Par Claire Cornaz
Une critique sur le spectacle :
Le Malade Imaginaire / De Molière / Mise en scène de Jean Liermier / Théâtre de Carouge / Du 22 novembre au 18 décembre 2022 / Plus d’infos.
En cette fin d’année, Jean Liermier et le théâtre de Carouge présentent le Malade Imaginaire, repris d’un premier spectacle créé en 2014. Ici, la dernière œuvre dramatique de Molière est mise en scène en conservant tout l’esprit et le comique de la pièce, mais en incluant des passages au caractère plus anxiogène, nés de l’imagination d’Argan. Jean Liermier donne corps aux inquiétudes du malade et leur donne forme sur scène, offrant une lecture nouvelle de sa santé physique et mentale.
Argan est un homme hanté par ses angoisses de maladie, dont les médecins profitent pour s’enrichir, et que sa famille doit subir. C’est autour de lui que les éléments principaux de l’intrigue se développent au fil de la pièce. Par exemple, à cause de ses peurs, il souhaite forcer sa fille Angélique à épouser un médecin qu’elle n’aime pas, ce qui pousse celle-ci à participer aux subterfuges de son amoureux Cléante. L’anxiété d’Argan est telle que sa seconde épouse Béline profite de la rédaction d’un testament pour tenter de s’enrichir. De plus, sa servante Toinette est obligée de le berner pour qu’il réalise la vérité sur ses médecins et sa femme. Ce sont donc les craintes d’Argan qui motivent le récit et qui incitent ses proches à le tromper.
Ces peurs surplombent le malade dès le début du spectacle sous diverses formes. On peut par exemple voir une marionnette de la mort qui vole au-dessus de la scène à l’ouverture des rideaux, donnant l’impression qu’elle hante le sommeil d’Argan. Celui-ci se trouve dans un lit d’hôpital placé au centre de la scène représentant le cabinet de travail du malade alors qu’à cour se trouve une table presque écrasée par des piles de médicaments, tout ceci semblant indiquer qu’il ne dort même plus dans sa chambre à cause de ses inquiétudes sanitaires. Accrochés aux murs, on peut aussi remarquer des tableaux sur lesquels sont peintes des leçons d’anatomie et de médecine, images qui montrent à la fois ce qu’il admire (les médecins) et ce qui l’effraie (la mort associée aux corps anatomiques).
Étant à l’origine une comédie-ballet, la musique conserve sa place (sans toutefois la danse) et marque les transitions entre les actes. Elle participe aussi à l’incarnation des émotions d’Argan sur scène, faisant écho à ce qu’il ressent. On entend ainsi résonner des glas créant des harmonies tendues lorsque le malade est ausculté et diagnostiqué par les médecins Diafoirus, signifiant sa peur profonde de la mort. Lorsqu’il est choyé par son épouse et sa servante, c’est une musique plus douce qui accompagne cet instant, indiquant la tranquillité qu’il ressent et dans laquelle il ose s’installer. Ainsi, la musique permet de nous faire ressentir les maux dont Argan pense être affligé : ils deviennent momentanément réalité en prenant forme sur scène, comme s’ils débordaient de son esprit anxieux. Ses angoisses prennent véritablement corps lorsque Monsieur Purgon, outré que le malade ait refusé ses soins, annonce ne plus vouloir être son médecin et quitte sa demeure. C’est alors que de gigantesques marionnettes de chirurgiens ressemblant à Monsieur Purgon et son apothicaire surgissent de derrière le décor et – comme des géants depuis le haut des murs – invectivent Argan, qui n’a nulle part où se cacher. Elles le pointent du doigt et lui font de sévères remontrances tandis que leur voix gronde à travers un microphone. La lumière sur scène disparaît presque pour n’éclairer que les marionnettes, laissant Argan seul et paniqué dans le noir tandis qu’elles lui prédisent milles malheurs. Cet effet de gigantisme, le jeu de lumière et les voix résonnant des haut-parleurs accentuent le monde anxiogène dans lequel vit Argan.
Le Malade Imaginaire de Jean Liermier présente donc un malade qui n’est pas si imaginaire que ça. Son imagination et son hypocondrie sont telles que ses craintes débordent et prennent pleinement place sur scène. La mise en scène offre ainsi une lecture sensible des souffrances d’Argan, en les mettant en scène et sur scène, sans pour autant empêcher la légèreté d’accompagner ce que lui et sa famille traversent. Le rire allège les anxiétés d’Argan, soutient les spectateurs, et on peut même finalement penser qu’il peut participer à guérir les peurs.