Une critique sur le spectacle :
La Voie de l’Impératrice / Texte et mise en scène de Joséphine de Weck / Compagnie Opus 89 / Oriental-Vevey / du 17 au 19 novembre 2023 / Plus d’infos.
Joséphine de Weck, fondatrice de la compagnie de théâtre fribourgeoise Opus 89, propose un spectacle dans lequel sept femmes se retrouvent au cœur d’un désert intemporel. Comme lors de sa mise en scène de La Ballade du Mouton Noir, la créatrice invite les spectateurs à se questionner sur des notions d’identité et de liberté. Le spectacle cherche, semble-t-il, à porter un propos universel, mais lisse peut-être trop fortement la singularité de l’expérience intime.
Sept femmes sur scène dont on ne sait rien. Toutes costumées de façons très différentes (costard, jupe, training, tablier, perruques, etc.), elles ne semblent rien partager. Elles ont néanmoins en commun d’avoir toutes reçu la même lettre. Une lettre de leurs grand-mères respectives leur disant d’aller dans le « désert de l’étoile », lorsqu’elles ne sauront plus quoi faire. Elles se retrouvent toutes dans ce désert, évoqué par du sable orangé répandu sur le sol de la scène. Mis à part ce sable, il n’y a que deux éléments : un banc sur lequel les femmes s’assoient de temps en temps et une table avec deux chaises et une théière qui serviront à rejouer un épisode de l’histoire de la grand-mère. À partir de leur première rencontre, un dialogue étrange s’installe : les sept femmes ne se connaissent pas et semblent chercher ensemble quelque chose, mais sans savoir vraiment quoi. Les spectateurs, eux aussi, ne comprennent pas très bien ce que ces femmes font là : s’ils ont pu lire, avant le spectacle, la lettre qu’ont écrite les grand-mères à leurs petites-filles – distribuée lors de l’achat des billets –, ils peuvent être rapidement perdus par l’insaisissabilité des personnages de la pièce. Évoquant et décrivant des histoires similaires quant à leurs grand-mères respectives, il est difficile de comprendre le point de vue de ces femmes : possèdent-elles chacune une histoire singulière ou leurs histoires se confondent-elles ?
Il n’est alors pas évident de comprendre ce que le spectacle souhaite communiquer. Il semble qu’il cherche à faire voir l’universalité des expériences et des doutes intimes des différentes femmes. Chacune d’elles possède effectivement son histoire singulière, à laquelle nous avons accès par quelques bribes d’histoires narrées par les protagonistes durant le spectacle. On apprend, par exemple, que l’une des femmes a fait des études et s’est ensuite lancée dans une carrière qu’elle a décidé d’arrêter, se sentant « broyée par une machine inarrêtable ». Mais les histoires singulières évoquées semblent être plutôt à visée métaphorique, ne donnant que peu de détails concrets. De plus, le groupe fonctionne souvent comme s’il n’était qu’un seul point de vue, ou du moins comme si les frontières entre les identités singulières des différentes femmes n’étaient volontairement pas claires. Plusieurs scènes sont à ce propos signifiantes : les sept femmes, lors de pauses dans l’action, marchent ensemble ou dansent ensemble. Ces moments font des différentes femmes un seul et même groupe, voire individu, renforçant le caractère partagé de leurs histoires respectives. Cette insistance sur la dimension universelle des histoires vécues de ces femmes fait des protagonistes des figures peu caractérisées qui représentent plus généralement la femme en tant qu’elle est empêchée par les attentes des autres et de soi-même. De fait, la singularité des différentes femmes perd en consistance et chacune se fond dans cette mise en commun.
Par ailleurs, l’accent sur l’universel est également tangible dans la volonté forte d’intégrer les spectateurs et de les guider dans leur lecture du spectacle. Certains procédés brisent le quatrième mur : une des comédiennes entre sur scène depuis le public, une autre comédienne s’adresse directement au public. D’autres scènes sont quant à elles très cathartiques et semblent vouloir faire ressentir aux spectateurs des émotions très fortes et ciblées : une des femmes hurle son désarroi, une lumière l’éclairant de dos, la laissant visible en tant que silhouette ; à un autre moment, les femmes dansent ensemble de façon très expressive, réinvestissant une chanson que chantaient leurs grand-mères, partageant un sentiment d’émancipation. Entre ces éléments très guidés et l’incertitude quant à la place des protagonistes, le spectacle est difficile à interpréter : veut-il proposer une réflexion politique sur la condition des femmes ? Raconte-t-il une fable qui met en jeu les questions existentielles du rapport qu’entretient chacun à son histoire ? Transmet-il un regard sur les liens entre les différentes générations ?
À vouloir universaliser de façon très prononcée ces enjeux, les histoires des femmes présentes sur scène, ainsi que celles de leurs grand-mères auxquelles on a accès par fragments, prennent une forme quelque peu caricaturale et réductrice qui ne rend peut-être pas suffisamment compte de la dimension singulière de chacune des histoires. C’est un peu comme si le spectacle ne faisait pas assez confiance aux spectateurs ou au caractère commun déjà présent dans les expériences singulières, sur-affirmant alors, par divers procédés, la dimension universelle des histoires racontées, perdant par là en simplicité et en authenticité.