Lala et le cirque du vent

Lala et le cirque du vent

Mise en scène d’Anne-Cécile Moser / D’après un conte musical d’Anne Sylvestre / Le Petit Théâtre (Lausanne) / Du 4 au 31 décembre 2024 / Critiques par Anna Chialva et Lou Sicovier .


11 décembre 2024

Faire la pluie et le bon temps au théâtre

© Philippe Pache

Anne-Cécile Moser rend hommage à l’univers enfantin d’Anne Sylvestre, dans une mise en scène pleine de douceur et de profondeur de Lala et le Cirque du vent, conte musical publié en 1993.

Une troupe de circassiens extravagants : Cholaho (Bastien Alvarez) qui bavarde avec les nuages, ; Flonflon (Edmée Fleury), la postière vagabonde ; Lala (Kim Selamet), une jeune fille-oiseau qui parle avec ses pieds ; Toumiel (Patrice Bussy), son ours en peluche qui a grandi avec elle ; Aïmondo (Nicolas Rossier), son père adoptif qui est aussi le directeur du cirque ; Bonzaï (Delphine Delabeye), petite acrobate à tout faire qui rêve de devenir baobab et le maestro Lagratte (Arthur Besson) qui dirige l’orchestre du Cirque du Vent.

Un contexte tout aussi excentrique : le cirque débarque à Saint-Ziquet-sur-Gadouille où il ne pleut plus, où les grenouilles ont disparu et où les habitants guettent l’orage. La troupe recevra le financement de la commune si, et seulement si, elle « fait pleuvoir ».

L’univers fantastique et l’univers circassien se rejoignent pour créer une atmosphère de rêverie rappelant à la fois les peintures espagnoles de Goya, le Magicien d’Oz et l’atmosphère des cirques de la fin du XIXe siècle avec des couleurs pâles, des formes rondes et des costumes démodés : de la chevelure extravagante d’Aïmondo et de Cholaho aux habits pailletés de Lala et de Bonzaï, jusqu’au tutu poilu de Toumiel. L’ancienne tradition circassienne est également rappelée par la distinction entre le clown blanc autoritaire – tel qu’il est Aïmondo – et l’auguste, le clown farceur et indiscipliné – représenté ici par les autres circassiens.

Plusieurs plans diégétiques s’enchâssent dans le spectacle, au niveau spatial et temporel. En ce qui concerne l’espace, c’est le mouvement du rideau qui instaure une séparation concrète entre la narration-cadre, se déroulant sur l’avant-scène – l’espace d’Aïmondo qui explique le contexte ainsi que sa propre histoire, souvent en s’adressant directement au public – et la narration interne, se déroulant au-delà du rideau. Ce second espace suggère un intérieur et un extérieur de la tente du cirque où se dévoilent les histoires des circassiens et leurs habiletés.

La scène est aménagée avec des cordes, des toiles, des objets du cirque et une valise. En ouvrant cette valise, le temps s’arrête et, à l’aide de marionnettes, les personnages racontent une histoire lointaine d’une mère et d’un enfant perdu…

Au niveau temporel, ces pauses narratives sont envisagées pour raconter le passé de Flonflon, la postière vagabonde et de Lala, la fille « orageuse » qui chante et danse, mais ne parle jamais car sa parole provoque des catastrophes météorologiques. Ces personnages, apparemment secondaires au début du spectacle, deviennent progressivement les protagonistes du drame de la famille circassienne : Lala est la fille perdue de Flonflon.

La musique a une importance fondamentale dans le spectacle. Un petit orchestre présent sur scène devient le centre névralgique de toute la narration : tous les comédiens y jouent un instrument.  L’arrangement musical d’Arthur Besson, qui joue également sur scène, contribue à créer l’univers circassien par la variété des instruments employés, la fusion de rythmes différents provenant du style jazz, swing et folk et par des mélodies simples et répétitives, souvent nostalgiques.

Tous ces expédients scéniques introduisent l’enfant dans son univers, ce qui permet de le rendre plus réceptif aux grandes thématiques, telles que l’abandon d’un enfant, l’acceptation, l’amour parental, la résilience et la question écologique, abordées toujours dans une perspective d’espérance.

Finalement, si tout le monde « fait la pluie et le bon temps », ce spectacle veut sensibiliser le spectateur, du plus petit au plus grand, à ne pas condamner ou abandonner quelqu’un qui fait « tomber la pluie », en le rejetant. Il faut plutôt l’accueillir, comme un père accueille un enfant dans ses bras, et lui « apprendre à danser et à chanter » pour qu’il fasse réapparaître le soleil.

11 décembre 2024


11 décembre 2024

Des claquettes pour amener la pluie

© Philippe Pache

Il arrive, il est là, le cirque du vent est enfin à Saint-Ziquet-sur-Gadouille ! Mais qu’il fait chaud ! Il n’a pas plu depuis si longtemps que toutes les grenouilles ont disparu. Et si Lala, jeune danseuse au cirque, pouvait ramener la pluie ? Elle devra pour cela affronter sa tristesse et les secrets de son passé. Anne-Cécile Moser propose une mise en scène du conte musical d’Anne Sylvestre où les personnages gardent un style simple et direct. Le spectacle se compose de brefs numéros de cirque, lors desquels chaque personnage peut prendre la parole et raconter sa propre histoire au public. Ils permettent d’aborder des thématiques comme l’abandon, le rejet, l’écologie ou la quête d’identité, en gardant un aspect tant ludique que poétique.

Le cirque du vent est composé de personnages tous plus originaux les uns que les autres. Chacun est porteur d’un nom poétique et métaphorique : Aïmondo, le directeur de la troupe, qui mélange l’ordre des mots en parlant et qui ne pense qu’au travail ; sa fille adoptive Lala, qu’il voit comme un petit oiseau dansant ; Toumiel, l’ours en peluche de Lala qui veut seulement la protéger et trouver des ruches ; Bonzaï, toute petite jongleuse ; Cholaho, l’acrobate très grand ; Lagratte, qui mène tout ce petit monde en musique.

Lorsqu’ils arrivent à Saint-Ziquet-sur-Gadouille, ils sont bien embêtés de constater qu’il fait affreusement chaud et qu’il ne semble pas y avoir la moindre trace de pluie. C’est à celui qui parviendra à amener l’orage dans le village ! Lala, qui ne parle pas mais danse tout le temps, a la particularité d’amener le soleil lorsqu’elle est heureuse et la pluie quand elle pleure. Aïmondo y voit une occasion d’amener la pluie et de relancer le prestige de son cirque. La tristesse de Lala va cependant questionner Flonflon, postière toujours pressée du village, ayant perdu sa petite fille qui amenait la pluie et son ours en peluche il y a plusieurs années. Et si Lala était son « petit pruneau » perdu ?

Le spectacle mis en scène par Anne-Cécile Moser a la particularité de révéler des enjeux aux spectateurs de différentes manières, selon leur âge. Les plus petits seront sans doute fascinés par l’univers vivant du cirque, avec des personnages courant dans tous les sens, dansant, chantant et jouant avec les objets qui les entourent. Il y a des cordes auxquelles les personnages se balancent, des planches colorées au sol pour que Lala (Kim Sélamet, championne du monde de claquettes en 2015) danse, une malle avec des loupiottes et des marionnettes. Les interventions des personnages sous la forme de numéros de cirque amènent du dynamisme au spectacle. À la manière d’une comédie musicale, ces prestations sont entrecoupées d’interludes musicaux qui apportent une nouvelle dimension aux histoires racontées. Aussi l’histoire de Flonflon peut-elle se raconter de manière kaléidoscopique, par sa propre voix, par des marionnettes ou par les autres personnages qui chantent la perte de son mari et de son bébé.

Ces différents procédés scéniques, qui offrent plusieurs moyens de compréhension, se retrouvent à chaque fois que l’un des personnages raconte les casseroles qu’il trimballe : Bonzaï, chassée de son village car trop petite ; Cholaho, trop grand pour tout le monde ; Lala et Flonflon, qui subissent l’abandon et la perte d’un être cher ; Toumiel, symbole de l’enfance, qui n’amuse plus Lala à la fin de l’histoire car elle a grandi ; Aïmondo, qui ne veut pas blesser Lala mais pense malgré tout à l’argent que la pluie lui rapporterait.

Le choix d’une mise en scène ludique d’un conte pour enfant fonctionne très bien avec la succession de scènes vivantes et rapides. Les paroles des personnages contribuent à créer un univers enfantin, avec beaucoup de mots inventés, des métaphores et des répétitions. Toutes ces spécificités amènent une forme de mise à distance, voire un détachement presque humoristique par rapport à la dimension tragique de l’histoire racontée. Pourtant, les différents enjeux suscités donnent aussi une grande profondeur à ce spectacle plein de sensibilité. En alternant narration et interludes musicaux, univers coloré et émotions, Lala et le cirque du vent propose un moyen extrêmement original pour questionner des enfants sur des enjeux importants, tout en les amusant et en leur créant un doux souvenir.

11 décembre 2024


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