Par Valmir Rexhepi
Ivanov / de et mis en scène par Emilie Charriot, d’après Anton Tchekhov/ par la Cie Emilie Charriot / Arsenic / du 22 au 27 novembre 2016 / Plus d’infos
Grâce à une mise en scène épurée, Emilie Charriot invite à voir la pièce de Tchekhov autrement. Ivanov n’est plus au centre, quelque chose d’autre alors se dit, une expérience de la dynamique des relations, des « je t’aime moi non plus ». La lumière, comme une loupe ou un télescope nous amène à la rencontre d’êtres qui s’attirent et se rejettent.
Cinq taches de chair dans le noir, le visage, les deux bras, le bas des jambes jusqu’au milieu des tibias. On l’apprendra plus tard, c’est Anna qui, figée, une lumière révélant son corps sans rompre le noir derrière elle, attend que nous et le silence prenions place. On n’entend maintenant que les souffles des spectateurs, comme des vagues, un siège qui grince ; Anna s’en va suivie du claquement de ses pas. Progressivement, un jour se lève sur l’espace vide du plateau tandis que commence, tonitruante, la Marseillaise. Quelqu’un, une femme déambule sur scène, comme en répétition, il semble aussi qu’elle parle mais les « enfants de la patrie » et « l’étendard sanglant » écrasent les faibles sons qui sortent de sa bouche. Lorsque la musique se tait entre une femme, pieds nus, en costard blanc. C’est Sacha.
Emilie Charriot reprend la pièce de Tchekhov dans un spectacle dépouillé, qui fait la part belle à l’espace vide et aux corps. Sur scène, rien, hormis les corps des personnages et les subtiles jeux de lumière qui structurent dans l’immensité noire de la scène des lieux de paroles, des relations, des temps d’intimité, comme pour éclairer les protagonistes de l’intérieur ; des lumières qui, pour peu qu’on sache les entendre, parlent. Voici Nikolaï, statique, une lumière qui semble lui venir de l’intérieur révèle son visage. On est seul avec lui, presque en tête à tête.
La pièce, de par les choix de mise en scène, ne semble pas vouloir rejouer ou redire un texte dont la fortune théâtrale n’est plus à démontrer. Ce n’est peut-être pas l’histoire antihéroïque d’Ivanov qui se joue. De la pléthore de personnages de la pièce de Tchekhov, il n’en reste que six : Anna, Ivanov, Zinaïda, Sacha, lvov et Borkine. Et puis le texte est pris à rebours, commençant par l’acte IV et s’achevant sur une scène dans laquelle Ivanov annonce à sa femme qu’elle va bientôt mourir (acte III). Sacha, presque femme virile dans son costume blanc, veut toujours sauver Nikolaï de lui-même en l’aimant. C’est l’amour-sauvetage. Et Anna se meurt de plus en plus vite de n’être plus aimée d’Ivanov. C’est l’amour-poison. Les femmes sont au centre, Ivanov devient un élément perturbant et non plus perturbé, à contre-pied du texte de Tchekhov. C’est l’impact d’Ivanov sur les existences de ces dernières qui semble se profiler. Dans la nuit, face à nous le visage d’Anna, immuablement là ; plus loin, de profil, celui de Nikolaï, comme sur le départ.