Par Sylvain Grangier
Une critique sur le spectacle :
Le Malade imaginaire / De Molière / Mise en scène Jean Liermier / Théâtre de Carouge / du 22 novembre 2022 au 18 décembre 2022 / Plus d’infos.
Jean Liermier reprend sa mise en scène du Malade imaginaire, créée à l’origine en 2014. Un spectacle à la mise en scène « classique » pour un classique de Molière.
Le malade imaginaire, dernière pièce du génie Molière, frappé par l’ironie du sort : alors qu’il jouait lui-même le personnage hypocondriaque d’Argan, il meurt à l’issue de la quatrième représentation, malade des poumons. Tout le monde connaît l’histoire, comme tout le monde connaît l’intrigue de cette pièce ô combien classique. À cet égard, la mise en scène qu’en propose Jean Liermier reste elle aussi plutôt classique, au sens de conventionnel cette fois. Cela ne veut pas dire qu’elle est dénuée de qualités, au contraire : elle témoigne d’un savoir-faire, et ce dans toutes les dimensions du spectacle. Les comédien.ne.s sont à ce titre le meilleur exemple : leur performance est maîtrisée et impeccable. On retiendra le jeu toujours juste, percutant et éminemment drôle de Gilles Privat dans le rôle-titre d’Argan. Raphaël Vachoux impressionne lui aussi dans tous ses rôles (Thomas Diafoirus, Monsieur Purgon et Monsieur Bonnefoy) grâce à un pouvoir comique certain. Mais tou.te.s font preuve d’habileté technique, notamment dans la performance du texte : on entend Molière, et on le comprend sans effort.
Savoir-faire également dans la scénographie, magnifique, signée feu Jean-Marc Stehlé et Catherine Rankl. Trois immenses pans de mur donnent le cadre à la comédie, et si le papier peint peut évoquer le XVIIe siècle, c’est une intemporalité toute théâtrale qui est choisie ici, par le biais du mélange des époques. Ainsi, tous les éléments médicaux sont contemporains, comme s’ils avaient envahi la demeure d’Argan. C’est le cas de son lit, tout droit sorti d’un hôpital, ou du chariot à médicaments qui jure avec le mobilier ancien. Mais l’exemple le plus frappant – et sans doute l’un des plus réussis de la scénographie – ce sont les cabinets privés d’Argan qui apparaissent comme sortis d’un tiroir du décor : complètement aseptisées, avec une lumière froide, ces toilettes ont plus l’air de sortir d’un asile lovecraftien que d’un riche appartement bourgeois de l’âge classique. Les costumes également témoignent du mélange des époques, avec des redingotes et hauts-de-forme typiques du XIXe siècle pour les Diafoirus (Raphaël Vachoux et Jean-Pierre Gos) et Béralde (Jacques Michel), qui côtoient les vêtements plus contemporains de Toinette (Madeleine Assas) et Béline (Sabrina Martin).
Cependant, au-delà de ces quelques choix de scénographie originaux, la mise en scène de Liermier ne contient finalement que très peu de surprises. Certes, l’apparition des marionnettes géantes à l’effigie des médecins Fleurant et Purgon, tels des spectres de la mort, est inattendue et saisissante, puisque cette vision cauchemardesque cherche à faire ressentir les angoisses d’Argan au public. Mais on en restera là, et les marionnettes ne seront que peu exploitées. Cela ne veut pas dire que Jean Liermier ne propose pas de lecture originale de la pièce de Molière. Au contraire, il parvient à nous faire comprendre le ressenti du malade imaginaire, qui ne l’est pas tant que ça, puisque ses angoisses d’hypocondrie l’empêchent de vivre et de fonctionner normalement. Par ailleurs, la pandémie du coronavirus que nous avons tou.te.s vécue fait résonner différemment les débats sur la médecine entre Argan et Béralde, ce qui les rend plus subtiles, plus nécessaires aussi. C’est peut-être là l’un des intérêts majeurs de remonter ce spectacle huit ans après sa création. La question de la nécessité du théâtre, mise à mal durant la pandémie est aussi mise à l’honneur, puisque dans la pièce les personnages se servent de stratagèmes proprement théâtraux à de multiples reprises pour se tirer d’affaire, comme lorsque Cléante (David Casada), l’amant d’Angélique (Marie Ruchat), prétend être son maître de chant pour pouvoir lui parler, ou lorsque Toinette se travestit en médecin pour donner à Argan une vision différente de la médecine, ou encore lorsque ce dernier feint la mort pour confondre sa femme, qui n’en a que pour son argent, et révéler l’amour sincère de sa fille pour lui. Pourtant, il demeure que la mise en scène manque sans doute d’un peu de piquant.
Ainsi, Le Malade imaginaire de Liermier est un spectacle abouti, bien exécuté et qui fonctionne dans tous ses aspects, que cela soit dans ses dimensions comiques ou dans les réflexions philosophiques qu’il propose. Mais si les textes classiques sont souvent matière à expérimentation pour les mises en scène, on pourrait reprocher à cette énième itération du Malade de manquer de prise de risque.