La Tempête ou La Voix du Vent

La Tempête ou La Voix du Vent

Texte de William Shakespeare / Mise en scène d’Omar Porras / TKM – Théâtre Kléber-Méleau (Renens-Malley) / Du 24 septembre au 13 octobre 2024 / Critique par Lou Sicovier


2 octobre 2024

Tableau d’une île magique

@ Lauren Pasche

Au TKM, Omar Porras propose un spectacle envoûtant aux allures de conte, où la pièce de Shakespeare, servie par des personnages comiques et hauts en couleurs, est teintée d’enjeux actuels et revue à travers le prisme de la magie.

« Assieds-toi, car je veux te raconter une histoire ». Les mots de Prospero sonnent comme un conte, tant pour sa fille Miranda que pour le public. Chassé de son duché à la suite d’une conspiration menée par son frère, Prospero s’est réfugié sur une île avec son enfant. Le hasard amène cependant les instigateurs du complot près de cette île, permettant ainsi à Prospero de faire usage de sa magie pour se venger.  Il somme Ariel, esprit du vent, de provoquer une tempête. L’équipage se trouve ainsi livré à lui-même, éparpillé sur l’île, et à la merci de Prospero. Les différentes scènes se succèdent par un jeu de couleurs et de lumière, accompagnées par une musique qui maintient le spectateur en haleine. Chacun des personnages est confronté à l’île et ses mystères, révélant ainsi sa personnalité et ses véritables désirs. Le prince Ferdinand tombe fou amoureux de Miranda. Antonio et Sébastien souhaitent rejouer la trahison de Prospero contre le roi Alonso. Gonzalo garde sa figure d’homme sage et philosophe, ayant aidé Prospero par le passé. Caliban, monstre de l’île, est prêt à tout pour se venger de Prospero, qui l’a réduit en esclavage. Et il y a surtout Ariel, voix guidant les personnages et les spectateurs tout au long de la représentation.

La dimension magique et merveilleuse de La Tempête est mise en valeur grâce à de nombreux moyens techniques : de la musique se superpose aux répliques des comédiens ; les changements de scènes se font par des moyens spectaculaires, comme des explosions lumineuses, de grandes bandes de tissus balayant l’espace, des pluies de fleurs et de paillettes ; les costumes des personnages sont brillants et extravagants, et ils portent différents masques, qui confèrent un caractère grotesque et intense au spectacle ; les comédiens récitent leurs répliques de manière exagérée, dans une nouvelle traduction du texte qui mêle des expressions familières à un langage plus relevé.

Ce jeu appuyé et ces décors impressionnants sont caractéristiques des mises en scène d’Omar Porras ; ils fonctionnent particulièrement bien avec cette pièce, car ils permettent de mettre en valeur  la dimension magique de l’île. Il y a un aspect très texturé dans cette adaptation, où le public est constamment stimulé par de nouveaux éléments. Il faut un investissement visuel des spectateurs pour comprendre chaque détail, tant du décor que des actions des personnages, puisqu’ils permettent l’avancée de l’intrigue. Certains personnages sont ainsi mis plus en évidence, comme Ariel qui semble presque manipuler le dénouement de la pièce, ou Caliban, qui est une des figures les plus ambiguës dans ses actes et ses attentes. A première vue, il inspire la pitié par sa dimension pathétique, mais le spectateur comprend vite qu’il a tenté de violer Miranda et d’assassiner Prospero. Pourtant, une scène le montre entouré d’esprits qui semblent l’écouter et le comprendre, comme s’il était au noyau de l’île et de sa magie.

Ainsi, tant Ariel que Caliban permettent un décentrement par rapport à l’intrigue amoureuse, somme toute assez basique, entre Miranda et Ferdinand. Mis à part le costume de ce dernier, ce couple correspond tout à fait aux codes des comédies romantiques et aux attentes du public. Mais Ariel et Caliban soulèvent des questionnements comme la quête de liberté, l’aspect sauvage de l’île et le détachement de la société représentée par la cour d’Alonso. Ces contrastes sont présents dans toutes les dimensions du spectacle : l’aspect sombre et délabré de l’île en opposition aux costumes colorés et aux éclairages lumineux ; les masques déformants et les tenues exubérantes des personnages masculins, par rapport à la tenue et au visage sans artifices de Miranda ; la naïveté des jeunes amoureux contre les froids calculs d’Antonio et Sébastien, et également de Prospero, qui semble tirer les ficelles de cet amour.

Omar Porras réinterprète cette pièce en mêlant des cultures différentes, visibles à plusieurs moments du spectacle. Les esprits de l’île, qui évoluent dans l’espace grâce à un jeu de marionnettes, évoquent le théâtre et les dessins d’animations japonais, ainsi que les costumes de carnaval colombiens, ou encore la fête des morts au Mexique. Ces références se trouvent dans la plupart de ses mises en scène, en raison de sa double culture et des différents projets qu’il a menés dans sa carrière. Son intérêt pour l’opéra explique aussi la présence de nombreux interludes et accompagnements musicaux, qui se mêlent aux dialogues et permettent de mettre en valeur la dimension magique. Ainsi, ce spectacle permet sans doute une nouvelle lecture des enjeux entourant l’intrigue de La Tempête.

2 octobre 2024


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