Entrée dans la danse

Par Isabelle Fasnacht

Une critique sur le spectacle :

Kick Ball Change / conçu, chorégraphié et interprété par Kiyan Khoshoie et Charlotte Dumartheray / La Grange / Coproduction Le Grütli / du 7 au 12 décembre 2022 / Plus d’infos.

© Magali Dougados

Le spectacle de danse-théâtre Kick Ball Change, chorégraphié et interprété par le danseur Kiyan Khoshoie et la comédienne Charlotte Dumartheray, offre au grand public un voyage dans le monde exclusif et compétitif de la danse rock acrobatique de haut niveau. Le spectacle en présente les dessous et les déboires avec une humanité touchante mais nous donne aussi les clés pour apprécier tant la beauté technique et esthétique de chaque mouvement que la richesse de la communication entre danseur.euse.s.

Tap, – tap, – tap, – tap : dans le noir, le bruit caractéristique de deux paires de chaussures de sport venant frapper le sol d’une salle de gym, dans un tempo rapide à la régularité presque surnaturelle. La lumière s’allume et deux danseur.euse.s se tiennent les mains, face l’un.e à l’autre mais de profil par rapport au public. Visiblement en plein entraînement, iels sautent à l’unisson, sur place et relativement haut, se regardant dans les yeux. Leurs mouvements à la fois légers, précis et économes témoignent immédiatement de l’expérience et de la coordination des athlètes. L’exercice se prolonge. En quelques minutes, leur transe s’est transmise au public, qui retient son souffle et mesure l’effort physique déployé. « Nice ! », dit finalement l’homme. Dans un parfait accord, de nouveaux exercices s’enchaînent alors – toujours sur le même rythme lancinant –, puis des mouvements répétitifs émergent des pas de danse et enfin une chorégraphie complète. Sans musique mais ponctuée d’un florilège d’indications jargonnantes ; un code propre aux deux partenaires s’y dessine : « Allez… 7, 8. Généreux – la saucisse – ramène – kick ball, change – et final », « Okay bien – on refait, on ajoute l’attitude. Attitude ! Sourire, sourire, oui, garde-le ! », « Insiste plus, ça doit vraiment contraster avec le Las Vegas ! ».

Nous sommes dans une salle multisport, avec un panier de basket, des tableaux pour marquer les scores, des bancs pour laisser linges, bouteilles d’eau, habits de rechange. Car ce à quoi nous assistons ce soir, ce n’est pas un show, mais bien la réalité de ce qui le précède : les mois de répétitions inlassables d’une chorégraphie particulière, le travail effectué pour maîtriser chaque mouvement, perfectionner chaque figure, lisser chaque transition. Certains pas sont tournés en boucle, afin de ne plus devoir y réfléchir. Essayer de ne plus y réfléchir, rester pourtant dans une concentration extrême. Sourire et se montrer détendu.e, malgré la pression. Rechercher l’exactitude, mais rester à l’écoute de l’autre.

On se laisse vite happer par l’intensité émotionnelle de l’aventure vécue par le couple de danseur.euse.s, qui effectue sous nos yeux de derniers préparatifs et se pare d’habits de scène scintillants avant de participer à une compétition. Des bruitages de foule en délire emplissent alors l’air, deux présentateur.rice.s surexcité.e.s chauffent la salle : en un moment décisif, tout se joue.

Ce n’est pas pour cette compétition que nous sommes venus ce soir. Au fil des pas, des figures acrobatiques et des exercices de lâcher-prise pleins d’humour, on voit transparaître la violence des conflits, la douleur des blessures et celle de ne pas se sentir écouté.e, mais aussi des moments de grande sensibilité et de rires partagés. Quant à la chorégraphie, chaque reprise la décortique un peu plus et nous guide vers une compréhension qui approfondit encore l’admiration. Désormais plus avertie mais surtout subjuguée, j’en ressors avec la seule envie de chausser mes baskets pour laisser éclater l’énergie qui m’a été transmise.