Par Céline Bignotti
Une critique sur le spectacle :
Le Colibri / Texte d’Élisa Shua Dusapin / Mise en scène par Joan Mompart / Musique de Christophe Sturzenegger / Théâtre Am Stram Gram / Du 10 mai au 15 mai 2022 / Plus d’infos.
De la collaboration entre le metteur en scène Joan Mompart, l’autrice Élisa Shua Dusapin et l’Orchestre de la Suisse Romand (OSR) est né Le Colibri, un spectacle pour les plus jeunes, mais qui réchauffe même les cœurs des plus anciens. Parallèlement paraît un livre illustré par Hélène Becquelin, qui s’inspire directement du spectacle, et dont la version livre-audio permet aussi d’écouter les compositions de Christophe Sturzenegger.
Le Colibri raconte l’histoire de deux jeunes gens, Lotte (à prononcer Lotté, pour éviter, comme le dit la protagoniste, de confondre avec le nom du poisson), interprétée par Clémentine Le Bas, et Célestin (Mathieu Fernandez-Villacanas). Ce dernier vient de déménager de sa maison au bord de la mer. Ils se rencontrent sur un toit représenté par une scène en pente qui recrée une sensation de vertige, à l’image de la condition psychologique des personnages, en particulier de Célestin, dont l’épanouissement personnel progressif constitue le sujet du spectacle.
Le blocage émotionnel de Célestin entrave sa relation amoureuse-amicale avec Lotte, mais un jour, le garçon reçoit en cadeau de son frère Célin (Matteo Prandi) qui se présente comme une apparition angélique, un colibri qui semble être « en torpeur ». Lotte et Célestin s’occupent du petit oiseau et le temps passé ensemble leur permet de mieux se connaître et d’évacuer le chagrin lié à ce qu’on comprend peu à peu comme étant le deuil du frère, Célestin grâce à Lotte parvient à sortir de sa torpeur similaire à celle du colibri.
Je décrirais ce spectacle avec les mêmes adjectifs que ceux avec lesquels on peut décrire un colibri dont l’essence est par nature délicate, dont les mouvements sont gracieux et dont le chant est harmonieux. C’est un spectacle extrêmement émotionnel, qui aborde de manière douce et délicate des sujets assez forts comme le deuil, ce qui n’est jamais facile à présenter aux enfants. Tout devient alors une métaphore et un monde fantastique et féerique est créé à travers lequel l’enfant peut aborder (peut-être avec le soutien d’un projet de médiation) ces thèmes existentiels. Le colibri devient alors le pont entre la vie et la mort, et à cet égard la comparaison que fait Célestin entre le poids du petit oiseau (6 grammes environ), symbole de vitalité, et le poids, selon les scientifiques, de notre souffle au moment de la mort (21 grammes environ) est intéressante.
Dans un entretien accordé lors de l’émission Vertigo (RTS), Élisa Shua Dusapin raconte elle-même l’importance des émotions dans cette histoire qui, surtout pour le jeune public, ne doit pas être comprise avec le cerveau mais avec le cœur. En effet, c’est un spectacle qui touche les cordes sensibles de chacun : les plus âgés auront peut-être la nostalgie de l’innocence qui s’en dégage, et les plus jeunes seront au contraire enchantés par les merveilleuses couleurs et les effets spéciaux comme la pluie de fleurs chatoyantes que Lotte utilise pour décorer la coquille sous laquelle repose le pauvre oiseau, ou encore la fumée qui recrée les nuages du ciel ou les vagues de la mer et dans laquelle, à la fin du spectacle, disparait l’âme de Célin avec le colibri enfin éveillé.
L’atmosphère onirique qui caractérise l’ensemble de la représentation fait penser aux séquences de danse accompagnées de musique classique dans le film d’animation Disney Fantasia (1940) où des séquences musicales sur des fonds colorés racontent l’histoire de personnages fantastiques. En reprenant les mots de Joan Mompart dans un entretien pour Cult.ge : « La musique de Christophe Sturzenegger, ce n’est pas un décor, mais un partenaire qui universalise la pièce ». Grâce à la musique de l’orchestre en direct (les représentations des 14 et 15 mai ont été interprétées par L’Orchestre du Collège de Genève) et aux gracieuses et éloquentes séquences de danse associées aux personnages de Lotte et Célin, il a été possible de rendre compréhensible à tous.x.tes le message de ce merveilleux projet d’art total, qui pourrait être résumé par une célèbre phrase de l’écrivain italien Italo Calvino : « Prenez la vie à la légère, cette légèreté n’est pas superficialité, mais glisse sur les choses d’en haut ; ne pas avoir de rochers sur le cœur ».