La Tempête ou La Voix du Vent
Texte de William Shakespeare / Mise en scène d’Omar Porras / TKM – Théâtre Kléber-Méleau (Renens-Malley) / Du 24 septembre au 13 octobre 2024 / Critiques par Lou Sicovier, Loris Ferrari, Odile Jaques, Anna Chialva, Lucie Ortet, Hadrien Halter et Auxane Bolanz.
Tableau d’une île magique
2 octobre 2024
Par Lou Sicovier
Au TKM, Omar Porras propose un spectacle envoûtant aux allures de conte, où la pièce de Shakespeare, servie par des personnages comiques et hauts en couleurs, est teintée d’enjeux actuels et revue à travers le prisme de la magie.
« Assieds-toi, car je veux te raconter une histoire ». Les mots de Prospero sonnent comme un conte, tant pour sa fille Miranda que pour le public. Chassé de son duché à la suite d’une conspiration menée par son frère, Prospero s’est réfugié sur une île avec son enfant. Le hasard amène cependant les instigateurs du complot près de cette île, permettant ainsi à Prospero de faire usage de sa magie pour se venger. Il somme Ariel, esprit du vent, de provoquer une tempête. L’équipage se trouve ainsi livré à lui-même, éparpillé sur l’île, et à la merci de Prospero. Les différentes scènes se succèdent par un jeu de couleurs et de lumière, accompagnées par une musique qui maintient le spectateur en haleine. Chacun des personnages est confronté à l’île et ses mystères, révélant ainsi sa personnalité et ses véritables désirs. Le prince Ferdinand tombe fou amoureux de Miranda. Antonio et Sébastien souhaitent rejouer la trahison de Prospero contre le roi Alonso. Gonzalo garde sa figure d’homme sage et philosophe, ayant aidé Prospero par le passé. Caliban, monstre de l’île, est prêt à tout pour se venger de Prospero, qui l’a réduit en esclavage. Et il y a surtout Ariel, voix guidant les personnages et les spectateurs tout au long de la représentation.
La dimension magique et merveilleuse de La Tempête est mise en valeur grâce à de nombreux moyens techniques : de la musique se superpose aux répliques des comédiens ; les changements de scènes se font par des moyens spectaculaires, comme des explosions lumineuses, de grandes bandes de tissus balayant l’espace, des pluies de fleurs et de paillettes ; les costumes des personnages sont brillants et extravagants, et ils portent différents masques, qui confèrent un caractère grotesque et intense au spectacle ; les comédiens récitent leurs répliques de manière exagérée, dans une nouvelle traduction du texte qui mêle des expressions familières à un langage plus relevé.
Ce jeu appuyé et ces décors impressionnants sont caractéristiques des mises en scène d’Omar Porras ; ils fonctionnent particulièrement bien avec cette pièce, car ils permettent de mettre en valeur la dimension magique de l’île. Il y a un aspect très texturé dans cette adaptation, où le public est constamment stimulé par de nouveaux éléments. Il faut un investissement visuel des spectateurs pour comprendre chaque détail, tant du décor que des actions des personnages, puisqu’ils permettent l’avancée de l’intrigue. Certains personnages sont ainsi mis plus en évidence, comme Ariel qui semble presque manipuler le dénouement de la pièce, ou Caliban, qui est une des figures les plus ambiguës dans ses actes et ses attentes. A première vue, il inspire la pitié par sa dimension pathétique, mais le spectateur comprend vite qu’il a tenté de violer Miranda et d’assassiner Prospero. Pourtant, une scène le montre entouré d’esprits qui semblent l’écouter et le comprendre, comme s’il était au noyau de l’île et de sa magie.
Ainsi, tant Ariel que Caliban permettent un décentrement par rapport à l’intrigue amoureuse, somme toute assez basique, entre Miranda et Ferdinand. Mis à part le costume de ce dernier, ce couple correspond tout à fait aux codes des comédies romantiques et aux attentes du public. Mais Ariel et Caliban soulèvent des questionnements comme la quête de liberté, l’aspect sauvage de l’île et le détachement de la société représentée par la cour d’Alonso. Ces contrastes sont présents dans toutes les dimensions du spectacle : l’aspect sombre et délabré de l’île en opposition aux costumes colorés et aux éclairages lumineux ; les masques déformants et les tenues exubérantes des personnages masculins, par rapport à la tenue et au visage sans artifices de Miranda ; la naïveté des jeunes amoureux contre les froids calculs d’Antonio et Sébastien, et également de Prospero, qui semble tirer les ficelles de cet amour.
Omar Porras réinterprète cette pièce en mêlant des cultures différentes, visibles à plusieurs moments du spectacle. Les esprits de l’île, qui évoluent dans l’espace grâce à un jeu de marionnettes, évoquent le théâtre et les dessins d’animations japonais, ainsi que les costumes de carnaval colombiens, ou encore la fête des morts au Mexique. Ces références se trouvent dans la plupart de ses mises en scène, en raison de sa double culture et des différents projets qu’il a menés dans sa carrière. Son intérêt pour l’opéra explique aussi la présence de nombreux interludes et accompagnements musicaux, qui se mêlent aux dialogues et permettent de mettre en valeur la dimension magique. Ainsi, ce spectacle permet sans doute une nouvelle lecture des enjeux entourant l’intrigue de La Tempête.
2 octobre 2024
Par Lou Sicovier
Ariel ou la voix du destin
1er octobre 2024
Par Loris Ferrari
Avec cette adaptation de La Tempête de Shakespeare, Omar Porras fait le choix de présenter un conte merveilleux en faisant voyager les spectateurs sur une île magique et mystérieuse. Sur celle-ci, presque rien de totalement humain ; c’est un lieu rempli d’esprits, dont l’un se démarque pour mener le jeu : Ariel, l’esprit du vent.
Quel malheur, des cris partout, désolation partout : une tempête, créée par Ariel, un esprit au service de Prospero, fait rage. Le navire d’Alonso, roi de Naples, et du duc de Milan Antonio, assailli par la furie des flots, fait naufrage et les hommes s’échouent sur une île. C’est celle de Prospero, ancien duc de Milan, destitué il y a douze ans par Alonso et Antonio, abandonné sur une barque avec sa fille Miranda. Après être arrivé miraculeusement sur cette île remplie d’esprits, il en prit le contrôle grâce à ses pouvoirs surnaturel. Il a aujourd’hui l’occasion de se venger : il ordonne au fidèle Ariel d’éparpiller les hommes du navire en petits groupes, et de les torturer, sauf un, Ferdinand, fils du roi, qui se retrouve seul et rencontre par « hasard » Miranda. Les deux jeunes gens tombent fous d’amour l’un pour l’autre, pour le plus grand plaisir de Prospero. Cette idylle l’amène à abandonner sa vengeance au profit d’un pardon. Tout se termine par la promesse d’un mariage à Naples et la restitution du duché de Milan.
La tempête calmée, l’île apparaît. Une vision happe les spectateurs : Prospero et Miranda, le père et sa fille, sur un rocher entouré d’une brume, uniquement éclairés par un rond de lumière vaporeux. Autour, un noir presque complet. Nous voici immergés dans un monde ésotérique rempli de magie. Omar Porras fait le choix de raconter un conte merveilleux s’inscrivant dans un imaginaire à la faune foisonnante et rempli d’individus étranges, magiques et éthérés. Les influences de la culture japonaise, que le metteur en scène connaît bien, se ressentent fortement avec la représentation, en marionnettes, de certains esprits masqués, recouverts d’un voile, sans forme définie, tel le Sans-Visage du Voyage de Chihiro de Myazaki ou les figures du théâtre traditionnel du nô. Les traditions pluriculturelles dont Porras s’inspire pour créer ses spectacles apparaissent également de la commedia dell’arte aux carnavals sud-américains et particulièrement de Colombie, son pays natal.
La scénographie absorbe les spectateurs dans un monde de fantasy des années 1980 à la Dark Crystal. La scène elle-même est l’île, le regard est attiré par la vision d’arbres tordus, de vieilles colonnes de pierre abimées par le temps, de plantes grimpantes, de fleurs étranges. Grâce à une maîtrise exceptionnelle de la lumière (création Mathias Roche), ces différents éléments se révèlent progressivement et captivent à tout instant. Omniprésents, la musique et les sons permettent de s’imprégner de chaque scène et de vivre pleinement l’intrigue du conte. De plus les éléments techniques tels que ceux qui président à la création en direct de la tempête, de la brume ou à la réalisation à vue d’effets de magie plongent immédiatement dans l’atmosphère d’un lieu où ce ne sont pas les hommes qui règnent en maîtres mais les esprits de l’île.
Les demi-masques sur le visage des acteurs ont une importance capitale, ils les transforment en ne les rendant plus totalement humains, ce qui les intègre parfaitement à l’atmosphère sibylline du spectacle. La plus frappante des transformations est celle du personnage d’Ariel, le puissant esprit du vent au service de Prospero. Sa gestuelle, ses mimiques, sa voix parfois aiguë, stridente, rieuse, ainsi que le jeu de lumière qui le présente toujours entre l’ombre et la lumière en font un aérien inquiétant et mystérieux. Tout chez lui l’éloigne de la matérialité des autres personnages et le place sur un plan astral. De plus, Ariel a une place centrale dans la mise en scène d’Omar Porras : il est le vent, la voix du destin, omniprésent et pourtant discret. Parfois avec subtilité, parfois avec force, il fait se dérouler les événements créant ainsi un fil rouge et une transition plaisante entre les scènes. Bien que tout ce qu’il fasse soit sur les ordres de Prospero, Ariel semble aller au-delà de ceux-ci. L’amour entre Miranda et Ferdinand en est peut-être l’exemple le plus parlant : Ariel a pour consigne de les faire se rencontrer pour qu’une attirance réciproque se crée, mais pour forcer le destin ou l’aider à se réaliser, l’esprit souffle sur eux avec sa sarbacane. Esprit ancien, malicieux et dangereux même, Ariel incarne ici le destin qui joue avec les hommes comme avec des marionnettes.
1er octobre 2024
Par Loris Ferrari
De masque et de paix
1er octobre 2024
Par Odile Jaques
S’il clame une ile comme déserte, l’homme peut-il assujettir ce qui y vit ? La faune, la flore, les esprits ? et les humains ? Cette ile est-elle toujours déserte ? En écho à ces questions, Omar Porras adapte la tragi-comédie de Shakespeare pour en faire une comédie, au moyen de demi-masques, de marionnettes, de musique, de théâtre noir et de pyrotechnie.
Il faut que je l’avoue, a priori je n’aime pas les masques, ils me terrifient. Pourtant, dans cette salle du TKM de Renens, dans la mise en scène d’Omar Porras, je fus conquis par ce choix artistique.
Destitué par son frère Antonio, Prospéro, le duc de Milan, a échoué il y a douze ans avec sa fille Miranda sur une ile déserte. Là, il a rencontré Caliban et Ariel, esprits de l’ile, qu’il a asservis à sa volonté. L’histoire commence quand un bateau transportant Antonio et le roi de Naples passe à proximité. Prospéro ordonne alors à Ariel, esprit du vent, de provoquer une tempête pour les amener sur l’ile et confronter son frère. Après moultes péripéties et une histoire d’amour entre Miranda et le prince de Naples, Prospero choisira finalement le pardon et la paix.
Mélanger les mots de William Shakespeare, les demi-masques et le jeu de la commedia dell’arte est ici un pari réussi. L’aspect grossi des trais aide les spectateur·ice·s à entrer dans la diégèse : on croit d’autant plus à ce monde qu’il est moins réaliste. Par exemple, on croit très peu à la première explosion de magie mais plus on voit l’univers dans lequel se déroule l’histoire, plus les tours de magie paraissent faire partie de cet univers qui est de moins en moins le nôtre.
Dans cet univers magique, l’effrayant se mêle au doux. Dès la première scène, la tempête mélange les bruits du tonnerre qui gronde avec la mélodie d’une berceuse. Plus tard, les marionnettes des esprits de l’ile sont également terrifiantes et tendres à la fois. Comme pour distinguer leur aspect (voir image) mystérieux et fantomatique de leur désir pacifique, ils se tiennent là calmement, ils sont l’ile en elle-même, ils ne font pas de mal à une mouche. Le spectacle ne semble pas s’adresser spécifiquement à un public d’enfants. Pourtant, par les couleurs, les tours de magie, les costumes et les masques, la mise en scène semble s’adresser à l’enfant qui a grandi. Shakespeare est un artiste qui a suscité tant de discours savants qu’on oublie de prendre ses histoires pour ce qu’elles sont. Heureusement, Porras nous rappelle que la tempête est un conte qu’on peut prendre simplement en tant que tel, une belle histoire qui finit bien.
En réalité, il y avait un enfant dans la salle, ou plutôt sur la scène : Ariel. L’ajout au titre original de la pièce de Shakespeare – devenu ici La Tempête ou la Voix du vent – est lié à certaines coupures dans le texte, et à la place centrale que la mise en scène donne à ce personnage. Il est au service de Prospéro mais reste l’esprit du vent. Il rêve de liberté, de jeu, de voler. Il joue avec la lumière, la nature et l’ile dès que Prospéro lui laisse un moment. Ce personnage est extrêmement touchant et attachant. Le jeu de Jeanne Pasquier le rend également élastique et fluide comme le vent. On comprend aussi qu’il est puissant et qu’il ne vaut mieux pas en faire son ennemi.
À l’inverse, un personnage qui passe plus difficilement aujourd’hui est celui de Caliban. Pour être honnête, on peut difficilement rejeter la faute sur Omar Porras ou le comédien Antoine Joly. Shakespeare a écrit Caliban comme un indigène réduit en esclavage par les colons blanc qui prennent procession de l’ile. Il est dépeint comme stupide, feignant, violent, violeur, inculte à la peau noire. Comment donc le présenter à un public contemporain ? La tentative Omar Porras a été de rendre le personnage blanc et de lui attribuer un lien plus fort avec les esprits de l’ile, de faire clamer à Caliban, et non plus à Prospero, le monologue final qui invite à la liberté, et de lui donner une plume comme accessoire, comme si la narration de l’histoire lui appartenait ou, du moins, que c’était à lui de la réécrire ou d’en écrire la suite. Pourtant, son masque ressemble grandement à celui de Polichinelle dans la commedia dell’arte, célèbre valet paresseux et bouffon. À mon avis, avec un tel texte : « esclave venimeux », « répugnant », « monstre menteur » et « fumier », l’adaptation de Caliban ne peut être qu’un rafistolage entre le texte et les intentions de la mise en scène et mettre mal à l’aise.
Un choix étrange, attribuable en revanche pleinement à un parti pris de mise en scène, est celui de ne pas donner de masque au personnage de Miranda. Il est vrai que dans la tradition de la commedia dell’arte on ne met pas de masque au personnage de la « jeune première ». Pourtant, en la privant de masque, on la prive d’être sur le même plan narratif ou dramaturgique que les autres : elle vit les aventures et ses émotions de manière beaucoup plus réaliste et parait ne pas appartenir au registre de la comédie. Ce sentiment est renforcé quand Miranda chante car la technique sonore la fait chanter avec énormément d’écho, qui se prolonge souvent quand elle commence à parler. On pourrait répondre qu’elle appartient de fait à un autre genre, celui de la romance. Mais si c’était le cas, pourquoi Ferdinand n’est-il pas traité de la même façon ? Trop souvent, au théâtre, les femmes n’ont pas le droit d’être laides, ou les femmes « vertueuses » n’ont pas le droit d’être ridicules ou même drôles.
Mis à part ces chansons, toutes les créations musicales de Christophe Fossemalle et Omar Porras, s’adaptant à chaque fois à la situation, font mouche : la musique est magnifique, dès la chanson des marins qui fait office de prologue et la berceuse de la tempête, jusqu’à la musique des saluts.
1er octobre 2024
Par Odile Jaques
Un conte post-moderne
1er octobre 2024
Par Anna Chialva
Après Othello en 1995 et Roméo et Juliette dans une tournée franco-helvético-japonaise en 2012, Omar Porras revient à Shakespeare avec une adaptation de La Tempête sur le mode du conte contemporain.
Spectacle pour enfant ou spectacle pour adultes ? Les tours de magie et l’univers merveilleux pourraient faire penser d’abord à un spectacle pour enfants ; pourtant, la gravité des thèmes abordés mêlant l’amour, le pouvoir, la mort, la cupidité, la jalousie et la violence – constitutifs de la pièce de Shakespeare et conservés dans la version de Porras – et surtout l’angle choisi par le metteur en scène orientent vers un spectacle qui s’adresse plutôt à un public adulte animé d’un esprit critique.
Shakespeare reprend dans La Tempête un thème qui lui est familier, celui de l’usurpation : évincé par son propre frère Antonio (aidé du roi de Naples, Alonso) alors qu’il se consacrait à la philosophie et à l’occultisme, le duc de Milan, le prince-philosophe Prospéro, trouve refuge avec sa fille Miranda sur une île de la Méditerranée. Là, il impose son pouvoir à l’aide de la magie à des esprits, parmi lesquels Ariel, qu’il maintient en esclavage, tout comme Caliban, fils de la sorcière Sycorax et véritable possesseur de l’île. Douze années plus tard, et c’est le début de la pièce, Prospéro provoque une tempête pour faire échouer le navire transportant Antonio et Alonso, accompagnés de courtisans, de serviteurs et de Ferdinand, fils du roi de Naples. La pièce qui, exceptionnellement dans l’œuvre shakespearienne, respecte les trois unités, montre comment Prospéro va mettre en scène sa vengeance en imposant à ses adversaires une série d’épreuves qui les conduira sur le chemin du repentir.
Pour Porras, le choix de réadaptation de La Tempête de Shakespeare n’est pas anodin puisque la pièce, dans la célébration des pouvoirs magiques du démiurge Prospéro, propose une mise en abyme du théâtre qui débouche finalement sur le renoncement aux arts de l’illusion et la résignation devant la condition humaine. Ainsi, Prospéro propose à l’acte IV une réflexion sur la magie éphémère du théâtre, un théâtre qui est aussi l’image du monde : « Nos divertissements sont finis. Ces acteurs,/ J’eus soin de le dire, étaient tous des esprits :/ Ils se sont dissipés dans l’air, dans l’air subtil./ Tout de même que ce fantasme sans assises, […]/ Les temples solennels et ce grand globe même/Avec tous ceux qui l’habitent, se dissoudront,/S’évanouiront tel ce spectacle incorporel/Sans laisser derrière eux ne fût-ce qu’un brouillard./ Nous sommes de la même étoffe que les songes/Et notre vie infime est cernée de sommeil… » (acte IV, scène 1).
Dans sa mise en scène « baroque » de La Tempête, Porras se plaît à convoquer tous les artifices et artisanats de la scène, des machineries aux costumes, en passant par les décors. L’exacerbation de la « magie théâtrale » passe à la fois par l’emploi extraordinaire des moyens techniques ; par le recours à des genres théâtraux divers et variés tels que la pantomime, la commedia dell’arte, la comédie musicale, le théâtre noir, les marionnettes ; ainsi que par le choix des masques, révélateurs pour Porras de l’« essence de l’art du comédien » et plus généralement de l’art théâtral : « Chez moi, il n’y a pas de sexe, de race, de langue ou de couleur. Le théâtre est cet art qui rassemble tout, c’est le pays de l’extraordinaire, celui de la tromperie, de la magie et de l’illusion. » (entretien du 10 mars 2017 avec Noël Cordonier dans le Journal 24 heures).
Par rapport au texte de Shakespeare, la mise en scène de Porras accentue la présence scénique et l’importance dramaturgique de certains personnages, notamment Ariel, l’esprit du vent, caractérisé ici par des mouvements rapides et une voix de lutin, qui apparaît encore plus démiurge que Prospéro ; Miranda, sans masque et avec une voix angélique, seul personnage que la mise en scène excepte du ridicule, et Caliban, l’anti-héros ici ridiculisé, qui apparaît plus proche de l’univers des esprits que de celui des humains. C’est à lui qu’il revient de déclamer l’épilogue, attribué à Prospéro dans la pièce originale.
Le spectacle de Porras est bien plus axé sur le comique que sur le tragi-comique, comme c’était le cas chez Shakespeare. Le spectateur adulte est invité, par la mise en scène, à revivre dans cet univers merveilleux son innocence enfantine, mais en même temps, dans le jeu conscient et plaisant de l’ironie qui lui est proposé, à en éprouver le deuil. Le jeu « adulte » présuppose un esprit prêt à accueillir et à comprendre un discours enchâssé : à première vue, en effet, Porras construit un univers merveilleux et innocent ; mais derrière cette apparence, il thématise différentes formes de l’imaginaire collectif (par le recours à différentes cultures théâtrales), tout en rendant visible en filigrane un discours méta-théâtral qui montre les défis liés à l’adaptation d’une pièce shakespearienne à la sensibilité contemporaine.
1er octobre 2024
Par Anna Chialva
Une tempête enchanteresse
1er octobre 2024
Par Lucie Ortet
Une tension surprenante. Omar Porras propose une interprétation de la nature sauvage de l’île de Caliban sous un angle comique et magique qui fait voyager les spectateurs vers un monde imaginaire et amusant. C’est un retour en enfance, comme lors d’une récitation d’un conte. En mêlant magie et rupture du quatrième mur, le spectacle montre que l’illusion n’a pas besoin d’être entièrement trompeuse pour qu’on y adhère, et questionne les possibilités du théâtre et de la comédie à faire croire à un univers surnaturel.
Dans la pièce de William Shakespeare, écrite au début du XVIIe siècle, Prospéro, ancien Duc de Milan, raconte à sa fille Miranda, avec laquelle il s’est retrouvé sur une île sauvage, comment il a été chassé par son propre frère Antonio, allié au Roi de Naples. Il détient les secrets de la magie et contrôle les faits et gestes de tous les êtres présents sur l’île, notamment les esprits de la forêt. Grâce à l’aide d’Ariel, esprit rusé de l’île, il provoque une tempête pour faire échouer Antonio et le roi de Naples, avec leur suite, sur cette île. Ariel, personnage androgyne et ambivalent qui aide Prospéro mais qui appartient à la communauté de l’île, sert Prospéro pour le remercier de l’avoir libéré du règne terrible de la sorcière Sycorax, la mère de Caliban. Caliban est aussi ambivalent qu’Ariel. Il est à la fois une victime, à cause de l’intrusion de Prospéro sur son île et du meurtre de sa mère, et un agresseur qui a tenté de violer Miranda et qui ensuite tente de tuer Prospéro.
Contrairement à Caliban qui ne détient aucun pouvoir et qui ne fait que subir les actions menées par les autres, les personnages d’Ariel et de Prospéro ont du pouvoir. Ce dernier guide le spectacle tel un metteur en scène et manipule les autres personnages à sa guise. À plusieurs reprises, il contrôle non seulement le déroulement de l’intrigue mais aussi les décors. Prospéro semble produire lui-même des feux d’artifice, des explosions et des petites lumières. Par exemple, dans une scène où il endort sa fille, une pluie de paillettes flotte sur elle. Quant à Ariel, une scène de théâtre noir rend visible sa transformation en harpie. Le jeu subtil entre les lumières et la musique fait croire à un enchantement tant l’arrangement des effets est spectaculaire. Le terme de spectacle est plus qu’adéquat car il y a toujours un élément à regarder qui attire l’attention et qui immerge les spectateurs. Ariel et Prospéro, personnages représentant le plus d’ambivalences, révèlent aux spectateurs l’existence des esprits et la magie de l’île. Ariel le fait avec des tintements et sa flûte capable de transformer une scène ou de manipuler un personnage. Et Prospéro manipule l’espace avec son bâton magique et sa diction digne d’un conte de fée.
La scénographie et les effets de lumières produisent le même résultat. Les esprits phosphorescents brillent et possèdent des formes surnaturelles. L’imagination du spectateur n’est pas ménagée et les procédés techniques utilisés forment une illusion de magie. L’ajout d’étincelles et d’explosions rapides persuade les spectateurs qu’il y a du feu sur la scène, ce qui laisse entrevoir une maîtrise des effets spéciaux par les comédiens. Ces effets, qui encouragent à croire au surnaturel, donnent l’impression qu’il y a vraiment du feu sur scène. Mais alors que la fiction s’invite dans le monde des spectateurs, ceux-ci sont eux-mêmes happés et attirés dans la diégèse. La démarcation entre la fiction et la réalité se brouille. Le dispositif théâtral opère une transcendance du spectateur dans un nouveau monde imaginaire. Ce monde ambivalent n’existe que dans la salle de spectacle où la réalité et la diégèse sont assez floutées pour que les deux co-existent.
La nature dénaturée rendue surnaturelle est offerte aux spectateurs comme magique. Ce phénomène commence avec la tempête où il est possible de voir des éclairs et entendre la pluie au sein même d’une salle de spectacle. Dans un entretien, Omar Porras explique que « l’île […] représente la nature, l’espace vide qui est investi par l’imagination de l’acteur, par les outils de création ». La forêt et les branches d’arbres dispensent des ombres. Les rochers qui sortent de la brume ajoutent à cette ambiance mystique et l’océan de fumée flotte sur la scène telles des vagues qui s’échouent sur le bord de l’île.
Cependant, même si les personnages aussi semblent émaner d’un monde imaginaire, le rapport à la fiction qu’ils induisent est différent : ils portent tous, à l’exception de Miranda, des masques. Alors que la scénographie essaie de représenter une nature qui invite les spectateurs à prendre l’imaginaire au sérieux, les personnages sont de toute évidence du registre de l’absurde et du comique. Les masques accentuent leurs traits. Leurs façons de se mouvoir leur donnent un air de marionnettes. Ils sont tellement caricaturés que l’illusion s’estompe et que le voile est levé. L’artifice est trop évident, comme si le spectacle superposait deux registres différents, d’une part un monde imaginaire et féerique, d’autre part un monde d’absurdité comique. Le jeu des comédiens donne aux personnages une allure absurde et légère qui appelle au rire et à la dérision par leurs mouvements saccadés et leurs expressions exagérées. Est-ce pour critiquer ou s’amuser de l’œuvre originale de Shakespeare ? Le Prince Ferdinand, par exemple, sursaute pour un rien et incarne le cliché de la noblesse fragile et efféminée ; Antonio, grand méchant, s’apprêtant à tuer le Roi et son conseiller, fait un énorme geste caricatural pour designer qu’il s’apprête à abattre le couteau mais s’immobilise en plein air dès qu’il se fait surprendre par Ariel. Lors de ces passages, l’émerveillement laisse la place au burlesque, comme si l’on mélangeait une comédie bouffonne (slapstick en anglais) et une comédie surréelle.
Dans un élan de rire et une tempête d’émerveillement, l’imaginaire place au second plan les thèmes plus lourds et plus sinueux abordés par la pièce de Shakespeare. Si le viol est mentionné deux fois sous la forme de plaisanteries, les notions d’esclavagisme, de colonialisme, de meurtre, de trahison, de pouvoir et de politique disparaissent ici dans l’ombre, laissant place à une myriade de lumières et d’illusions scéniques. Cette tension entre un registre comique très présent et une volonté de produire un émerveillement qui se montre explicitement comme un dispositif de théâtre et produit un spectacle réellement enchanteur.
1er octobre 2024
Par Lucie Ortet
Le choix du conte comique
1er octobre 2024
Par Hadrien Halter
Dans une adaptation de la tragi-comédie de Shakespeare à la manière de la commedia dell’arte, Omar Porras et sa troupe emmènent sans ménagement leur public dans un univers enfantin porté par un jeu burlesque et par une technique sans reproche, mais qui occulte les parties les plus sombres de la pièce du barde d’Avon.
Échoués sur une île déserte au large de l’Italie, le roi de Naples et sa cour fragmentée cherchent désespérément le prince Ferdinand, séparé de son père. Celui-ci se retrouve confronté à Ariel, esprit malicieux des vents, et son maître Prospero, duc de Milan, exilé depuis plus de dix ans sur ce rocher. Il s’éprendra de la belle Miranda, fille du duc banni. C’est Prospero lui-même qui a causé la terrible tempête et a rapproché Ferdinand de sa fille, tout cela dans le but de se venger de ceux qui l’ont banni il y a si longtemps. Entre les tentatives d’assassinat du roi de Naples et la révolte amorcée par une partie de ses serviteurs et par Caliban, esprit mauvais sous le joug de Prospero, les naufragés et les exilés se rejoindront finalement, querelles oubliées, exils abolis, justice rendue, amours naissants.
Depuis le numéro musical introductif jusqu’aux dernières paroles prononcées par Caliban (Antoine Joly), la mise en scène d’Omar Porras emporte le spectateur à travers deux heures d’une joyeuse débauche de costumes colorés, de masques expressifs et de décors renforçant l’atmosphère merveilleuse de cette Tempête. A aucun moment le spectateur n’est perdu, malgré le rythme toujours soutenu, sans aucun doute grâce à l’accompagnement musical et sonore de Christophe Fossemalle, constant mais jamais envahissant, qui guide en tout temps son oreille, l’accompagnant dans la découverte des tours et détours du scénario et harmonisant avec nuance et force les effets parfois tape-à-l’œil de la mise-en-scène.
C’est tout particulièrement la représentation de l’enchantement magique qui marque, entre mimes et jeux de lumières et de sons, entre portage de voix et représentations symboliques. La mise en scène n’utilise jamais véritablement deux fois les mêmes techniques, laissant le public toujours agréablement surpris et curieux de découvrir la nouvelle trouvaille qui sera utilisée. La représentation des esprits de l’île sous la forme de marionnettes inquiétantes, silencieuses et imposantes, frappe par sa subtilité et son étrangeté.
En accord avec l’inquiétante étrangeté des esprits de l’île mais d’une manière tout à fait différente, on salue la performance remarquable de Jeanne Pasquier en Ariel, esprit des vents prenant des traits facétieux et joueurs, non dénués de piquant, dans un mélange entre la Fée Clochette et Peter Pan, et dont les pitreries et tours sont du début à la fin un plaisir à suivre. Là où le jeu de la plupart des comédien.ne.s se place fermement dans la tradition de la commedia dell’arte, sur un mode expressif, exagéré, presque pantomimique, Ariel se détache comme un personnage léger, aux gestes et comportement plus fébriles et nuancés.
Les masques soutiennent à merveille le jeu des acteurs par leur traits grotesques et exagérés. Seule privée d’un masque, comme pour renforcer son exceptionnelle beauté comparée au reste de ses compagnons, Miranda (Marie-Evane Schallenberger) est la seule exempte de ce jeu « cartoonesque », ce qui la place à part des autres personnages qui sont tous drôles ou ridicules. Quelle étrange paire forment alors le bouffon Ferdinand (Pierre Boulben) et la gracieuse Miranda – au point qu’il est un peu difficile de croire à leur romance.
On pourrait regretter l’adoucissement notable des parties plus tragiques, ou du moins sérieuses, de la pièce de Shakespeare, tournées en ridicule par la mise en scène d’Omar Porras. Au-delà de la romance un peu bancale de Ferdinand et Miranda, les tentatives d’assassinat du duc sont tournées en dérision et Caliban, esprit méchant et dangereux chez Shakespeare, est ici ridiculisé par son jeu et son costume. L’esclave de Prospero n’est jamais pris au sérieux par les autres personnages, toujours courbé, la voix geignarde, au point qu’il en devient difficile de voir en lui plus qu’au pauvre hère pathétique, très loin de ce qu’il pourrait être, une menace et le maitre revendiqué de l’ile. Dans le même sens, les gestes exagérés des conspirateurs Antonio et Sebastian lors de leurs multiples tentatives d’assassinat du roi de Naples enlèvent tout sérieux et toute dangerosité à l’acte, au profit d’un comique burlesque. Ces plaisanteries font très souvent mouche, certes, mais elles brisent parfois l’immersion dans le récit, lorsqu’elles interviennent lors des moments abordant des sujets comme l’assassinat, le viol ou l’esclavage. Cela permet évidemment d’évoquer avec plus de facilité ces thèmes durs, mais en leur enlevant une certaine force et un certain impact. Dans le texte shakespearien, c’est pourtant cet équilibre entre sérieux et comique qui nourrit la pièce, permettant aux thèmes plus sombres de « passer » plus facilement et aux plaisanteries de faire davantage mouche, comme des respirations entre des moments plus dramatiques.
S’il est possible d’expliquer la disparition de ces éléments plus graves par la volonté de la mise en scène de proposer un conte enfantin, nombre de ces contes connus de tous comportent pourtant des parts très sombres, bien souvent tournant autour de leurs méchants. Sans cette touche de noir, on se retrouve face à un magnifique tableau éclatant et coloré, qui aurait mérité peut-être une touche d’obscurité.
Reste que la proposition d’Omar Porras trouve son public : en témoignent la salle comble qui a accueilli la représentation et la longue ovation qui a conclu le spectacle. On en sort fascinés par le tourbillon fluide de couleurs et de musique qui nous a emportés pendant plus de deux heures.
1er octobre 2024
Par Hadrien Halter
Shakespeare magique
1er octobre 2024
Par Auxane Bolanz
Après Othello et Roméo et Juliette, Omar Porras revient à Shakespeare avec une adaptation de La Tempête orientée sur la magie : sons, lumières et artifices en dévoilent plusieurs facettes, violentes, spectaculaires, ou encore joueuses, mais toujours en mouvement.
Abracadabra, et le tour est joué ! Si cette formule de magie tirée des contes semble être facile, elle n’est pourtant pas toujours suffisante. Omar Porras travaille ici le texte de Shakespeare en mettant en exergue l’importance des sentiments dont sont capables les humains, surpassant les possibilités offertes par la magie. Le spectacle aux tonalités comiques reprend l’histoire de Prospéro qui, après douze ans sur une île, a enfin l’opportunité de se venger des hommes qui l’on chassé de chez lui. En effet, ceux-ci passent en bateau dans les environs de l’île et sont forcés de s’y réfugier grâce à une tempête magique provoquée précisément pour cela. Aidé d’Ariel, esprit de l’île qui lui est loyal depuis sa libération, Prospéro tourmente ses ennemis mais finit par les confronter et pardonner leur traitrise. Pendant tout le spectacle, les personnages évoluent sur cette île, entre les pierres qui servent de sièges, les arbres omniprésents, et un vieux mur percé de trois arches, qui ouvre vers un ailleurs en fond de scène. La mise en scène de la magie, avec l’utilisation d’effets sonores, de nombreux jeux de lumières, et d’une grande quantité de paillettes, utilise des moyens actuels pour montrer le surnaturel.
Le titre du spectacle, La Tempête ou la Voix du Vent, annonce l’importance que va avoir le personnage d’Ariel, l’esprit du vent. En effet, sa présence scénique est bien plus importante que ce qu’indiquent les didascalies de Shakespeare. Ce personnage est invisible la grande majorité de la pièce, pour tous les personnages sauf Prospéro, mais le public a la chance de pouvoir découvrir ses mimiques et attitudes. En plus du costume, du travail sur la voix et sur la posture qui en font un personnage androgyne, Ariel est aussi un personnage joueur, tel le vent. A plusieurs reprises, il y a un double jeu entre Ariel et la lumière orangée qui l’accompagne, comme s’il devait toujours être dans cette lumière, qui est sienne mais qui fait des siennes. Lors de déplacements, c’est parfois la lumière qui guide Ariel, et parfois Ariel qui doit encourager la lumière à suivre le rythme. Ces déplacements sont rapides, quelques peu désordonnés et presque enfantins. De manière presque poétique, la simplicité et la liberté de l’esprit du vent sont présents dans toutes ses interventions. Cette manière d’être d’Ariel témoigne du projet artistique d’Omar Porras, de mettre en avant les comédien·ne·s, leurs corporalités et leurs gestes.
Le mouvement sur scène est particulièrement impressionnant lors de la première scène de ce spectacle, qui représente la tempête. Sur un bateau, des marins et des nobles luttent pour ne pas tomber à l’eau, sans succès. Cette tempête n’est pas naturelle, mais bien d’origine magique. Créés par Ariel, les vents se déchaînent, le tonnerre gronde, et les éclairs ne laissent voir que par flashs ce qui se passe sur les planches. La mise en place de la tempête, d’un point de vue technique, n’est pas cachée au regard des spectateurs et spectatrices. Ce qui plus tard est révélé comme étant de la magie est un complexe assemblage d’effets de lumières, de son, et de scénographie. Les grands pans de drap blanc pendus au milieu de la scène s’effondrent peu à peu, alors que des lumières blanches stroboscopiques appuient l’intensité de la tempête. Ce déploiement de magie d’Ariel n’est visible que dans ses effets spectaculaires sur les personnages et ce qui les entoure. La magie permet à Omar Porras de créer le mouvement de nombreuses manières différentes.
De son côté, Prospéro maîtrise aussi quelques tours, qu’il a appris dans des livres. La représentation de la magie de Prospéro est très différente de celle de la magie d’Ariel. En effet, alors que seul le résultat est visible dans les actions d’Ariel, la magie de Prospéro est exposée dans son exercice même. On le voit par exemple lancer avec son bâton le sort magique qui endort sa fille, et une pluie de paillettes tombe du plafond. Ces tours visibles renforcent l’impression qu’il possède un grand contrôle sur l’île et ses habitants, et rendent d’autant plus éclatant son renoncement final à cette puissance magique, au profit du pardon qu’il accorde à ses anciens ennemis, pour permettre à sa fille de s’épanouir loin de l’île.
1er octobre 2024
Par Auxane Bolanz