Lab Rats

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Lab Rats

Création par Marc Oosterhoff et Owen Winship / Théâtre de Vidy (Lausanne) / Du 5 au 9 mars 2025 / Critiques par Orane Gigon et Célia Reymond .


9 mars 2025

Un langage de la confiance

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©PanRay Photography

À travers un dialogue sans paroles fondé sur des interactions physiques, deux hommes seuls dans une boîte en verre, forcés à cohabiter, construisent une relation de confiance.

« S’il devait y avoir un message pour Lab rats, c’est l’idée que si on s’écoute, s’il y a du respect entre deux personnes, on peut aller beaucoup plus loin que ce qu’on pense. » C’est en ces termes que Marc Oosterhoff commente l’expérience qu’il propose depuis 2021 avec l’artiste circassien Owen Winship. Le public, dans une disposition quadrifrontale, est disposé autour d’une boîte en verre posée au milieu de l’espace scénique, ce qui permet de voir en transparence tous les spectateurs. Un homme portant une chemise rouge se trouve dans la boîte. Ce dispositif amène d’emblée à se questionner : le public fait-il partie de cette expérience de rats de laboratoire ? Faut-il considérer les personnes assises en face de nous comme étant, par cet effet d’optique, dans la boîte avec l’artiste ?

L’entrée en scène d’une personne, portant une tenue similaire, mais avec une chemise verte crée la surprise et le rire. Owen Winship tombe littéralement sur scène depuis le plafond de la boîte et impose sa présence à celle de Marc Oosterhoff. De là commence un jeu, une communication gestuelle entre les personnages, d’abord unilatérale, puisque le personnage en vert est inanimé, puis en interaction sous forme de jeu de confiance, de mouvements miroirs – comme pour tester une forme de connexion – et de portés acrobatiques où les corps des artistes se mêlent et se portent de façon en apparence désordonnée. Ils peinent à se soutenir, imposant leurs envies et leurs gestes à l’autre sans le prendre réellement en compte, ce qui mène à l’écrasement comique des corps contre les vitres de la boîte.

D’après Marc Oosterhoff, les personnages sont à la fois les scientifiques et les rats de laboratoires de leur propre expérience : le metteur en scène tente, avec ce projet, de « dissocier les actions de leurs significations ordinaires ». Ainsi, les personnages ne savent pas exactement ce que les actions qu’ils testent vont engendrer sur et avec l’autre. La création collaborative d’un nouveau langage de la confiance et du partage est liée à un travail d’adaptation et de réactivité à l’autre et à ses propositions acrobatiques afin de cocréer un espace d’écoute et de dialogue à travers les gestes. Le lien que les figures commencent à tisser passe par des gestes marquants, comme le balbutiement d’un langage en construction. C’est une rencontre où les corps se cherchent, se tournent autour, se sautent dessus, testent le poids et la résistance de l’autre, le tout en mouvement quasi perpétuel. Les mouvements traduisent, surtout dans la première partie du spectacle, la difficulté de s’adapter à la présence de l’autre, ce qui provoque des tentatives de fuite individualistes se concluant par des échecs et aboutissant à une pétrification de la figure en rouge et donc, à un retour à la situation initiale, mais inversée. Le personnage en vert doit alors composer avec le corps statufié de son partenaire. Il le fait cependant avec plus de réflexion, plus de douceur, ce qui laisse entendre que la relation des personnages évolue vers un apprivoisement et une acceptation de l’autre – notamment au travers de divers jeux enfantins et innocents qui renforcent leur lien.

Le seul échange de mots du spectacle crée une véritable surprise – brisant le pacte fictionnel établi au début: « – Pourquoi on parle pas ? – Je sais pas ». Ce modeste échange met en exergue l’inutilité du langage dans la construction du lien fort qui se crée entre les deux figures et ce, malgré les difficultés rencontrées et les tensions crées. Celles-ci se voient d’ailleurs résolues par le simple geste d’une main tendue vers l’autre, symbolisant le pardon et l’acceptation. À la suite de quoi, un lien plus fort encore paraît se bâtir, plus sensible aussi, car dès lors, les personnages hésitent à se toucher alors qu’ils n’avaient pas eu cette gêne auparavant. Leurs gestes se transforment finalement en danse où chacun porte l’autre tour à tour dans une nouvelle confiance basée sur l’écoute et la collaboration. Tout au long de la représentation, la musique accompagne ces danses et transpose les émotions des personnages.

La représentation se clôt sur l’extinction des lumières à l’intérieur de la boîte, permettant aux spectateurs de se voir eux-mêmes contre la vitre, les poussant alors à se questionner sur leurs propres liens aux autres et sur les moyens de communication actuels qui sont parfois bien unilatéraux malgré leur flot de paroles et qui laissent, paradoxalement, moins de place à l’écoute que le dialogue muet auquel ils viennent d’assister.

9 mars 2025


9 mars 2025

Langage universel et terrarium

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©PanRay Photography

Dans le spectacle imaginé par Marc Oosterhoff, dans lequel il performe avec Owen Winship, les mouvements et les corps des performeurs, évoluant dans une cage en verre rectangulaire, leur permettent de communiquer, créant une sorte de langage.

Entourés par le public, les deux performeurs apparaissent de face, de dos, ou de profil, selon l’orientation de chaque spectateur. Durant les 50 minutes du spectacle, ils interagissent par des mouvements, des gestes et des regards, sans prononcer une parole, sauf une seule fois. La pièce se termine comme elle a commencé : en obscurcissant la cage, reflétant l’image du public et le renvoyant à sa propre condition. Le titre Lab Rats exprime cette situation dans laquelle les performeurs sont observés et n’ont aucune intimité, à l’instar des rats de laboratoire constamment surveillés par les scientifiques. Leur terrarium, trop petit pour la cohabitation de deux humains, fait également écho aux conditions de stockage des animaux de recherche.

L’absence de parole, et donc de potentielle barrière linguistique, donne un aspect universel au spectacle et le rend notamment compréhensible par un public international. Cela laisse également une grande place à la subjectivité des spectateurs en leur donnant une grande liberté d’interprétation sur ce qui leur est présenté. L’unique question posée à haute voix en fin de représentation souligne que le silence est un choix, qui en retirant les mots place les corps en mouvement au cœur de l’attention. Selon les dires de Marc Oosterhoff, les mouvements qui n’ont pas pour but de déplacer un objet amènent quelque chose que la parole ne peut pas. Grâce à ce véritable travail sur les rencontres possibles des corps, les performeurs jouent et alternent entre équilibre et déséquilibre, occupant ainsi tout l’espace disponible et se heurtant souvent aux parois. Cela a pour effet de renforcer l’effet d’étroitesse de leur cage et laisse presque imaginer un léger basculement dans la folie dû à leurs conditions de détention. Cette impression émerge à la vue de certains mouvements qui paraissent très étranges : une manière bizarre de tirer l’autre, de se déplacer ou encore de se grimper dessus. 

Au fil du spectacle, la compréhension réciproque semble de plus en plus précise et les rencontres physiques sont de moins en moins agressives : les scènes de combats laissent peu à peu la place à des interactions presque dansées. L’alliance entre leurs corps est telle que par moment, les deux hommes semblent ne former plus qu’un. Une sorte de codépendance émotionnelle et physique naît entre eux, qui amène à une impossibilité de rester éloignés l’un de l’autre, bien qu’ils soient enfermés dans un espace si petit. Cette douce transition de la violence à la danse et à la solidarité évoque le passage de l’hostilité, de l’appréhension et du désir de se protéger face à quelqu’un d’inconnu vers la proximité née de l’établissement d’une communication.

Le jeu sur les lumières et les sons fait varier l’effet des mouvements des performeurs sur le public. Les lumières oscillent entre une tonalité blanche, froide et dure, très présente durant les scènes de violence, et une ambiance jaunâtre, chaude et apaisante, accompagnant les scènes plus tendres entre les deux hommes. La palette sonore de la pièce est composée de trois éléments principaux : des extraits musicaux, des bruits de la nature comme des chants d’oiseaux, des cloches de vaches ou encore de la pluie, du tonnerre, et enfin, les bruits produits par les performeurs, tels que leur essoufflement, le bruit que fait leur corps en tapant au sol ou contre les parois. Ces moments sont accompagnés de mouvements souvent lents, absorbant les spectateurs et créant un effet d’attente lié à un aspect cyclique du rythme, alternant silences et moments musicaux ou bruités chaque fois différents.

Le public réagit : les enfants et les adolescents témoignent de leur étonnement, de leur surprise, mais également de leur peur que les performeurs ne se blessent. Si quasiment aucune interaction physique n’a lieu avec les spectateurs – à l’exception d’une très brève séquence – en revanche, les performeurs échangent régulièrement avec le public des regards de plus en plus longs et insistants.

Au-delà de la simple performance, cette pièce invite à réfléchir à notre condition et notre place au sein du cosmos.

9 mars 2025


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