Hamlet

Hamlet

D’après Shakespeare / Mise en scène par Christophe Sermet / TPR – Théâtre populaire romand (La-Chaux-de-Fond) / Du 6 au 8 mars 2025 / Critique par Muireann Walsh .


6 mars 2025

Un long cri de douleur 

© TPR

Le spectacle mis en scène et traduit par Christophe Sermet suit de près la trame de la pièce de Shakespeare en lui offrant un souffle nouveau par le biais d’une interprétation frontale et offensive. Dans la cour royale d’Elseneur, transformée en scène de théâtre, on découvre un prince du Danemark agressif et agressé. 

Depuis plus de quatre cents ans, le personnage de Hamlet, prince du Danemark, nous fascine par son humour, l’introspection à laquelle il se livre, et surtout la vengeance qu’il peine à accomplir. Dans la mise en scène de Christophe Sermet, le monde qui entoure le héros est sans nuance, et sans compromis. Les références au théâtre, au jeu, au masque et à la performance sont centrales dans la scénographie de Simon Siegmann comme dans la mise en scène. La cour d’Elseneur est une scène de théâtre sur le théâtre, à l’esthétique moderne, composée de praticables blancs et de panneaux blancs. Derrière, un échafaudage soutient une estrade rouge écarlate. Cette composition est elle-même entourée de chaises à cour et à jardin. Au fond, les pendrillons et le sol sont noirs. On distingue également des instruments de sonorisation et des coulisses. Les scènes enchâssées d’Elseneur enferment les personnages : pour en sortir, ils doivent passer par l’espace du public. Les panneaux peuvent servir de portes comme de murs. Dans de nombreuses scènes, un personnage les fait chuter pour qu’un autre les redresse. Ainsi, alors que l’intrigue s’intensifie, et que les personnages cherchent à se cacher, et à se dissimuler mutuellement des informations, les façades physiques sont également mises en danger. Ce jeu de mise en abyme du jeu de théâtre et de façades constamment à la limite de s’écrouler contribue à donner l’impression d’un Danemark qui est bel est bien une prison de laquelle personne ne s’échappe. 

L’oppression liée à cette organisation de la scène trouve son reflet dans le jeu frontal, brutal, des comédiens. Les répliques s’enchaînent rapidement, et sont souvent criées. Hamlet (Adrien Drumel) et Ophélie (Zoé Schellenberg), en particulier, sont incarnés dans un jeu physique et exigeant, qui exprime la colère : la colère de Hamlet envers son oncle Claudius, frère de son père, pour avoir épousé sa mère et pris le trône du Danemark, la colère d’Ophélie, fille du conseiller Polonius et amoureuse de Hamlet, quand il la quitte, la colère de Gertrude, confrontée à un mari pour lequel elle ne semble pas éprouver une grande affection, et un fils qui refuse de passer au-delà de la mort de son père. L’espace symbolise le pouvoir du meurtrier Claudius : c’est lui qui traverse l’espace de la scène principale, c’est depuis cette scène qu’il exerce en tant que roi, alors que les jeunes, Hamlet, Ophélie et Laërte, sont sans cesse poussés dans les marges, hors de la scène ou sous les praticables. Les moments de tendresse entre Hamlet et Ophélie, au début de la pièce, ont lieu à côté de la scène principale, et dans la dispute au cours de laquelle Hamlet ordonne à Ophélie de se retirer dans un couvent, ils s’embrassent dans l’espace du public. Dès qu’ils se trouvent sur la scène centrale, aucune tendresse ne s’exprime.  

On peut regretter cette absence de tendresse, en particulier entre Hamlet et ses proches. L’impossibilité de toute affection ou amitié produit un spectacle sans cesse tendu et intense, non sans une certaine lourdeur parfois. Personnages toujours difficiles à cerner, Rosencrantz et Guildenstern, amis d’études de Hamlet chez Shakespeare, ici réinterprétés au féminin, perdent en complexité : ce ne sont pas des amies du héros, inquiètes de le voir sombrer dans la folie même si elles sont prises dans le jeu de Claudius, mais des espionnes froides et malveillantes. Elles sont si odieuses qu’on ne comprend guère pourquoi Hamlet les tolère, ni pourquoi Gertrude a pensé qu’elles seraient capables de cerner les causes de l’apparente folie du prince, ni du reste pourquoi Hamlet se sent trahi par elles. Cette quasi-absence d’affection autour d’Hamlet – on peut excepter en partie Horatio – souligne le fait que le héros est bien seul, et que sa folie feinte l’isole encore plus. Mais cela se fait au détriment d’un certain dynamisme, en aplanissant les nuances potentielles au profit d’une interprétation monochrome : il n’est pas sûr que cela serve le questionnement sur « la loyauté et la trahison à la cour d’Elseneur », que la mise en scène souhaite mettre en valeur.

Le spectacle cherche à choquer le public. Les gestes obscènes n’y sont pas abondants, mais ils sont marquants, comme dans la scène où Ophélie folle couvre son entre-jambe avec le sang de son père, ou celle dans laquelle Hamlet embrasse sa propre mère. Ces moments étonnent non seulement le public par leur absence de justification – faut-il comprendre que la violence des parents se traduit par une violence des enfants ? – mais également les autres personnages, qui semblent démunis face aux réactions violentes des enfants du Danemark. Tout est percutant, la bande-son, les titres de chaque scène projetés sur la paroi rouge, le rythme ponctué par les chutes et la remise en place des panneaux. Mais les interrogations méta-théâtrales indiquées par la scénographie et annoncées dans le discours de la feuille de salle sont moins évidentes que la violence dans les interactions des comédiens. C’est brutal, c’est beau, c’est intense, mais c’est si rempli qu’on manque parfois d’air. Derrière le rouge, le blanc et le noir, on aurait apprécié une palette d’autres nuances.

6 mars 2025


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