Par Emma Chapatte
Une critique sur le spectacle :
Nos adieux (remake) / Louise Belmas (FR) et Joël Maillard (CH) / Théâtre de l’Arsenic (Lausanne) / Du 21 au 26 novembre 2023 / Plus d’infos.
Après Résilience mon cul, le comédien vaudois Joël Maillard propose au public romand sa dernière création, Nos adieux (remake), composée à quatre mains avec la comédienne française Louise Balmas. Drôle et touchant, ce spectacle met en scène les doutes et les réflexions que les artistes rencontrent lors du processus de création dramatique.
La représentation commence par un générique de film façon Guerre des étoiles projeté sur un rideau transparent faisant office d’écran, puis par une première partie où les deux protagonistes se trouvent face public derrière ce tissu et parlent en anglais, sous-titré en français sur le voile-écran devant eux. Seulement voilà : les sous-titres ne sont pas la traduction fidèle du dialogue prononcé, mais une réécriture en français potache, faisant apparaître un second discours drôle et décalé, sorte de sous-entendu de ce que l’on pourrait comprendre du premier. Le spectacle tout entier est jalonné par ce genre de « trucs », de trouvailles de mises en scène et de déclics ingénieux.
Rejouer le spectacle de leurs adieux, tel est le propos de la pièce de Louise Belmas et de Joël Maillard, annoncé dès le titre. En réalité, le sujet du spectacle est double : il s’agit également pour lui de mettre en scène sa propre création, avec ses spécificités d’écritures textuelles et scéniques. On nous l’annonce également dès le départ : nous assistons à une fiction sur deux artistes mettant en scène un spectacle et partageant leur cheminement artistique. Les deux protagonistes adoptent ainsi une posture réflexive : ils commentent les choix de mise en scène, voire les expliquent et les éclaircissent. Ils pensent à voix hautes et dévoilent les contraintes de création qu’ils se sont fixées, par exemple écrire chacun·e le texte de l’autre. Construit sur le modèle de l’assemblage de plusieurs fragments scéniques, le spectacle enchaîne les situations et se déploie de scène en scène, ce qui pourrait parfois faire perdre le fil aux spectateur·rice·x·s. Le choix de l’humour comme levier pour porter jusqu’au public ses intentions apparaît alors comme bienvenu : véritable lubrifiant, il permet d’enchaîner les fragments et le propos, de le fluidifier et de refixer l’attention du public.
Nos adieux (remake) ne se contente pas d’être critique envers lui-même en interrogeant sans cesse sa propre forme, il l’est également sur le monde du théâtre et les personnes qui le composent : directeur d’institution caricatural enfonçant les clichés d’une bien-pensance factice, réalisatrice de théâtre documentaire corrompue qui n’hésite pas à s’autocensurer pour de l’argent, les personnages mis en scène exemplifient une critique manifeste des interlocuteur·ice·x·s auxquel·le·x·s font face les artistes dans leur parcours du combattant pour monter un projet. Situation(s) réelle(s) rencontrée(s) lors de la création du spectacle ou fiction ? Le doute subsiste. C’est que Louise Belmas et Joël Maillard aiment se tenir sur le fil entre réalité et fiction, brouillant les pistes entre théâtre et performance, mise en scène millimétrée et irruption du réel. On ne sait alors plus très bien de quel spectacle il s’agit : de celui de Louise Balmas et Joël Maillard comédien·ne·s ? Ou de celui de Louise et Joël protagonistes ?
On pourrait reprocher au spectacle une certaine forme d’exclusion – il faut par exemple parler anglais pour saisir le décalage entre paroles et sous-titres du début. Sauf que les protagonistes en ont parfaitement conscience, au point d’aborder le sujet eux-mêmes, l’un d’eux anticipant la question de l’élitisme et l’autre de rétorquer qu’ « aujourd’hui il y a plus de gens qui parlent mieux l’anglais courant que le français soutenu ». Certes, quoique…
En faisant constamment sa propre critique, en prenant de court les questions des spectateur·rice·x·s et en questionnant sa forme – démarche propre au travail de création –, le spectacle anticipe les commentaires qui pourraient lui être adressés et leur oppose d’emblée des contre-arguments, rendant le travail du critique d’autant plus ardu tout en permettant paradoxalement une forme de dialogue avec lui. Mais est-ce qu’identifier les remarques potentielles les désactive pour autant ? Si cela permet en tout cas de clarifier l’endroit d’où l’on se positionne lors de la création du spectacle, et d’assurer au public que l’on a bien conscience de ses propres limites et biais, il n’empêche qu’on rira moins à la lecture des sous-titres si l’on ne parle pas anglais, et qu’on ne comprendra probablement pas la référence à l’Oulipo ou au Off d’Avignon si l’on ne baigne pas dans un monde théâtral et une culture lettrée. Le choix d’intégrer ces éléments potentiellement excluant est-il réellement assumé, ou la question est-elle simplement évacuée ?
Pour rentrer à notre tour dans le jeu de l’autocritique, on pourrait nous rétorquer qu’après tout, chaque création scénique, pour être bien comprise, nécessite un certain nombre de connaissances implicites à des degrés différents. Le tout semble être d’en avoir conscience, comme c’est indubitablement le cas pour Joël Maillard et Louise Belmas.