Hercule
Mise en scène par Giulia Rumasuglia / D’après Friedrich Dürrenmatt / Théâtre de Vidy (Lausanne) / Du 6 au 23 novembre 2024 / Critiques par Auxane Bolanz et Loris Ferrari .
De multiples rôles pour une comédienne
7 novembre 2024
Par Auxane Bolanz
Soixante ans après que Charles Apothéloz ait mis en scène la pièce de Dürrenmatt pour l’Expo64, Giulia Rumasuglia adapte librement le texte pour créer un seule en scène. Le spectacle est porté par la comédienne Lisa Veyrier, qui incarne les quinze rôles originaux dans un tourbillon où les personnages finissent par se confondre dans leurs inutiles efforts pour changer une situation critique où le purin envahit tout.
Au milieu du plateau par ailleurs presque vide et noir, il y a une grande boite en bois sur roulettes, et trois penderies jointes pour former une sorte de tourniquet. C’est dans cette scénographie apparemment simple que va évoluer la comédienne Lisa Veyrier pour nous présenter Hercule. Dans la mythologie, le cinquième travail du héros est de nettoyer les écuries d’Augias. Ici Hercule est présenté comme un héros sans le sous qui a besoin de travail pour se payer des poètes chantant son histoire : il se produit donc dans un cirque puis accepte de nettoyer le purin de l’Elide. Mais alors qu’il prévoit de détourner deux fleuves pour mener à bien cette tâche, la multiplication de procédures administratives qui remettent en question le désempurinage l’empêche d’accomplir son travail. Les espaces créés par les penderies représentent trois lieux différents : le cirque, la campagne d’Elide, et la ville d’où vient Hercule.
Lisa Veyrier, seule en scène, passe d’un costume à l’autre et fait tourner le décor pour que les personnages qu’elle incarne prennent la parole dans ces différents univers. Mais ce cadre qui donne une certaine cohérence à l’action se défait peu à peu et les éléments se mélangent au fur et à mesure que l’histoire se développe. Le déroulement du spectacle s’aligne sur le propos pour exprimer la confusion et l’embourbement administratif qui empêchent Hercule de faire son travail et qui tournent en rond, alors que visuellement aussi le décor tourne en rond, poussé par la comédienne qui ne porte plus un unique costume, mais plusieurs éléments de costumes les uns par-dessus les autres. Les espaces scéniques finissent eux aussi par se mélanger, comme les voix des personnages dont les paroles deviennent redondantes. Et puis tout s’arrête, comme une pause dans le tourbillon des questions politiques mises en jeu par la thématique du désempurinage, avec une suite de poses évoquant de paradoxales statues à la gloire d’Hercule.
7 novembre 2024
Par Auxane Bolanz
Le carrousel de la politique
7 novembre 2024
Par Loris Ferrari
Le spectacle de Giulia Rumasuglia présenté au Théâtre de Vidy est une adaptation de la pièce radiophonique Hercule et les écuries d’Augias de Friedrich Dürrenmatt, dans une nouvelle traduction de Camille Logoz, qui donne une voix plus actuelle au texte, déclamé par Lisa Veyrier. Une politique et des lieux qui tournent en rond, une héroïsation de la masculinité tournée en dérision et un Hercule à la présence ambiguë, le tout dans une atmosphère de fête foraine.
Dans la mythologie d’Hercule, les écuries d’Augias, roi de l’Élide qui possède un immense troupeau de bétail, sont envahies de purin car elles ne sont jamais nettoyées. L’odeur est infecte et insupportable. Augias fait appel au grand héros qui, avec sa force surhumaine, détourne le fleuve Alphée et nettoie les écuries. Chez Dürrenmatt, comme dans le spectacle de Giulia Rumasuglia, ce n’est plus une simple écurie, c’est le pays entier qui est envahi par le purin, du sol jusqu’aux toits des maisons : ça pue, c’est insupportable, rien ne va plus et personne ne sait quoi faire. Augias, président du pays, décide de faire appel à Hercule. Mais la tâche s’avère compliquée. Augias lui-même a des réticences : Hercule ne risque-t-il pas de devenir le héros national de l’Élide ? La question du « désempurinage » est en outre débattue par le grand conseil de l’Élide, qui crée commissions après commissions, sous-commissions après sous-commissions et super-commissions après super-commissions : celles-ci tournent en rond telles un carrousel. Est-il finalement si souhaitable de nettoyer l’Élide ? Cela va-t-il avoir des conséquences ? N’est-ce pas mieux de laisser les choses comme elles sont ? Pendant ce temps, Hercule amuse la galerie, attendant en vain l’accord pour détourner le fleuve Alphée.
Nous voilà transportés dans une Élide très suisse, avec de grands pâturages. Le spectacle commence au son des cloches de vaches et de la musique campagnarde. Le décor, d’apparence simple, est sur roulette et peut tourner sur place. Il délimite trois espaces, à côté desquels se trouve une grande boîte. Le premier espace est composé d’un grand rideau noir. Lisa Veyrier en sort comme une présentatrice de cabaret ou un forain, pour souhaiter la bienvenue, avant de se changer pour enfiler une tenue de vacher. Le décor tourne, voilà une étable, Augias qui parle, des cloches symbolisant les membres de l’administration. Dans le troisième espace, des tissus sont suspendus : c’est celui de Déjanire, la femme d’Hercule. Lisa Veyrier incarne les voix du conseil, mime Hercule poussant un rocher en attendant d’être autorisé à faire autre chose. Les voix deviennent plus fortes, le décor tourne de plus en plus vite à mesure que Lisa Veyrier annonce le poids du rocher qui devient de plus en plus lourd, encore et encore. Cela révèle le grotesque qui voudrait qu’une figure stéréotypée de la masculinité puisse régler tous les problèmes politiques. La fin, dans laquelle Lisa Veyrier devient Hercule et expose ses muscles dans des poses suggestives, vient tourner en dérision tout le discours politique du grand conseil. La critique de la politique suisse qui sous-tendait la pièce de Dürrenmatt se rèvèle encore d’actualité et vient questionner le fonctionnement des institutions contemporaines. L’image du carrousel est très parlante pour évoquer la politique : en effet, celle-ci nous emporte dans une ronde avec des variations et une musique douce. Mais lorsque le manège s’arrête, le retour à la réalité est dur : quelque chose a changé ? Non, rien ! Il y a toujours du « purin » qui s’accumule et dont il semble impossible de se débarrasser. Le spectacle est critique avec cette situation et esquisse un rayon d’espoir vers un meilleur horizon politique.
7 novembre 2024
Par Loris Ferrari