Titizé un rêve vénitien

Titizé un rêve vénitien

Conception et mise en scène par la Compagnia Finzi Pasca / Théâtre du Jura (Delémont) / Du 27 au 28 février 2025 / Critique par Alexia Gay .


27 février 2025

Venise à l’envers, entre ciel et lagune

© Viviana Cangialosi

En tournée internationale, les artistes tessinois de la Compagnia Finzi Pasca invitent les spectateurs du Théâtre du Jura à la découverte de Venise. À la croisée du théâtre, du cirque, de la danse et de la musique, le spectacle déploie un langage scénique foisonnant.

La lumière s’éteint, les criquets s’agitent. Dès les premières secondes, le public est transporté dans l’univers des belles nuits vénitiennes. Sur scène, des personnages s’animent. Ils évoquent ceux de la commedia dell’arte, avec leurs costumes à losanges, leurs masques et leurs grands couvre-chefs blancs. Mais un problème survient : où est le maître, le maestro de la troupe ? L’impatience grandit, les personnages interpellent le public, jusqu’à ce que le maestro tant attendu (Luca Morrocchi) descende enfin des gradins, sans son costume qu’il n’a pas eu le temps d’enfiler.

Mises en abyme, espace scénique sans frontières, complicité avec les spectateurs : tout ici s’amuse des conventions du théâtre. Et quel théâtre ! Un spectacle total, alliant théâtre, cirque, danse et musique, une fresque mouvante où se succèdent numéros et tableaux, chacun rendant hommage à la Sérénissime.

D’un numéro comique impliquant presque toute la troupe, on glisse vers un cerceau aérien à quatre acrobates, gracieux et envoûtants. Puis l’on bascule à nouveau, dans un tableau surréaliste où l’air devient océan et où même les sirènes s’invitent à la fête. Plus tard, un carré aérien, épuré et futuriste, voit musique et lumières sculpter l’espace, tandis que des hologrammes renforcent cette atmosphère irréelle. Ici et là, les décors évoquent la lagune sur laquelle repose Venise : un fond de scène qui ondule, un sol brillant qui, reflétant les mouvements des artistes lors d’un numéro de contorsion, crée l’impression d’une eau mouvante.

Le burlesque s’invite au fil du spectacle, des personnages se retrouvent par hasard dans des tableaux qui ne leur sont pas destinés, insufflant une légèreté aux moments les plus intenses. Ces intrusions créent un décalage, non seulement spatial mais aussi temporel : certains personnages semblent surgir d’une époque différente de celle suggérée par le numéro en cours. Ainsi, lors d’un numéro de sangles aériennes à l’esthétique rétro, une femme en robe de bal – sans doute une touriste venue à Venise pour le Carnaval – s’amuse à prendre des selfies, suivie de son compagnon qui tente de la ramener ailleurs. Cette tonalité ludique n’altère en rien l’admiration du public face aux prouesses acrobatiques qui jalonnent la représentation et révèlent une précision et une maîtrise impressionnantes des artistes.

Les techniques utilisées pour créer cet univers renversé se multiplient. Un ballon-requin, drone dirigé à l’aide d’une télécommande, flotte (vole-t-il ? nage-t-il ?) au-dessus du public avant de survoler la scène. Dans une séquence marquante, une caméra filme les artistes au sol, et l’image projetée en direct sur un écran donne l’illusion qu’ils défient la gravité, s’envolant depuis un banc sous l’effet d’un vent trop fort. Ce jeu de perspectives provoque autant l’émerveillement que le rire des spectateurs.

Le dispositif multimédia s’invite également dans la conception sonore. Lors d’un numéro, un chanteur lyrique incite d’autres personnages à produire des cris d’animaux au micro. Progressivement, ces derniers enfilent d’imposants masques d’éléphants et de rhinocéros – ajoutant une dimension visuelle saisissante – tandis que l’artiste enregistre leurs sons en direct et chante par-dessus, composant ainsi une véritable cacophonie, polyphonie aussi chaotique qu’orchestrée.

Aucun procédé technique n’est dissimulé : les machines à fumée sont visibles, parfois maniées par des personnages en marge du tableau principal, ajoutant au décalage et aux jeux de clownerie. Les hologrammes et effets de lumière ne cherchent pas à tromper, mais à enrichir cette atmosphère où tout est faux et pourtant si vrai, où l’illusion est toujours visible, comme un clin d’œil à la nature même du théâtre et du cirque.

Mais qui est Titizé ? – « Un puriste japonais ? Coréen, peut-être ? Non, c’est un rêveur. » Un guide qui nous entraîne dans un songe vénitien, où les images évanescentes, les mirages et les illusions tissent un univers onirique d’une rare beauté. Tout au long du spectacle, les personnages sont en quête : du maestro, de quelqu’un, de quelque chose. Et au lieu de perturber le déroulement du spectacle, cette errance ne fait qu’enrichir le voyage, qui se conclut dans un éclat de merveilleux. Une pluie de poissons s’abat sur la scène, les masques sont posés, et Venise, insaisissable, continue de nous hanter.

27 février 2025


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