Par Emma Chapatte
Une critique sur le spectacle :
Ars Nova / Compagnie La Filiale Fantôme / Conception de Romain Daroles / Maison Saint-Gervais / du 5 au 10 mars 2024 / Plus d’infos.
En écho à son spectacle Vita Nova, monté en 2018, La Filiale Fantôme présente aujourd’hui Ars Nova à la Maison Saint-Gervais. Conceptualisé par Romain Daroles, génial comédien de Phèdre ! de François Gremaud en 2022, cette dernière création nous embarque dans un univers postapocalyptique à la recherche des traces sonores de notre monde.
Le décor est à la croisée d’un film de science-fiction et d’un dessin animé : sur un plateau où cohabitent pompe à vent vétuste, cratère et monticules de cailloux façon planète inhospitalière, une tente en toile, illuminée de l’intérieur, abrite quatre chercheurs. Munis d’outils scientifiques apparemment très pointus et vêtus de combinaisons de laboratoire blanches, ils passent la scène au peigne fin, manifestement à la recherche d’un son dont ils ont déjà réussi à enregistrer un bref extrait qu’ils se repassent en boucle : les quelques notes ponctuant le fameux air de Papageno dans La Flûte enchantée de Mozart, Der Vogelfanger bin ich ja.
Sans jamais prononcer un mot, ces quatre personnages évoluent lentement sur scène, sondent, creusent, testent, espèrent avoir trouvé et recommencent encore et encore. Jusqu’au moment où, finalement, ils découvrent un peu malgré eux ce qu’ils ont tant cherché : sous leurs yeux ébahis, ils assistent à une sorte d’explosion jaillissant du cratère, dans lequel bouillonne du magma, matérialisé par un liquide fumant : c’est l’opéra, cet Ars Nova qu’ils avaient tant cherché.
L’idée de concevoir l’opéra comme une matière tangible qu’il est possible de déterrer au sens propre – non pas les partitions mais bien les notes de musique elles-mêmes – est malicieuse. De la même manière que nos sociétés modernes et contemporaines sont fascinées par des éclats de mosaïques romaines en ce qu’ils sont les témoins de cultures antérieures révolues, ces chercheurs d’un futur fantasmé sont subjugués par les morceaux d’art lyrique qu’ils découvrent. Le public se retrouve alors dans la position ambiguë de devoir effectuer l’archéologie de son propre présent, pour reprendre l’expression de Romain Daroles : les opéras sont-ils ce à quoi les générations à venir associeront les cultures occidentales ? Si oui, en est-ce un reflet fidèle ? Plus largement, la question posée ici avec humour est celle de notre rapport à l’art lyrique – et par extension peut-être même à la musique en général et aux liens que ces formes artistiques entretiennent avec nos sociétés.
Jouant habilement avec une distorsion de la temporalité – chaque action prend du temps – Ars Nova construit une parenthèse théâtrale décalée et ludique, renforcée par le jeu aux allures de mimes des comédiens qui accentuent leurs expressions faciales et leurs mouvements. Si de prime abord cette lenteur assumée peut déstabiliser le public voire freiner son adhésion au propos, elle se révèle rapidement efficace et drôle, en ce qu’elle permet de laisser la place à la musique et aux questionnements soulevés par la réaction que celle-ci provoque.