Une critique sur le spectacle :
L’Oiseau bleu / d’après Maurice Maeterlinck / Mise en scène et adaptation par Benjamin Knobil / TKM – Théâtre Kléber-Méleau (Renens) / du 5 au 24 mars 2024 / Plus d’infos.
Pourquoi se priver de mélanger les arts lorsqu’on peut le faire ? Tableaux picturaux, chants, cirque, musiques, théâtre… Le TKM nous offre un réel festival de scènes costumées en prenant le temps de raconter la quête de L’Oiseau bleu. Poursuivant la volonté de Maurice Maeterlinck d’un « spectacle complet », Benjamin Knobil nous invite à suivre la lumière pendant qu’il est encore temps.
Le théâtre accueille Tytyl vieilli par le temps, campé à son piano et entouré d’un fidèle toutou, d’une bouteille d’eau, d’une flamme, d’un chat malicieux, d’un pain, de la lumière et de sa version enfant. Il s’agit des entités personnifiées qui partent à la recherche du mystique volatile. Cette troupe diversifiée enchaîne, pendant plus d’une heure et demie, les aventures pour retrouver l’oiseau et ainsi sauver la petite fille. La métaphore est volontairement mystérieuse et permet à chaque spectateur-ice d’y apposer son propre dessein. In fine, cela importe peu car, comme le souligne le metteur en scène, « c’est la recherche qui rend heureux pas l’accomplissement ». Cependant, bien que le but soit métaphorique, le chemin est clairement tracé et les rôles ouvertement distribués. La Fée annonce dès la première scène qu’ « [à] la fin du voyage, on sera tous morts ». L’avertissement suffira à motiver le chat à vouloir faire durer chaque instant. Ironiquement, les mots de la Fée s’appliquent, en mise en abyme, à la vie de tout personnage à la fin d’une œuvre.
Indépendamment de l’aspect théâtral, cette adaptation éponyme du livre de 1908 du Nobel de Littérature Maurice Maeterlinck cherche encore à caler son rythme. En effet, Benjamin Knobil soutient qu’« […] adapter une œuvre aussi monumentale pour neuf interprètes a été une contrainte créative majeure et enthousiasmante. [Et] propose donc ici une version resserrée allant à l’essentiel, avec une dynamique plus poussée […] ». De fait, le texte est parfaitement maîtrisé et l’interprétation convaincante. Néanmoins, quelques transitions suspendues, juste assez pour être remarquées, seront certainement lissées par les représentations se succédant pendant encore trois semaines.
Par ailleurs, le spectacle reste généralement fluide grâce à l’attention portée à l’ambiance sonore. Les spectateur-rices, déjà accompagné-es dans cette intrigue traditionnelle (une quête, des compagnons et des ennemis), le sont d’autant plus par le travail de Bernard Amaudruz. Inspirée par de Debussy, Ravel ou encore les performances de Broadway, la musique accompagne et caractérise les multiples univers parcourus.
Des arts de la littérature à la musique, en passant par l’interprétation théâtrale (dansée parfois, chantée aussi), la pièce réalise également un tour de force majeure dans sa conception visuelle. Quoi de plus attrayant, pour entrer dans le monde des rêves viatiques, qu’une explosion de costumes qui prennent le temps d’être admirés ? Mais, l’attention est de mise car le périple évolue sur une scène en mouvement. Comme le précise Knobil, il s’agit là d’une vraie « machine à jouer. Plateau tournant, trappes, rideaux, vidéo… Le décor est littéralement un diamant tournant » et chaque nouvel agencement, conceptualisé par Jean-Luc Taillefert, offre une image plus surprenante que la précédente. Autour du piano, d’un repas familial ou dans une forêt de hauts arbres sur des échasses, les personnages proposent au regard des tableaux saisissants. Le temps d’un instant suspendu, les figures prennent des poses qui s’harmonisent dans une vision d’ensemble. Les compositions du groupe entourant le piano sont d’autant plus belles que la place de l’instrument est aussi centrale dans le spectacle que dans la vie du comédien qui le joue, Didier Puntos (pianiste, compositeur et arrangeur).
Alors, amateur-rice d’azur, de couleurs vives et de mondes oniriques, L’Oiseau bleu n’attendra que le temps de sa pose. Cette création du TKM s’adresse à un public large : de la personne de la fin de vie – partageant potentiellement la « quête de jouvence » du protagoniste – à celle qui est déjà en mesure de surpasser les terreurs juvéniles que pourraient inspirer certains costumes. Au travers de plusieurs formes d’arts, ce « spectacle complet » transportera les personnes prêtes à s’aventurer proche de la nuit, du temps et des êtres perdus.