Les Diablogues
Texte par par Roland Dubillard / mise en scène par Jean Liermier / Théâtre du Passage (Neuchâtel) / du 6 au 9 juin 2024 / Théâtre de Carouge (Genève) / du 12 au 27 juin / critiques par Noëlie Jeannerat et Joaquin Mariné Piñero .
En absurdie
11 juin 2024
Par Noëlie Jeannerat
Un ping-pong verbal entre amis, une série de conversations qui naviguent entre l’absurde et la banalité : dans un vieux cabaret abandonné, les complices Robert Bouvier et Matteo Zimmermann, sous la direction de Jean Liermier, nous entraînent dans le tourbillon des mots et réflexions humoristiques de Roland Dubillard.
Un fond blanc sur lequel le public peut lire, en caractères rouges, « Les Diablogues » attire l’attention. Un haut de gramophone, annonçant les bavardages surréalistes à venir, annonce la couleur avec élégance. Des néons orangés, ajoutant une touche d’éclat à l’atmosphère du cabaret, et de vieux rideaux grenat encadrent la scène, évoquant le charme suranné des théâtres d’antan.
Présenté sur une scène en plein air montée pour l’occasion, le spectacle offre une expérience unique et gratuite où le public est invité à partager un moment de découverte et de convivialité, même sous un ciel menaçant. Des gouttes, il en est question sur scène aussi : « Le compte- gouttes, lui, il ne compte rien du tout, c’est ce que j’appelle un pousse- gouttes ». Un débat sur le bien-fondé de l’appellation donnée à cet ustensile devient le lieu d’un détour saugrenu par les lois de l’arithmétique.
Les dix sketchs se succèdent de manière fluide, dans un rythme dynamique, qui captive du début à la fin. La transition se fait par des baissers et levers de rideau. Une toile noire en arrière-scène s’écarte parfois afin de faire entrer les objets, une table basse ou un mégascope, par exemple. La complicité des deux comédiens est palpable sur scène. Robert Bouvier, actuel directeur du Théâtre du Passage et Matteo Zimmermann, comédien diplômé au Conservatoire d’Art
Dramatique de Genève en 1999, incarnent avec brio les personnages décalés et attachants imaginés par Roland Dubillard. La mise en scène de Jean Liermier, directeur du Théâtre de Carouge depuis 2008, est simple mais efficace, créant un espace où l’absurde et la poésie s’entremêlent harmonieusement. De subtils effets sonores et visuels (petits bruits d’explosion suivis d’un nuage de fumée) permettent également de redonner vie à ces sketchs initialement radiophoniques, créés à partir des années 1950 et mis en recueil en 1975.
Si on reste un peu sur sa faim dans les chutes de certaines saynètes, dont le texte manque de punch et d’effet de surprise, le spectacle ne nous plonge pas moins dans un univers décalé où chaque phrase semble être une invitation à la réflexion et à l’éclat de rire. Dans des échanges passionnés donnant la part belle aux jeux de mots pétillants, les deux acolytes discutent de tout et de rien, mais surtout de rien, avec une facilité déconcertante. « Du moment que nous on n’est pas sourds », concluent-ils joyeusement après avoir évoqué la surdité de Beethoven. Une autre saynète ironise sur la fragilité du système de santé : comme l’ont fait ses homologues avant lui, un « spécialiste des maladies » se débarrasse de son patient en l’envoyant consulter d’autres médecins.
Cette production du Théâtre de Carouge en collaboration avec la Cie du Passage de Neuchâtel est une ode à la créativité, offrant un spectacle rafraîchissant et divertissant qui a rassemblé toutes les générations sous le ciel neuchâtelois du Jardin anglais avant une tournée dans divers lieux du canton de Genève.
11 juin 2024
Par Noëlie Jeannerat
Des sketchs sur tréteaux ou la proposition d’un spectacle ouvert
26 juin 2024
Oyez, Oyez ! Du 6 au 9 juin 2024, le jardin anglais de Neuchâtel accueille un théâtre de tréteaux. Genève prolonge l’aventure du 12 au 27 juin. La tournée se conclut sur le littoral neuchâtelois en septembre. Que vous soyez ou non habitué·es des scènes burlesques, ce spectacle en plein air, vintage dans le propos comme dans la scénographie, viendra vous cueillir dans une forme légère et accessible.
Nous sommes dehors. Malgré les pluies menaçantes, la représentation a été maintenue. Le « vieux cabaret abandonné » (selon les termes de la feuille de salle) a en fait gardé un aspect tout à fait convenable. Un gramophone descend du plafond et une voix entame un prologue surprenant : des élucubrations fondées sur des jeux de mots sur les thèmes de la musique ou de la scène, notamment. Se suivront dix scènes des Diablogues de Roland Dubillard. En plein parc, l’entrée étant gratuite, chaque promeneur·euse peut s’arrêter et contempler la scène du « camion-théâtre » entourée des emblématiques ampoules et rideaux rouges des cabarets. Le Théâtre du Passage propose cet été (et comme chaque année) un spectacle « hors les murs pour le public des communes de son Syndicat intercommunal », mais cette fois-ci en collaboration avec le Théâtre de Carouge.
L’œil, déjà attiré par cette scène déplacée dans ce lieu inhabituel, peut aussi s’arrêter sur les belles inventions d’antan. Du gramophone à la radio d’avant en passant par un projecteur des premiers temps, les objets exhibés nous amènent dans une temporalité presque nostalgique.
Le plateau vivant évolue constamment d’une scène à l’autre dans une scénographie épurée et pourtant homogène. Les rideaux s’adaptent à chaque étape. Par exemple, ils s’abaissent en avant-scène lors du deuxième sketch. Ils créent ainsi une sorte de petite façade d’un mètre de haut masquant le bas des corps pendant cette séquence de tennis de table vocal.
Le propos est également adapté pour attirer les passant·es. Robert Bouvier et Matteo Zimmermann enchaînent les scènes brèves sans nommer leur personnage ou le situer précisément ; tout se comprend sans connaissances préalables des tableaux précédents. Les textes – initialement des sketchs radiophoniques, mis en recueil dans un second temps – répondent à des codes de l’information radiophonique. Une fois la radio allumée, les chroniques doivent pouvoir être suivies aisément et rythmées pour captiver l’attention.
De la musiques marque ici les transitions entre les différentes séquences de jeu. Ces mélodies permettent aussi d’interpeller les personnes déambulant par un heureux hasard à ce moment-là dans le parc et, ainsi, de les inviter à rester.
Par ailleurs, même de loin, la lisibilité des scènes est facilitée par des costumes élégants et des visages maquillés accentuant les expressions. Une fois le·a spectateur·ice arrêté·e, iel peut écouter « [c]es mots [qui] vont vite, fusent avec humour, légèreté et […] surréalisme ». Ces « sketchs » cherchent le sourire d’un public qui semble conquis par les jeux de mots et autres calembours. Match de ping pong sonore, mariage (dont un public actuel pourra trouver le traitement un peu dépassé) ou encore altercation sur la logique du compte-goutte ; diverses thématiques se succèdent pendant l’heure et quart de cette représentation dont le but est clairement affiché : proposer un spectacle léger de « qualité, populaire et festif ».
Si d’aventure, pendant la saison estivale, vous vous promenez à Genève ou sur la riviera neuchâteloise aux abords d’un théâtre de tréteaux et qu’il fait gris, ne vous en faites pas, Les Diablogues ont tout prévu : la fin du spectacle s’accordera à tout temps, surtout à une pluie battante.
26 juin 2024