Une critique sur le spectacle :
Mise en scène par Philippe Sireuil / d’après le texte d’Ödön von Horváth / Théâtre des Osses (Fribourg) / du 08 au 28 décembre 2023 / Plus d’infos.
Pièce conçue pour susciter le rire tout en offrant une réflexion sur des thématiques intemporelles, Figaro divorce met en scène son personnage éponyme alors qu’il échappe à la Révolution en compagnie de sa femme ainsi que du comte et de la comtesse Almaviva. Dans un monde où les anciens codes sociaux sont bouleversés, l’adaptation des personnages semble parfois être difficile.
Le nom de Figaro vous est sans aucun doute familier. Personnage emblématique du théâtre du XVIIIe siècle, ce valet à la parole libre et à l’esprit malin apparaît dans plusieurs pièces de Beaumarchais : Le Barbier de Séville (1775), Le Mariage de Figaro (1784), puis La Mère coupable (1792). Si le deuxième volet de la trilogie de Beaumarchais marque un dénouement heureux avec le mariage de Figaro et Suzanne, la suite de l’histoire imaginée dans Figaro Divorce d’Ödön von Horváth laisse présager un destin plus sombre. Écrite à l’époque de la montée du nazisme en Allemagne, cette comédie qui, selon son auteur, « fait pleurer », met de côté les intrigues amoureuses de la cour du comte Almaviva pour entraîner les personnages dans la fuite de la Révolution.
Le début du spectacle nous montre ainsi les personnages de Beaumarchais – Suzanne, Figaro, le comte et la comtesse Almaviva – contraints à l’exil. La rumeur court : le roi est mort. Six ans après le mariage de Figaro et Suzanne, la Révolution française est en marche. La salle est plongée dans le noir. S’écrivant sous nos yeux comme avec une machine à écrire, les didascalies de ce premier tableau sont projetées sur un mur. Puis deux lanternes s’allument. Les deux couples apparaissent avec leurs valises en habits du xviiie, énorme robe bouffante, froufrous, talonnettes et perruques. Ils ont l’air épuisé. Le bruit de la forêt ainsi que la fumée qui se répand sur scène créent une ambiance angoissante. Le comte et la comtesse Almaviva ne veulent pas mourir.
Si la référence à la Révolution française est évidente dès le début de la pièce, à mesure que les différents tableaux se forment, la temporalité se voit floutée. Çà et là, dans un décor minimal qui se modifie à chaque tableau, certains éléments viennent indiquer un rapport aux années 1930-1940, rappelant ainsi aux spectateurs la « révolution » du national-socialisme allemand : une vieille radio, un téléphone accroché au mur, des skis. Quant aux costumes des personnages, ils sont différents en fonction de leur statut social et de l’époque qu’ils incarnent : le comte Almaviva et la Comtesse gardent leurs vêtements de l’aristocratie. Pédrille – l’ancien palefrenier du Comte devenu intendant du château – porte des habits stéréotypés du révolutionnaire avec de grandes bottes noires. Franchette – sa femme – est habillée dans un style rockabilly vintage, tandis que Figaro et Suzanne changent de vêtement au cours de la pièce pour indiquer les étapes de leur évolution dans ce nouveau monde. Le cadre spatio-temporel de la pièce se veut volontairement ambigu pour donner une dimension universelle et intemporelle. A ce propos Ödön von Horváth écrit dans le préambule qui sera projeté à la fin du spectacle pour expliciter le projet de cette représentation :
« Néanmoins, je me suis autorisé à situer l’action à notre époque, car les problèmes de la révolution et de l’émigration sont premièrement : intemporels, et deuxièmement : particulièrement actuels à notre époque. La révolution dont parle cette comédie n’est donc pas celle de 1789, la grande Révolution française, mais… simplement toute révolution, car tout bouleversement par la force trouve un dénominateur commun dans ce que nous respectons ou méprisons dans notre relation à la notion d’humanité. »
Le metteur en scène Philippe Sireuil, entouré par le scénographe Vincent Lemaire, le constructeur de décor Valere Girardin, la créatrice de costume Anna Van Brée, ainsi qu’une dizaine de comédiens, ont abordé cette œuvre avec humilité, en cherchant à rester fidèle au message de Ödön von Horváth. Cependant, l’univers fictionnel qui est développé crée une atmosphère anxiogène et sombre qui ne laisse que peu de place au genre comique mis en avant par Ödön von Horváth, malgré les rires provoqués çà et là par quelques situations comiques. De plus, si la pièce résonne particulièrement avec la Révolution française et les années 1930-1940 grâce au travail de mise en scène, elle garde certaines distances avec le XXIe siècle à cause de l’absence de références explicites à cette période. Il serait donc difficile de parler de problématiques intemporelles tant elles sont ancrées dans des contextes plus ou moins éloignés du nôtre et qui ne peuvent se transposer de la même manière à notre époque. Les spectateurs ne pourront donc s’empêcher de se demander en lisant le préambule : de quelle révolution parle-t-on aujourd’hui ?