Au Diapason
Conception et mise en scène Lou Ciszewski / Théâtre Am Stram Gram (Genève) / Du 4 au 13 avril 2025 / Critique par Killian Lachat .
5 avril 2025
Par Killian Lachat
On s’accorde

Dans une comédie musicale pour la jeunesse qui parle de l’acceptation de soi et des autres, un trio d’amis tente de mener à bien son projet de monter un spectacle. Celui-ci se déroule dans la salle d’attente de la Docteure Edith Moitou, alors qu’elle reçoit Rémi – un jeune garçon qui fait des rimes – et Mila – une jeune fille muette qui s’exprime en jouant du piano. Les trois comédiens emmènent le public avec eux le temps d’une consultation, dans un univers qui brouille les frontières de la fiction pour que tous s’accordent au travers de la musique.
Au Diapason, créé au théâtre Am stram gram, a le grand mérite de s’adresser réellement à un jeune public, en gardant un rythme soutenu et un ton léger, et en évitant l’écueil de l’hermétisme expérimental qui peut caractériser certaines comédies musicales contemporaines. Le spectacle se dote par exemple d’un subtil mais très compréhensible jeu référentiel sur la culture populaire – souvent au travers de motifs musicaux. Ces allusions, de la Reine des Neiges aux notes d’un tube de Britney Spears, sont souvent connues du jeune public et permettent d’établir un état d’esprit complice entre les spectateurs et la fiction qui facilite l’immersion.
La musique joue un rôle non négligeable dans l’intrigue, au même titre que le chant et la danse. C’est grâce à l’intervention de la très loquace Edith Moitou, qui les fait se rencontrer dans la salle d’attente de son cabinet, que les deux jeunes gens réussissent enfin à exprimer leurs émotions. Au-delà de la richesse des paroles et la qualité musicale des arrangements inédits, le spectacle transmet avec justesse un message d’acceptation de soi, les trois voix des comédiens laissant petit à petit de côté leurs différents pour enfin s’accorder. Lou Ciszewski, diplômée de la Manufacture en 2020, metteuse en scène du spectacle et directrice artistique de la Compagnie la Meute, a justement choisi cette forme musicale dans le but de transmettre ce type d’émotions au public. Les sentiments tels que l’exclusion que ressentent les deux jeunes gens sont souvent difficiles à mettre en mots, pourtant le spectacle prouve qu’il est possible de les mettre en chansons.
Différents types de brouillages entre fiction et non-fiction nourrissent également le comique. Les nombreuses adresses au public tendent à établir une proximité entre la fiction et la réalité. Souvent teintés d’humour, ces glissements de niveaux narratifs, au lieu de compliquer l’action, permettent au contraire de la dynamiser et d’ajouter une touche de légèreté à l’ensemble. Deux niveaux de fictions sont imbriqués avec l’usage d’une pièce enchâssée – sur le mode de la comédie musicale – au sein d’une pièce cadre – celle qui se déroule sous nos yeux, où le trio tente de mener à bien la représentation, malgré les problèmes techniques qui engendrent désaccords et sorties de personnage. Loin de brouiller la compréhension de l’ensemble, les jeux de lumière aident au contraire à repérer à quel niveau diégétique on se trouve.
Le spectacle brouille également avec humour les frontières entre comédiens et personnages : la Docteure Edith Moitou ainsi que Rémi et Mila – dans la pièce enchâssée – sont interprétés par trois amis – dans la pièce cadre – qui, étrangement, portent les mêmes noms que leurs comédiens respectifs. Diane Albasini (Diane/Edith Moitou) et Lou Golaz (Lou/Mila) sont toutes deux diplômées de la Manufacture, respectivement en 2018 et 2022 ; Léon Boesch (Léon/Rémi) est quant à lui reconnu pour sa formation d’improvisation et de musique au sein d’un groupe de Jazz genevois. Ensemble, ils campent un trio féru de musique qui souhaite monter son propre spectacle, mais qui, malgré le script sur lequel ils se sont mis d’accord, n’arrive pas tout de suite à s’accorder.
Si ce spectacle est créé en particulier pour un jeune public, il ne perd aucunement son sens pour les adultes présents dans la salle. En questionnant la manière dont Au Diapason s’adresse à un public relativement vaste, il est possible de mettre en lumière les éléments constitutifs d’un spectacle qui s’adapte à (presque) tous les âges : l’adresse aux spectateurs, de même que l’humour ou encore le rythme (chant, danse, musique) mettent en évidence l’importance des références partagées sur lesquelles se base le spectacle, faisant du public une communauté qui, à l’instar des trois amis de la pièce cadre, doit apprendre à s’accorder afin d’accéder au « grand final ».
5 avril 2025
Par Killian Lachat