Par Noëlie Jeannerat
Une critique sur le spectacle :
La Promenade / Conception et jeu Alain Borek et Odile Cantero / Musique de Albert Chinet / Le Pommier (Neuchâtel) / le 7 mars 2024 / Plus d’infos.
L’improvisation est une forme théâtrale audacieuse dont Alain Borek et Odile Cantero maîtrisent les codes à la perfection. Sur fond musical orchestré par Albert Chinet, les deux artistes placent précisément un décor imaginaire avant de s’adonner à un exercice aussi périlleux que jubilatoire : improviser des séquences de vie en se promenant… dans un hôpital !
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il faut en trouver un. Ici, ce sont les spectateurs qui le déterminent et sur ce coup, c’est la maternité d’un hôpital qui est choisie. En impro, c’est la règle ! Le public s’apprête à assister à une série de dialogues dont personne dans la salle, comédiens compris, ne connaît encore le contenu.
« Le couloir est long et blanc. Le sol est parfaitement propre. On dirait du lino. Le lino est lavé. Il sent la javel. Au bout du couloir, il y a une table blanche. […] Sur la table blanche, un cookie. Le cookie est à moitié mangé. Il repose dans un petit sachet en plastique. À côté du cookie dans son sachet en plastique, il y a une tasse de thé à la camomille. C’est un thé sans théine. » Un court ajout sur la couleur, la forme ou l’odeur spécifique d’un objet en appelle un autre. Grâce aux éléments successivement amenés par Alain puis Odile, un décor se dresse presque magiquement sous les yeux, ou plutôt sous les oreilles du public. Les deux comédiens sont vêtus de noir et assis sur de hauts tabourets. Tous deux s’appliquent presque exclusivement à une performance vocale. Les mains posées sur leurs cuisses, ils ne jouent pas physiquement leurs brèves séquences de vie mais les improvisent avec concentration dans un micro placé devant eux. Un musicien, Albert, les accompagne à la basse et au piano. Le fond musical instaure une ambiance envoûtante autour des personnages sortis tout droit de l’imaginaire spontanément co-construit par Alain et Odile.
Il y a quelque chose d’émouvant dans ces bribes de vie volées au hasard d’une promenade dans un hôpital. Une grand-mère un peu bourrue s’impatiente du comportement de sa petite-fille hypocondriaque qui préfère rester prudemment couchée à l’arrière de cette voiture mauve garée sur le parking. Sur le toit de l’hôpital, accoudés à leur hélicoptère rouge, deux sauveteurs de la REGA au crâne dégarni discutent de la belle mort de l’oncle de l’un des deux. Une infirmière, bien pâlotte, se confie à son collègue qui ne cache pas son enthousiasme lorsqu’elle lui parle de ses nausées matinales… En l’espace d’une heure, huit personnages aux trajectoires de vie cocasses et aux dynamiques relationnelles tout aussi différentes les unes que les autres se succèdent devant des spectateurs conquis par ce cocktail sobrement explosif.
Du 6 au 10 mars, Le Pommier – Théâtre-Centre Culturel Neuchâtelois – a donné carte blanche à Alain Borek, qui a invité pour l’occasion son amie à se joindre à lui sur scène. La complicité et l’expérience d’Alain et Odile, qui font régulièrement des spectacles d’improvisation ensemble, permettent de créer des relations cohérentes et vivantes entre les deux nouveaux personnages de chaque saynète. Les deux compères réussissent à maintenir l’équilibre en avançant dans les dialogues tout en prenant garde de rester dans le cadre (l’hôpital). Ils font habilement ressortir de leurs personnages des traits de caractère, des habitudes, des discours issus d’un terreau culturel commun à tous ceux qui sont présents dans la salle. La puissance comique réside dans cette capacité des artistes à rebondir sur ce qui est amené par l’autre.
Albert, le musicien, s’applique à maintenir une ambiance sonore harmonieusement improvisée elle aussi. À la fin de chaque séquence, il chante deux ou trois phrases résumant le dialogue qui vient de se terminer. La dynamique clairement établie par les trois artistes, notamment grâce à ces instants de respiration entre deux improvisations, offre au spectacle un rythme stable et fluide. Le trio sait surprendre son public par une verve précise et simple. L’artifice s’efface au profit d’une création canalisée et spontanée dont l’effet humoristique est redoutable.