Par Théo Krebs
Une critique sur le spectacle :
Paule et Luce / Texte de Manon Fargetton / Adaptation et mise en scène de Sylviane Tille et de la Compagnie de l’Étrangeté / Théâtre Equilibre-Nuithonie à Fribourg / du 27 septembre au 8 octobre 2023 / Plus d’infos.
Après Amélie Mélo, spectacle pour enfant créé en 2022 qui traitait déjà de la manière dont les gens entretiennent des liens entre eux, Sylviane Tille et la Compagnie de l’Étrangeté reviennent à Nuithonie avec une nouvelle création destinée au jeune public. Adapté du roman de Manon Fargetton, À quoi rêvent les étoiles, Paule et Luce parle de l’adolescence et de la difficulté à trouver sa place dans le monde.
Paule est une adolescente de quatorze ans qui ne sort plus de sa chambre et passe ses journées sur les réseaux sociaux et à jouer aux jeux vidéo. Luce est une femme âgée de 82 ans qui, depuis la mort de son mari deux ans auparavant, ne parvient plus à sortir de chez elle si ce n’est pour aller faire des courses. Toutes les deux ne peuvent plus supporter le bruit du monde, que l’on entend tout de même malgré leur isolement, à travers le portable de Paule et la radio de Luce. Les premières scènes de la pièce se suivent à toute vitesse : l’appartement de Luce et la chambre de Paule se partagent la scène séparée en deux espaces hétérogènes. La lumière se fait successivement d’une partie à l’autre du plateau selon l’endroit où se déroule la scène, permettant de passer aisément et rapidement d’un espace à l’autre en évitant les changements de décor. Les répliques s’enchaînent à très haut volume et presque sans interruption, sans pour autant que le public ne se sente perdu. Les spectateurs se retrouvent ainsi plongés eux aussi dans ce vacarme appuyé par les transitions musicales entre chaque scène.
Le rythme se calme finalement lorsque Luce, décidée à en finir, envoie un message à l’adresse de Lucien, son mari décédé. Mais son numéro de téléphone a été réattribué à Paule qui décide de se faire passer pour Lucien afin de sauver la vieille dame. À travers cette correspondance, la vieille femme et la jeune fille vont se changer l’une et l’autre et reprendre contact avec le monde. La chambre de Paule et l’appartement de Luce jusqu’alors imperméables l’un à l’autre sont désormais reliés par les messages qu’elles s’envoient, affichés sur deux écrans qui figurent les murs de leurs chambres. Ces écrans sont le seul élément de la scénographie, au demeurant assez simple et abstraite, qui varie au fil de la pièce. Les écrans affichent tantôt les murs de la chambre de Paule, tantôt ceux de la maison de Luce ; puis un écran de jeux vidéo se retrouve projeté, et les rues de Lausanne se déroulent devant nous après une transition animée à la fois un peu kitsch et poétique dans la manière qu’elle a de superposer en deux dimensions des éléments hétérogènes comme quelque calamar mêlé à des voitures.
Ce charme désuet se retrouve dans la caractérisation des personnages, un peu caricaturaux. Lylou-Mélodie Guiselin, qui joue Paule, dépeint une adolescente en rébellion contre son père autoritaire, joué par Vincent Rime qu’on adorera détester. Pascale Güdel passe d’un rôle à l’autre, incarnant parfois la petite sœur de Paule, « crevette », s’émerveillant sur l’animation d’un poulpe sur un écran ; et parfois son grand frère, jeune homme un peu blasé. Enfin, Céline Cesa interprète une Luce à la fois touchante et comique : d’un côté, triste petite vieille de 82 ans à qui manque son mari, mais qui, d’un autre côté, ne sait pas faire d’espace lorsqu’elle écrit un message. Cette simplicité dans la caractérisation des personnages permet de comprendre assez vite vers où la pièce se dirige. Il y a cependant une certaine satisfaction à voir ces lieux communs se dérouler devant nos yeux.
Cette satisfaction est liée à la positivité générale qui transparait tout au long du spectacle. Sylviane Tille se risque même à proposer une solution aux angoisses de Paule, sans pour autant nier le sérieux de ces dernières. Grâce à la relation entre Paule et Luce qui traverse la pièce, on comprend comment elles peuvent ensemble surmonter leur crise existentielle. Chacune d’entre elles réussit à redonner un sens à l’existence de l’autre. Paule parvient à rendre le sourire à Luce en lui faisant se rappeler de ce qu’elle avait accompli avant de se retirer du monde. Luce fait comprendre à Paule que c’est de cette manière qu’on le supporte : en trouvant ce que l’on veut y faire et ce que l’on peut y être.