des études postcoloniales. En effet, Said fut l’un des premiers intellectuels à relever cette persistance du schéma colonial malgré la décolonisation. Les postures intellectuelles et les schémas de pensée des anciens pays coloniaux ont réellement été marqués par la colonisation. Il est important de mettre en évidence ce rapport très étroit entre les convictions politiques et idéologiques et la production scientifique d’un moment donné. En dehors de cette influence très importante, Said et son concept d’Orientalisme ont été sévèrement critiqués, notamment part les orientalistes du moment qui ont vu dans ce terme une attaque quant à la qualité de leur travail. En un sens, cela est vrai, mais Said est avant tout un littéraire. Il avance dans ce livre une théorie critique des recherches sur le sujet et ne vise personne en particulier. « L’Orientalisme » est à comprendre comme la mise en évidence de certains biais auxquels il faut faire attention. Cette manière de comprendre le livre a été particulièrement influente dans le monde de l’anthropologie. Aujourd’hui Said y est cité dans tous les cours d’introduction comme un symbole à la fois du relativisme culturel et des études postcoloniales.

Le conflit israélo-palestinien

La lutte politique de Said commença très tôt, dès 1967. Cette dernière a pris forme autour de la frustration qu’il développe en raison de la manière dont les américains rapportent le conflit israélo-palestinien. Son engagement et sa prise de position sur le sujet ont été très rapides et en harmonie avec ses convictions. En effet, le mythe qui tourne autour des arabes dans ce conflit et la manière dont celui-ci est présenté ont certainement contribué à faire naître chez lui l’idée de « L’Orientalisme« . Dès 1997, il fait partie du Palestinian National Council (PNC) et se positionne très vite pour une solution à deux Etats; il est pour une indépendance de la Palestine. Said souhaite la fin du conflit et une Palestine indépendante avant tout (nombre de ses publications traitent du sujet) et, en 2003, il participe à la fondation du parti Al-Mubadara, censé présenter une alternative pacifique au deux seuls partis existants en Palestine: le Hamas et la Fatah.

Bibliographie commentée

Said, E. W. (1980). L’orientalisme. L’Orient créé par l’Occident. Paris: Seuil. (Oeuvre originale publiée en 1978)

Ouvrage central de Said et des sciences sociales puisqu’il donne vie à un courant de pensée tout entier. S’intéressant aux rapports de pouvoir entre l’Orient et l’Occident, ce livre met en évidence la persistance de certaines idées et de certains points de vue coloniaux, malgré la décolonisation. Intellectuellement, la posture des chercheurs occidentaux laisse apparaître des traces idéologiques que Said condamne. C’est à la fois un manifeste du relativisme culturel et une belle introduction à un champ de recherche touchant à tout ce qui relève de restes de l’ère coloniale et qui sert à justifier des rapports de force encore aujourd’hui.

Said, E. W. (2000). Culture et impérialisme. Paris: Fayard. (Oeuvre originale publiée en 1993)

Cet ouvrage est une belle histoire littéraire de l’effort colonial. De Joseph Conrad à Giuseppe Verdi, Said nous montre comment les artistes, auteurs et intellectuels de l’époque ont cautionné et même accompagné l’entreprise coloniale à travers leurs travaux. Encore une fois, ce livre nous montre que notre culture occidentale toute entière baigne dans le spectre de la colonisation et du colonialisme. Se situant en plein dans le champ de études postcoloniales, ce livre est une continuité parfaite de « L’Orientalisme », en ce sens qu’il ouvre sa problématique à l’histoire du monde et non plus seulement à celle de l’Orient.

Références

Brudzinski, M. T. & Chuaqui, R. (2002). Orientalism, Anti-Orientalism, Relativism. Napantla: Views from South, 3(2), 373-390. Consulté à l’adresse: http://muse.jhu.edu/journals/nepantla/v003/3.2chuaqui.html

Said, E. W. (1980). L’orientalisme. L’Orient créé par l’Occident. Paris: Seuil. (Oeuvre originale publiée en 1978)

Projets de recherche

Culture et développement: quelles interactions?

Les savoirs locaux et leurs relations avec les pratiques de développement