Dégueu
Pièce d’Antoine Courvoisier / Compte rendu par Anna Chialva.
Deux lundis par mois, pendant l’été, Le Courrier publie le texte inédit (extrait) d’un·e auteur·e de théâtre suisse ou résidant en Suisse. L’Atelier critique a eu accès à la version intégrale de ces oeuvres et en propose aujourd’hui un compte rendu, assortie d’un entretien avec leurs auteur·e·s.
Voir aussi l’Entretien avec Antoine Courvoisier autour de la pièce Dégueu (2023)
Bienvenue au cours d’« Histoire de la vie » !
15 mai 2024
Par Anna Chialva
Est-ce que vous aimez quand c’est dégueu ? Qu’est-ce qui est dégueu ? La nature, les mots qu’on emploie pour parler de la nature, l’humain, son fonctionnement, la vie ?
Après avoir abordé la sexualité en 2019 dans une représentation pour public adulte (Dukudukuduku), Antoine Courvoisier – en collaboration avec la Cie Mokett et le Théatre Am Stram Gram de Genève – signe Dégueu, une « version enfants » revisitée. Représentée au théâtre genevois en automne 2023, la pièceapparait sur scène au moment où plusieurs mouvements en Europe s’opposent avec virulence à l’éducation sexuelle dans les écoles. Ici, l’actualité n’est pas seulement un fait extrinsèque, mais elle est constitutive de la pièce elle-même. Le sujet sexuel devient en effet un terrain propice pour introduire sur scène les thèmes de la fécondation in vitro, les mouvements woke et transgender et interroger la réception, l’expérience et la transmission de l’information.
S’adressant à un public jeune (dès l’âge de 9 ans), la pièce ne se dérobe pas à la dimension d’apprentissage scolaire, mais la saisit sous un angle différent, plus comique et décontracté. Les chansons et les gags contribuent à cette émancipation formelle du sujet sexuel, tout en conservant la précision scientifique nécessaire. Le lexique scientifique, employé pour décrire les parties anatomiques, dialogue avec un lexique moins formel, avec des expressions du jargon jeune ou des images plus adaptées à l’âge du public concerné.
La forme choisie est celle d’une leçon d’éducation sexuelle dispensée dans un théâtre à des classes scolaires. Ces élèves deviennent immédiatement auditeurs d’un cours donné par une « dame de la vie » qui transforme la scène en salle de classe. Le cours d’« histoire de la vie » n’a pas comme sujet uniquement la sexualité humaine, mais toute sexualité et toute singularité vivante, c’est-à-dire tout ce qui a trait à un être vivant : de l’anatomie à la vie communautaire, des valeurs sociales et culturelles, aux affections et à l’amour. La dimension historique, culturelle et mythologique des grands récits occidentaux de genèse est toujours complétée par une explication scientifique : le logo de la Clusaz, par exemple, représentant un bélier stylisé, rappelle à la fois l’appareil génital masculin et l’appareil génital féminin, biais génial pour parler d’anatomie aux enfants.
La pièce s’organise en quatre parties où la leçon traditionnelle initiale se transforme au fur et à mesure en théâtre pur : des pièces jouées par les personnages eux-mêmes – La Cigogne, Adam et Ève et l’Épopée gigantesque – sont introduites par une didascalie « Bam ! Théâtre à fond », qui instaure d’emblée une dimension métathéâtrale, ayant une perspective ludique et pédagogique. Le but est d’aider les enfants à distinguer plus facilement un rapport sexuel sain d’un abus ou d’une vidéo pornographique, ainsi que de mieux connaître la sexualité humaine, sans renoncer ni à la précision scientifique ni au plaisir du théâtre. L’acte de « faire l’amour » sera ainsi abordé de manière plus détendue et amusante dans une épopée gigantesque entre spermatozoïdes et ovules que par un témoignage ou un dessin.
Dégueu interroge la genèse scientifique d’un être vivant sans imposer ni une idéologie ni une thèse, mais en étant toujours très fidèle à la science et respectueuse des choix personnels : les différents dialogues entre les personnages proposent des réponses sur la base de connaissances et expériences individuelles ; les scènes métathéâtrales permettent de rendre visible ce qui est invisible à l’œil nu et de le montrer sur scène dans un but pédagogique ; les chansons participent à la dimension ludique.
C’est en effet, tout en contribuant à la transmission des valeurs de respect et bienveillance envers la personne aimée que la pièce se termine sur une chanson résumant bien le « cours » donné ainsi que son message : la science est bien utile pour explorer la vie, mais la vie ne peut pas être réduite à la science, il faut la vivre pour la connaître, mais la vivre en lui rendant honneur !
Et voici le détail des prochaines représentations :
Am Stram Gram (Genève) : 14 au 30 mars 2025
Equilibre-Nuithonie (Fribourg) : 5-6 avril 2025
Grand-Champ (Gland) : 11-12 avril 2025
La Grenouille (Bienne) : 27-29 avril 2025
L’Arande (St-Julien-en-Genevois) : 13 mai 2025
Benno Besson (Yverdon) : 26-27 mai 2025
15 mai 2024
Par Anna Chialva