Funny, Epicétout?

Par Isabelle Fasnacht

Une critique sur le spectacle :

My Epifunny / de Marco Berrettini / L’ Arsenic Lausanne / du 11 au 16 octobre 2022 [du 26 au 29 janvier 2023 à la Comédie de Genève] / Plus d’infos.

© Carol Parodi

La dernière création de Marco Berrettini rassemble sept protagonistes – six humain.es, un chien – autour de certains des genres favoris du chorégraphe, tels que le music-hall ou la danse disco, avec pour thème annoncé un questionnement sur les épiphanies, ces étranges phénomènes sortis a priori de nulle part mais qui changeraient la vie de cellui qui les vit. Le spectacle explore son sujet par des numéros de chant, de danse et de dialogues tout en se refusant à proposer un message clair.

Une plateforme étroite et montée sur pilotis s’élance depuis la scène pour se terminer au milieu des gradins, tandis qu’une installation de création sonore (synthétiseur, ordinateur et autre matériel) est placée au début d’un rang : envahi dans son espace, interpelé dès son entrée dans la salle, le public circule difficilement. Cette proximité caractérise l’ensemble du spectacle : les comédien.nes s’avancent sur la plateforme comme sur un plongeoir dirigé vers le public, s’arrêtent au bord, en testent les limites, cherchent les regards et se faufilent à travers les rangées de sièges. Les propos tenus sont eux aussi étrangement familiers : on nous lit par exemple à plusieurs reprises des extraits de la conversation Whatsapp des comédiens se préparant aux répétitions : « Désolé les gens, j’ai un problème de train, commencez sans moi », « Soupe aux lentilles à midi ! » ou encore « Si vous pouviez me donner un coup de main pour porter le matériel depuis la gare ? ». Des anecdotes délicieusement criantes de réalisme, mais lues de façon neutre, lente, parfois agaçante. On y décèle surtout les déboires rencontrés : de nombreuses personnes quittent le projet, la troupe échoue à obtenir une grande salle à Genève, on sent une certaine frustration ou une impression que les choses n’avancent pas.

Il y a des moments nettement plus flamboyants : des reprises de chansons – Hurt de Johnny Cash, magnifiquement chantée en anglais par Bryan Campbell, puis Let’s get physical de Olivia Newton-John traduit littéralement (et humoristiquement) en « Soyons corporels » –, des épisodes de danses envoûtantes, des jeux fascinants d’ombres et lumières, un drone au comportement erratique qui fait écho à celui du chien, plein de bonne volonté mais un peu inquiet. En somme, des numéros individuels – certains qui fonctionnent, d’autres moins – à la manière du music-hall, cher à Marco Berrettini. On ne sait pas toujours où regarder et on ne peut d’ailleurs pas tout voir : les numéros se superposent et plusieurs se passent en même temps à différents endroits de la scène, tandis que la plateforme, elle, ne fait rien pour aider et cache une bonne portion du plateau. De fait, découvrir de nouvelles actions en cours sans s’y attendre, presque par hasard, peut être tout à fait surprenant et satisfaisant.

Les numéros en eux-mêmes ne sont cependant pas nouveaux. On les a déjà vus, surtout celui où un homme se déshabille intégralement avant de traverser le public. À ce stade, c’est pratiquement de la parodie tant c’est une image reçue qu’on peut avoir du « théâtre contemporain » (au sens simpliste et péjoratif du terme). Cette absence d’innovation sous-entendrait-elle que le but du spectacle se trouve ailleurs ? S’agirait-il d’une recherche scénique particulière, peut-être d’une expérimentation sur la limite entre le « raté » et le « bien fait » ? Outre que cela non plus n’est pas nouveau, il ne s’agit que d’une supposition : on est renvoyé à la difficulté à attribuer une position claire au spectacle,.

J’aime l’image du chien qui va et vient, un peu perdu et spectateur de quelque chose qu’il ne comprend visiblement pas vraiment mais à laquelle il est habitué. Elle résume étrangement l’impression que je retire du spectacle : on ne comprend pas tout, mais on n’est pas très surpris car après tout, on s’y attendait un peu en venant voir un spectacle expérimental. On passe un bon moment, mais on ne sait pas trop quoi en penser. On n’a peut-être pas envie d’en penser grand-chose. Je n’ai pas eu d’épiphanie particulière ce soir, mais j’en suis ressortie détendue et de bonne humeur. C’était peut-être un but en soi.