Par Sylvain Grangier
Une critique sur le spectacle :
Booom ! / Une création collective avec Luxxx, Isabelle Vesseron, Carolina Varela, Adrien Rupp, Michael Scheuplein / Théâtre de Vidy / du 28 mars au 06 avril / Plus d’infos.
Formé dans la foulée de l’évacuation de la ZAD de la colline du Mormont en mars 2021,dont l’expérience est à l’origine du travail présenté ici, un collectif composé d’amie.x.s artistes et /ou militant.e.x.s cherche à savoir comment se rassembler, comment exprimer sa colère, ses doutes et ses joies à travers une « odyssée dans des territoires en lutte ». Avec une diversité à tous les niveaux, cette performance est un moment collectif intime, sincère et fort qui ne laisse personne indifférent.e.x.
Tout commence par l’accueil dans la salle René Gonzalez, transformée pour l’occasion en un lieu de vie et de lutte : différents espaces débordent du plateau, comme par exemple une cuisine aménagée dans le gradin, avec un four. De longues branches de bois flotté sont accrochées les unes aux autres au plafond, des costumes self-made colorés pendent à l’arrière du plateau, à côté d’un écran sur lequel est projeté un carnet de dessins, dont on peut voir l’original sur un tapis. Sur l’avant du plateau, un dj-set complet, un micro, des masques multicolores. Ce sont les artistes qui nous accueillent, nous invitant à nous asseoir sur les chaises ou les coussins au sol, disposés en tri-frontal. On nous propose du thé ou du sirop, on s’assure qu’on comprend l’anglais. Très vite on sait qu’il n’y aura pas de quatrième mur. Et de toute façon, iels auraient brisé les trois autres aussi s’iels l’avaient pu, cherchant d’autres manières de vivre ensemble, à la manière d’une ZAD.
Car c’est avec l’évacuation de la ZAD de la colline du Mormont que tout a commencé. Une évacuation qui a profondément bouleversé les artistes, qui se lancent dans une « odyssée dans des territoire en lutte », au Portugal et en France notamment. Iels nous racontent ces histoires, vécues – on n’en doute pas une seconde – avec une touchante sincérité. Les luttes auxquelles ces histoires sont rattachées sont multiples : contre le capitalisme, contre la destruction de la planète, contre le patriarcat, contre le racisme, le sexisme, en bref contre toute forme de système oppressif. Cette diversité se retrouve à tous les niveaux du spectacle.
Diversité des artistes d’abord. Venant d’horizons différents, de langues différentes, d’identités différentes, de disciplines artistiques différentes. En conséquence, les formes d’expressions artistiques sont très diverses. Par exemple, Michael Scheuplein dessine, et c’est son carnet qui est projeté, comme support aux souvenirs évoquées, mais aussi à différent mots du lexique militant. Luxxx, qui vient de ce milieu militant, nous cuisine des cookies vegan et sans gluten. Carolina Varela chante. La musique est omniprésente, là aussi dans des formes très diverses. Cela va du chant traditionnel portugais au yodle en passant par le slam sur de l’électro-house performé par Adrien Rupp. Ainsi, les tableaux s’enchaînent, jonglant d’une forme à l’autre.
Diversité aussi dans les émotions suscitées. On est d’abord touché.e.x. par les témoignages, que ce soient ceux des artistes ou ceux des militant.e.x.s qu’iels ont enregistrés, enregistrements diffusés sur des boom box disposées à différents endroits dans la salle. On rit aussi, l’humour et la joie ne sont pas absents de la lutte. Isabelle Vesseron et Adrien Rupp apportent dans leurs témoignages cette légèreté qui fait respirer. Enfin, on est gêné.e.x ou bouleversé.e.x par la puissance des mots de Carolina Varela, lorsqu’à fleur de peau elle nous dit qu’elle ne chantera plus : « Je ne donnerai pas aux autres le plaisir de marquer le rythme avec leurs mains alors que ces mains sont coupables de tant de violence sur mon corps ». Un réquisitoire antiraciste, antisexiste, anticlassiste et surtout anticolonialiste qui vient heurter aux tripes. La traduction du texte, performé en anglais, nous est proposé en format papier au moment de sortir.
Parfois, on a l’impression que la préparation de la performance n’est pas pleinement aboutie, comme lorsqu’un « c’est quoi maintenant ? » est lâché, ou lorsqu’on nous invite à nous resservir à boire, dans une pause manifestement nécessaire bien que non prévue. À d’autres moments, on voit les artistes se référer au texte du spectacle. Mais l’essentiel n’est pas là. Du reste, lire ces textes au lieu de les jouer en souligne d’autant plus l’authenticité.
Cette performance n’est pas une récupération politique de l’art, ni une récupération artistique du politique. Parce que ce n’est pas du tout une récupération. C’est une manifestation artistique collective, toujours en lutte. Il ne s’agit pas non plus d’une petite bulle de catharsis, car l’effet déborde les limites du spectacle. En ce sens, la feuille de salle nous recommande des liens et adresses pour s’informer autrement, pour manger autrement, se divertir autrement, rencontrer des gens autrement ou encore dépenser son argent autrement. Dans un dernier élan, les artistes nous invitent à les suivre pour quitter la salle et se retrouver au bord du lac, simplement pour écouter le bruit de l’eau. Comme un ultime apaisement. Mais il faut se méfier de l’eau qui dort…